En cette fin de mandat, E. Macron ne sait plus quoi penser pour faire oublier que, de par la cohabitation d’un autre type qu’il a provoquée, sa présidence est réduite à une sorte de néant qu’il assume de façon erratique. Et l’on passera sur les images délirantes et dégradantes qu’il a mises sur les réseaux le mettant en scène pour illustrer l’IA, son nouveau cheval de bataille.
C’est donc sur le CC et, une fois encore sur le référendum, que l’actuel locataire de l’Elysée se défoule.
Quant au CC, le mandat de Laurent Fabius, nommé par F. Hollande en 2016, à la tête du Conseil arrive donc à son terme. Que l’on apprécie ou pas l’ancien Premier ministre, on ne peut contester ses qualités en matière institutionnelle. Énarque, conseiller d’État de formation, il a été ministre à plusieurs reprises et surtout à Matignon. Ainsi qu’il l’a confié durant un colloque voici quelques années déjà, il « apprit aussi beaucoup de la Constitution aux côtés de Mitterrand et Charasse ».
Bien évidemment, sous sa présidence, la jurisprudence du CC a plutôt penché nettement du côté « droit de l’hommisme ». Les dernières décisions en attestent (y compris sur le concept de fraternité ou le suivi des terroristes sortant de prison). Tous les analystes autorisés se rejoignent pour dire que, jusqu’en 2019, date de l’arrivée d’Alain Juppé, l’ancien maire du Grand-Quevilly règne en maître sur le Conseil. Il n’y a en effet pas un seul juriste digne de ce nom dans ce cénacle (anciens magistrats, avocats, fonctionnaires parlementaires, élus locaux). On veut dire par là qu’il n’y a plus au Conseil un seul constitutionnaliste. La dernière fut Nicole Belloubet, professeur de droit public (dont l’activité scientifique est tout de même réduite à la portion congrue) de 2013 à 2017. Et pourtant, au sein des 9 Sages, il y eut des personnalités éminentes du droit public mais aussi du droit privé. Pas moins de douze professeurs, essentiellement de droit public, depuis la création du Conseil constitutionnel, ont accédé à l’institution.
Si l’on ne devait en citer qu’un seul, ce serait le doyen Georges Vedel, que nous avons eu l’honneur de connaitre. Si le droit avait un prix Nobel, il lui serait revenu sans conteste.
L’influence du doyen Georges Vedel sur notre droit a été décisive. Il a apporté au droit administratif, au droit constitutionnel et à la science politique un enrichissement sans borne. Plus particulièrement, il a marqué également de son empreinte son passage au Conseil constitutionnel. Georges Vedel a été nommé comme membre en février 1980 par le président Valéry Giscard d’Estaing, sur une suggestion, dit-on, de Raymond Barre. Au demeurant, il est seulement, au moment de son entrée en fonction, le 6ᵉ professeur de droit, après René Cassin, Marcel Waline, François Luchaire, Paul Coste-Floret et François Goguel à avoir été désigné membre du Conseil constitutionnel. Toutefois, la pratique des nominations semble implicitement obéir aussi à des « quotas » de manière à préserver les équilibres selon les spécialités ou les fonctions occupées avant l’entrée en fonction des membres. De fait, une place reviendrait donc à un universitaire. Ainsi, au titre des professeurs de droit, Georges Vedel succède à François Goguel et il sera lui-même remplacé, à sa sortie en février 1989, par Jacques Robert. Lui-même étant remplacé par notre maître Jean-Claude Colliard. N’oublions pas non plus, dans cette galerie de grands conseillers, R. Badinter, professeur de droit privé. Il s’avère que la contribution de ces universitaires à l’élaboration et à l’essor des méthodes de travail et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel a été considérable, au point d’approfondir les rapports entre fonction doctrinale et fonction de juger. Mais étant donné que, et même la présence de Mme Belloubet n’y a rien changé, il n’y a plus ce genre de membres, il ne faut pas s’étonner que la jurisprudence du Conseil ait assez largement perdu en qualité.
Le plus souvent, des décisions militantes ont succédé à des décisions structurantes.
