L’année 2022, à quelques mois de la fin d’un quinquennat qui restera avant tout celui des années Covid et des clivages grandissants liés à la crise des Gilets jaunes dans l’esprit d’un grand nombre de Français, mais qui s’inscrit aussi dans la continuité de la mandature précédente endeuillée par les attaques de l’hydre terroriste et la montée de l’insécurité sous toutes ses formes (tristement illustrée aujourd’hui par les menaces de mort proférées à l’encontre d’élus de la représentation nationale…), a hélas démarré par une polémique…
Une polémique qu’un appareil au pouvoir plus avisé et moins avide en effets de communication aurait pu aisément éviter en faisant preuve de respect pour les usages établis, en se souvenant des règles admises et en vigueur en matière de pavoisement des édifices publics et en ne balayant pas avec une certaine forme d’arrogance et désinvolture caractéristiques de la gouvernance actuelle la portée symbolique, dans un vieux pays comme le nôtre, de son drapeau national…
En France, le rapport à l’étendard a toujours revêtu une signification particulière et la sensibilité qui lui est attachée dans l’imaginaire collectif est le fruit d’une longue histoire qui jadis jouait un rôle fondamental dans l’éducation des Princes, chez les Bourbon en particulier… Fénelon, Bossuet, Cardinal de Fleury, précepteurs royaux, si vos mânes pouvaient inspirer un peu les formateurs des pseudo élites aux manettes aujourd’hui, on éviterait peut-être des épisodes aussi peu glorieux pour l’édification du public, comme celui au cours duquel on a pu entendre qualifier d’abjection le rappel de la juste place des symboles au bon endroit dans les bonnes circonstances, mais en 2022 le climat de tension exacerbée prévalant à l’approche de la campagne présidentielle ne le permet sans doute plus…
Eût-il été trop simple et pas assez « provocateur » d’associer les trois couleurs brandies par la Liberté guidant le peuple dans le célèbre tableau d’Eugène Delacroix -Scènes de barricade- réalisé en 1830, date à laquelle s’impose comme symbole national l’emblème de la Révolution, au drapeau bleu de l’Europe frappé des douze étoiles dorées, sous la voûte de l’Arc de triomphe au-dessus de la tombe du Soldat inconnu, aux fins de marquer les premiers jours de la présidence française de l’Union européenne pour six mois, ce qui faisait sens factuel sans grande contestation possible ?
Dans la confusion générale actuelle, qui pourrait déterminer précisément le but réellement poursuivi en n’affichant qu’un seul symbole dans ce lieu éminemment sensible — transgression, désir de « faire le buzz », affichage d’un objectif fédéraliste ?
L’avenir nous le dira peut-être, à moins qu’il ne s’agisse d’une regrettable maladresse dans la précipitation imposée par les codes de communication politique communément partagés au temps des réseaux sociaux et du règne des tweets…
Le refus du Comte de Chambord, en 1873, de renoncer au drapeau blanc fleurdelisé —celui qui avait ombragé sous la Restauration le berceau du dernier héritier de la lignée directe de Louis XIV, l’enfant du miracle, avait flotté sur les vaisseaux de la marine royale lors de la guerre d’indépendance des colonies américaines et avait été rétabli par Louis XVIII en 1814 pour renouer avec la chaîne des temps après la Révolution— a scellé définitivement le sort de la monarchie légitimiste en écartant durablement le retour à la royauté, et a fait rentrer cette forme de régime dans le glorieux mythe français au profit de la République et des trois couleurs, celles pour lesquelles nos soldats continuent vaillamment de lutter et de tomber au champ d’honneur, loin de leur sol natal et au nom de valeurs qui transcendent bien souvent celles admises dans les limites géographiques de l’Europe…
Alors oui, les drapeaux sont des symboles auxquels il faut témoigner la plus grande des révérences et avec lesquels il est mal avisé de jouer tant ils parlent au cœur et à la mémoire des peuples, et cela est valable sous toutes les latitudes, tous les cieux, et de tout temps…
En 1944, nombreux sont les Parisiens qui ont pleuré de fierté lorsque le Général de Gaulle a fait flotter les couleurs nationales sous la voûte de l’Arc de Triomphe, après l’humiliation des années de plomb et de sang où la croix gammée s’était étalée de manière sinistre sur les édifices publics de la zone occupée… Il est triste en tout cas que les premiers jours de la présidence française de l’Union européenne, avec pour otage l’oriflamme bleu étoilé qui la symbolise, aient été entachés par une faute de tact, une maladresse ou une provocation, comme on voudra selon les sensibilités politiques qui devraient toutes avoir droit de cité dans un pays en proie aux difficultés que l’on connaît à cette heure.
Il est probable que la circulation accélérée à un niveau effrayant du variant Omicron en Europe et dans notre pays, la difficile mise en œuvre des nouvelles mesures et protocoles complexes introduits en début d’année pour tenter d’endiguer la lame de fond actuelle de la pandémie, et une actualité plus que préoccupante au-delà de la tragédie sanitaire mondiale, relégueront cette confusion autour des plis du drapeau dans la longue liste des péripéties nationales à l’approche de l’élection d’avril.
Il faut souhaiter que cet épisode sans gloire ne donne pas la tonalité des joutes à venir, une polémique en chassant une autre avec celle désormais des décorations du Nouvel An… On peut toujours l’espérer à défaut de vœux à prononcer et de perspectives plus exaltantes et réjouissantes, dans un pays qui a besoin de garder tout son sang froid pour affronter les défis qui l’attendent en 2022, entre autres au Sahel, dans les couloirs de la FED à Washington avec une probable remontée des taux d’intérêt de la banque centrale américaine qui aura une répercussion inéluctable sur l’économie mondiale, en Ukraine, dans nos régions et collectivités outre-mer, et dans nos hôpitaux en toute première ligne dans le combat du moment…
Eric Cerf-Mayer