Alors que le président de la République s’exprime ce soir, le constat est celui d’une communication politique en crise depuis le début de la crise sanitaire. Elle est d’autant plus en crise qu’elle apparaît en complet décalage avec la réalité de la situation concrète sur le terrain et la conception qu’ont les « gouvernés » de l’action des pouvoirs publics au sens large. Pour Patrick Martin-Genier, essayiste spécialiste des questions européennes et internationales, il est temps que les communicants revoient leur stratégie.
Communiquer en politique est un art compliqué. Il s’agit pour les responsables politiques de faire passer des messages afin que « les gouvernés » reçoivent la parole officielle de la vision des gouvernants sur l’évolution d’une situation, et à tout le moins une vision telle que ces responsables souhaiteraient qu’elle fût idéalement.
Des équipes de communication au service des dirigeants
Chaque responsable politique dispose d’équipes de communication étoffées dont les acteurs sont des professionnels de ce métier, qui sont issues soit du milieu journalistique soit d’agences spécialisées en communication.
L’exercice est périlleux car plus la communication est décalée par rapport à une réalité à un certain moment, plus l’effet est inversement proportionnel à celui qui est recherché.
La communication politique dans le monde et en Europe a donc en premier lieu cherché à rassurer ou à dramatiser une situation.
Lorsqu’il s’agit de dictatures, la communication officielle ne réserve aucune surprise. Cette communication est entièrement prise en charge et délivrée par le parti au pouvoir.
Les mensonges et la propagande de la Chine
Ainsi, le Parti communiste à la tête de ce régime répressif chante les louanges de son chef suprême qui irrigue la Constitution elle-même. Il est aujourd’hui établi que la Chine a occulté de bout en bout dans la gestion de la pandémie la réalité de sa nature, sur sa portée et ses conséquences.
La Chine excelle également dans la propagande en mettant en scène la reprise des activités économiques, la célébration de héros, et le patriotisme industriel quand des mesures drastiques sont encore prises et les écoles fermées. Cette propagande est d’autant plus une aubaine qu’elle se met en scène par l’envoi à grand renfort de publicité de masques et autres matériel de protection médical (masques, blouses, lunettes) en Europe au plus fort de la crise et considérablement affaiblie par ses divisions.
Elle aurait tort de se priver d’ailleurs puisqu’elle poursuit à travers cette crise un objectif stratégique de grande puissance.
Abandonnée dans un premier temps et une nouvelle fois par l’Europe, l’Italie a elle-même mis en scène l’arrivée de personnels et matériels venant de Russie, Chine et Cuba.
L’Europe, entre « guerre et paix »
Dans les démocraties européennes, la communication est aussi un exercice très délicat. En France Emmanuel Macron a opté pour un discours de guerre en employant des éléments de langage adaptés. « Drôle de guerre » où, depuis le début, les fantassins, les personnels soignants, ont été laissés sans armes ni munitions. Le chef de l’Etat, qui n’entretient pas de bonnes relations avec la presse, s’est rendu dans les hôpitaux sans journalistes, son conseiller en communication les ayant évincés purement et simplement.
Ce langage guerrier sans issue, le président allemand Frank-Walter Steinmeier n’en a pas voulu. Prenant le contrepied d’Emmanuel Macron, il s’est adressé de façon solennelle au peuple allemand (alors qu’il ne le fait qu’une fois par an pour les fêtes de fin d’année) avec un discours on ne peut plus apaisant et rassurant. Il a ainsi déclaré « Non, cette pandémie n’est pas une guerre. Des nations ne sont pas contre des Nations, des soldats contre des soldats. Mais elle met à l’épreuve notre humanité. Elle fait ressortir ce qu’il y a de plus mauvais mais aussi le meilleur des hommes. Sachons faire ressorti le meilleur ».
On n’imaginait pas non plus le prédisent allemand développer une rhétorique de guerre quand on sait que le peuple allemand ne supporte pas cette rhétorique. Même si elle a été elle-même accusée d’« infantiliser » le peuple, Angela Merkel n’est pas allée jusqu’à parler d’une façon violente aux Allemands.
L’empathie italienne, les mensonges du gouvernement britannique
En Italie, le président de la République Sergio Mattarella a constamment, lors de ses différentes allocutions télévisées, fait preuve d’une réelle empathie pour son peuple meurtri. A aucun moment, en ce compris le président du Conseil italien, Giuseppe Conte, le peuple n’a été stigmatisé.
Le Pape François, lors de sa bénédiction pascale urbi et orbi ce dimanche, a rappelé à l’Europe qu’elle s’était relevée unie de la guerre et qu’il lui était indispensable de ne pas laisser ressurgir des rivalités qui n’ont pas lieu d’être en ces temps de pandémie.
Parfois, la communication a aussi donné dans le mépris et le mensonge.
Au Royaume-Uni, les autorités ont non seulement eu du retard dans la prise en charge de la pandémie, mais ont développé une communication désastreuse en l’absence de Boris Johnson hospitalisé. Le gouvernement annoncé à plusieurs reprises l’arrivée massive de vaccins de dépistage mais aussi de masques. Aujourd’hui l’intendance ne suit pas.
Pire, Matt Hancock, ministre de la Santé, lors d’une intervention, a demandé aux personnels soignants de ne pas utiliser de façon inappropriée le matériel de protection quand celui-ci manque cruellement alors que les médecins et infirmières meurent tous les jours faute d’un tel matériel. Il s’est attiré les foudres du président des médecins du Royaume-Uni déclarant qu’on ne pouvait gâcher du matériel qui n’existait pas. Le ministre des Entreprises, Alok Sharma a même refusé de s’excuser des dysfonctionnements constatés dans les hôpitaux en faisant valoir qu’il « avait « un plan ».
En France une communication contradictoire sur les masques
En France, la communication aura été d’autant plus incompréhensible qu’on aura justifié tout et son contraire par rapport au port des masques par exemple. Les pouvoirs publics ont mis l’accent sur les mesures de police en communiquant essentiellement sur cet aspect, alors que tel n’a pas été le cas ailleurs en Europe, même au plus fort de la pandémie.
Enfin, les messages et communiqués de presse les plus dithyrambiques ont été publiés sur l’« extraordinaire solidarité » de l’Europe quand celle-ci venait de se diviser gravement pendant quinze jours, malgré le « paquet » de plus de 500 milliards actés lors du dernier Conseil des ministres des finances de la zone euro. L’idée d’une mutualisation des dettes – les « Corona bonds » – a été abandonnée.
En conclusion, ce que l’on demande aujourd’hui aux responsables, c’est un minimum de sincérité et de modestie dans leur communication publique. Le risque est en effet que la parole du politique finisse par être brouillée au point de devenir inaudible.
Patrick Martin-Genier
Essayiste, spécialiste des questions européennes et internationales