Alors E. Macron a donc décidé de récompenser un des derniers grognards de sa campagne de 2017 : Richard Ferrand. Comme l’ont souligné la majorité de nos collègues, ce choix traduit davantage une amitié politique qu’un arbitrage fondé sur les compétences et garantissant l’autorité institutionnelle des Sages. Bien sûr des présidents ont déjà nommé des proches. Ainsi Mitterrand avec Badinter et Charasse. On a parlé ci-dessus des qualités éminentes du premier. On ne peut nier celles du second, praticien hors pair de la constitution. Bien évidemment, ils étaient des socialistes bien teints. On fera une exception avec Roland Dumas. Avocat certes.
Mais qui était considéré comme fort sulfureux. Mitterrand avoua un jour : « j’ai deux avocats : Robert Badinter pour le droit et Roland Dumas pour le tordu ».
Chirac ne dérogea pas à la nomination de proches, avec notamment Pierre Mazeaud et Jean-Louis Debré. On ne peut leur reprocher de ne pas être juristes et des connaisseurs éclairés du texte constitutionnel. Le second étant même né dedans en quelque sorte (titulaire d’une thèse de droit relative aux idées constitutionnelles du général de Gaulle).
E. Macron fait partie de ces présidents qui, depuis N. Sarkozy, ne connaissent strictement rien à notre texte fondamental.Rappelons tout de même que R. Ferrand est un des personnages centraux de l’ « affaire des mutuelles de Bretagne » (qui débute en 2010). En octobre 2022, la Cour de cassation confirme la prescription des faits sans conclure sur le fond de l’affaire. L’arrêt de la Cour devrait mettre fin aux poursuites contre Richard Ferrand. Il existe aussi des soupçons d’emploi fictif de son fils et d’un proche à l’Assemblée nationale. De même, citons un achat immobilier avec son indemnité de représentation parlementaire.
Alors non seulement ce personnage est un ami proche du chef de l’État, mais il est aussi sulfureux. Surtout, s’il a fait un peu de droit à Toulouse et Paris V (en tout 2 ans), il est avant tout un peu entrepreneur, mais surtout apparatchik socialiste qui va monter les échelons de l’élu local puis, en 2016, découvrir et œuvrer pour la macronie. Son seul titre de gloire est d’avoir été porté par celle-ci à la tête de l’AN de 2017 à 2022. Il y sera le défenseur zélé de son mentor élyséen. Cet homme a-t-il seulement lu une seule fois notre Constitution ?
Rappelons qu’au titre de l’art. 13 C le Parlement peut contester cette nomination puisqu’en son ultime alinéa, il est précisé : « le pouvoir de nomination du Président de la République s’exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée. Le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l’addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions ». Dans le cas de R. Ferrand, ça le mériterait.
Avec une présidence pareille, le CC est en danger. Déjà que, selon nous, il dérive gravement contre notre société. Les droits humains prennent le pas sur les droits des citoyens. Nous reprenons pleinement à notre compte l’analyse de J.E. Schoettl. Le Conseil comme le CE d’ailleurs se fourvoient trop souvent depuis quelques décennies. On en arrive de toute évidence à quelque chose de grave : une démocratie au péril des prétoires (Gallimard, « Le Débat », 2022).
Il va y avoir d’autres nominations. Mme Braun-Pivet a annoncé Laurence Vichnievsky. L’ancienne juge (affaire Elf) et ex-députée Modem du Puy-de-Dôme qui n’a pas plus de références constitutionnelles (voire moins) que Mme Luquiens qu’elle doit remplacer. En revanche M. Larcher devrait se tourner vers Philippe Bas, conseiller d’État, sénateur, qui dirigea le SGE sous Chirac et fut aussi son ministre. Son expertise ainsi que ses rapports font autorité (rappelons celui sur l’affaire Benalla).
C’est la seule de ces trois nominations qui fera, à coup sûr, l’unanimité.
