La montée d’apparence inexorable du Rassemblement national a été amplement décortiquée et tous les éléments d’explications semblent avoir été énoncés. De la décomposition de la classe politique traditionnelle aux nouvelles formes du consumérisme politique « on n’a pas essayé », en passant par les réseaux sociaux, les algorithmes de la désinformation, tout a été proposé. On a pu également renoncer aux éléments objectifs comme le nombre d’immigrés ou l’évolution du pouvoir d’achat tant il est vrai qu’aucune corrélation n’a pu être établie en France ou en Europe.
L’effacement des services publics de proximité
Curieusement, un élément est rarement mentionné et nous semble essentiel ; celui de notre relation à l’administration. En effet, si l’on accepte l’hypothèse que la propension à voter pour les extrêmes provient largement du sentiment de ne pas être entendu, il est nécessaire de reconnaître que ce sentiment de non-écoute ne peut s’appliquer au plus haut sommet de l’Etat, sauf à supposer que les premiers chefs d’état de la Ve république étaient davantage à l’écoute de leurs concitoyens que les présidents de la république de ces dernières années. Sauf à croire à un âge d’or de la politique, l’hypothèse apparaît peu crédible.
La relation de l’Etat avec les citoyens s’opère essentiellement au niveau local, départemental ou régional.
Et c’est là où la dématérialisation des services publics a réduit la relation au niveau le plus faible. Plusieurs études ont mis en évidence le lien entre la disparition des services publics de proximité et la montée des radicalités. Ainsi Jérôme Fourquet observait la relation entre la fermeture des services publics territoriaux et la montée du vote RN sur la période 2002-2022[1]. Il faut toutefois aller plus loin et reconnaître que la disparition physique s’est accompagnée d’un effacement symbolique qui se manifeste par les processus de communication. Que ce soit par mail, par téléphone ou par courrier, il est quasi impossible de joindre une personne physique. Les rubriques contact renvoient vers une adresse générique et la seule possibilité d’échange sur un problème rencontré par un citoyen ne peut s’effectuer que par l’intermédiaire d’un avatar aux capacités de compréhension particulières limitées, malgré les progrès de l’IA. Même pour les actes basiques de la vie quotidienne, comme l’état civil et le renouvellement d’une pièce d’identité, le citoyen se sent souvent désemparé.
A votre écoute sur No-Reply.com
Et lorsque l’administration souhaite promouvoir ses activités, elle n’hésite pas à adresser une campagne d’e-mailing à ses usagers en les assurant être à leur écoute.
Et dans la quasi-totalité des cas, cette invitation au dialogue s’effectue sur une adresse « No-reply.com ».
Dans l’objectif de réduction des coûts et d’amélioration de leur image par la généralisation des outils numériques, les administrations se sont engagées vers la dématérialisation complète de leurs activités, quitte à obérer les relations avec les usagers.
L’administration « sans contact » est une administration sans écoute.
Accuser l’Etat, c’est d’abord se rendre compte de la relation la plus immédiate auprès des citoyens.
S’attaquer aux racines du populisme passe par une forte revalorisation des services publics de proximité et de leur manière de communiquer.
Thierry Libaert
[1] : Jérôme Fourquet, La France d’après, Seuil, 2023. Sur le même sujet, cf l’article de synthèse de Camille Bordenet, « Les inégalités d’accès aux services publics, carburant pour le RN ? » Le Monde, 19/06/2024, p. 8.