La seconde grande affaire d’E. Macron (avec l’IA), c’est une fois encore le référendum. Nous l’avons souligné à plusieurs reprises dans ces colonnes, le président « s’amuse ». Il ne sait plus quoi faire pour recoller à une opinion qui lui a complètement échappé. Ainsi d’ici au début du printemps, il aura arrêté sa réflexion sur le ou les sujets sur lesquels il veut consulter les Français. Il l’avait déjà évoqué le 31 décembre dernier. Il se trouve que depuis vingt ans exactement, il n’y a plus eu de référendum en France. Le dernier date du 29 mai 2005. Jacques Chirac avait alors soumis à ratification le projet de traité constitutionnel européen, élaboré durant les mois précédents. 54,7 % des Français avaient rejeté celui-ci. Par la suite, ce « non » inattendu avait généré un profond traumatisme. Ni Nicolas Sarkozy ni François Hollande n’avaient voulu rééditer l’expérience malheureuse de leur prédécesseur, qui, après ce désaveu, avait connu une fin de présidence sans rebond possible.
Deux choses essentielles doivent habiter l’esprit, un peu agité en ce moment, du chef de l’État. D’abord que, vu l’état de défiance que lui voue l’opinion (moins de 20 % de soutien), quelle que soit la question posée, le Non risque de l’emporter. Car, les votants s’intéresseront plus à celui qui pose la question (et dont ils ne veulent plus) qu’à la question posée. Même s’il y a dans la population une envie certaine de référendum. Plusieurs études montrent que les Français semblent avoir des priorités bien définies quant aux thèmes sur lesquels ils souhaiteraient être consultés. En tête des préoccupations : la question de la fin de vie, avec 84 % de répondants qui se disent favorables à une consultation sur ce sujet et avec 53 % « tout à fait favorables ». L’immigration arrive juste derrière, avec 74 % souhaitant pouvoir s’exprimer, notamment sur les aspects sociaux (accès au logement, aux allocations, etc.). Les thématiques liées au travail suscitent un même niveau d’intérêt (74 %), qu’il s’agisse de la durée du travail, de l’âge de la retraite, de la semaine de trois ou quatre jours ou encore des jours fériés. Tout ça ne peut que mûrir dans l’esprit aux aguets (aux abois) du président Macron. Mais, et c’est le deuxième bémol, le champ du référendum, nous l’avons dit ici aussi, est délimité assez strictement par l’art. 11 C al. 1 : « Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions » .
Dans tout ce qui « plait » aux Français, hormis les réformes relatives au travail, le reste n’entre pas dans le champ référendaire actuel. La fin de vie (sujet beaucoup trop sensible) et l’immigration (encore plus) n’y sont pas. Imagine-t-on un instant des questions aussi stupides que : êtes-vous pour le suicide assisté ou êtes-vous pour ou contre l’immigration ? Avec la valse des crimes commis par des OQTF sur notre territoire depuis quelque temps, la seconde question serait assez vite réglée ! Même s’il est clair que la France ne peut plus faire l’économie d’une vaste réforme structurelle de son immigration. Seule une modification du champ référendaire pourrait permettre de lancer de nouveaux référendums. Mais cela nécessite une révision constitutionnelle et, étant donné le contexte politique actuel, cela relève d’une gageure complète. Une révision avec l’art. 89 C est illusoire dans le contexte politique actuel. Quant au recours à l’art. 11 C, on retombe dans les affres citées ci-dessus.
Nous assistons à la fin d’un mandat qui, irrémédiablement tiré vers le bas, cherche tout de même comment sortir par le haut. Vaste programme !…
Le seul référendum qui vaudrait la peine, selon nous, est celui où, quel que soit le sujet, le président saurait tirer les conséquences d’un résultat négatif. La plus impérieuse serait de quitter le pouvoir.
Pour comprendre son pays, Monsieur le candidat (NDLR : E. Macron), il faut l’aimer comme on aime ses parents, avec bienveillance, ce qui n’exclut pas la lucidité. Cela s’appelle le patriotisme et je l’attends d’un président. Vous l’avez sacrifié dans une expression torturée. Vous avez choisi sans doute ce que vous pensiez être l’intérêt de votre image médiatique dans la pensée convenue. Vous avez marqué votre mépris pour ces générations modestes et laborieuses qui ont su construire dans les épreuves comme dans les pages de gloire, en métropole comme en outremer. Le désamour de la France n’est pas digne de votre ambition (Gérard Longuet).
Raphael Piastra, maître de conférences en droit public des universités