Récemment réélu par 38,5 % des électeurs inscrits, le Président de la République annonce comment il compte atteindre ses objectifs de campagne : « Pour les atteindre je veux réunir un Conseil national de la refondation, avec les forces politiques, économiques, sociales, associatives, des élus des territoires et des citoyens tirés au sort. Il faut rassembler la Nation autour de ces priorités. » Passons sur l’expression monarchique de la volonté, à laquelle lui-même comme ses adversaires et ses prédécesseurs nous ont hélas trop habitués, pour ne retenir que la référence à la « Nation ». Si l’on ne s’en tient qu’à la succession des deux phrases, force est d’en conclure que, pour rassembler la « Nation », il faut réunir un « Conseil… national de la refondation » que, seul, ce Président est habilité à « réunir ».
Or, parmi les fonctions constitutionnelles du Président, celle de veiller au respect de notre règle suprême commune est sans nul doute l’une des principales. Et, justement, selon la déclaration des droits de l’homme, si « toute souveraineté réside essentiellement dans la nation », « nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. » La construction est achevée par les articles 3 de la Constitution selon lequel « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. » et 27, qui pose le principe de notre démocratie représentative, à savoir que « Tout mandat impératif est nul. »
Au risque de paraître trop primaire aux yeux des exégètes autorisés de nos textes fondamentaux, on peut en conclure qu’il n’appartient qu’aux représentants du peuple – ce que n’est pas le Président de la République – de décider en toute indépendance quels sont les objectifs que se fixe la société française et les moyens de les atteindre.
Le hasard faisant parfois bien les choses, il se trouve que le pays va se doter d’une nouvelle Assemblée nationale le 19 juin. Il appartiendra donc à celle-ci, en collaboration avec le Sénat dans les conditions prévues par les textes, d’entreprendre les réformes nécessaires pour améliorer le fonctionnement si dégradé de notre pays. C’est précisément ce qui amené le sénateur Jean-Pierre Sueur à se demander à juste titre : « « A quoi va servir l’Assemblée nationale ? Alors que les législatives n’ont pas eu lieu, Emmanuel Macron annonce la création d’une instance ad hoc (Conseil national de la refondation) dont les prérogatives sont celles… du Parlement ! Peut-on ainsi jouer avec les institutions ? ». Ne s’agirait-il que d’un jeu ? Certainement pas et les intentions réelles des inventeurs de cette nouvelle instance ne sont évidemment pas naïves.
Le choix de la date retenue pour en faire l’annonce, à quelques jours du premier tour d’élections législatives déjà détournées de leur rôle par la plupart des media et par trop de politiciens qui préfèrent entretenir la confusion dans les esprits, prouve par l’absurde que, quel qu’en soit le résultat, le Président se servira d’un autre instrument pour atteindre les objectifs qu’il s’est fixés.
On ne peut pas réduire le Parlement à la portion congrue de l’exercice de son pouvoir de manière plus explicite – ainsi que le Conseil économique, social et environnemental –, notamment à propos de la réforme des retraites puisque le Président a précisé « Quant au travail sur la réforme des retraites, qui est indispensable au financement de nos transformations, il commencera après ce conseil et la réforme entrera en vigueur dès l’été 2023.»
Quels communicants, omniprésents tout autant incompétents, sont-ils passés par là pour emballer le paquet dans un artifice aussi désobligeant que celui de faire référence à une instance d’une autre importance, conçue dans un contexte radicalement différent ? « Pourquoi ce clin d’œil au Conseil national de la résistance ? Nous vivons un temps comparable. Nous sommes dans une ère historique qui impose de changer profondément de modèle et puis la guerre est là. » C’est donc parce que nous serions dans une situation comparable à celle de la France de 1943-1944 qu’il faudrait en passer par là ? Quelle erreur ! Quel mépris pour ceux qui ont mené à bien l’entreprise si risquée, pour le pays et leur propre vie, qui aboutit à l’adoption du Programme du CNR en mars 1944 ! Comment taire que la 4ème mesure de ce texte « à appliquer dès la libération du territoire » devait assurer « L’établissement de la démocratie la plus large en rendant la parole au peuple français par le rétablissement du suffrage universel » ?
Ainsi, se référer au CNR, aujourd’hui, pour contourner l’expression du suffrage universel est un contresens historique qui prive l’initiative de toute légitimité politique.
Décidément, s’il fallait avoir recours à une référence historique pour justifier la manœuvre envisagée, c’est plutôt à l’Assemblée des notables convoquée par le roi, en 1787, qu’il faudrait faire appel. Il s’était agi, selon le procès-verbal1 « d’une Assemblée de personnes de diverses conditions et des plus qualifiées de son État, pour leur communiquer les vues qu’elle se propose pour le soulagement de son peuple, l’ordre de ses finances et la réformation de plusieurs abus. Sa majesté avait fait elle-même une première liste de ces personnes (…) » Comme pour le « Conseil national de la refondation » en vue duquel « Je souhaite que la Première Ministre et son gouvernement puissent le faire vivre. » l’autre monarque « avait jugé à propos d’y appeler des membres de mon conseil. » Bref, le schéma est réutilisable et le procès-verbal comporte même le plan de la salle « des menus plaisirs » – où d’autres évènements allaient se produire deux ans plus tard… –. Le service du protocole présidentiel trouvera-là son travail déjà tout mâché !
Seulement, l’échec complet de l’initiative royale déboucha, comme on le sait, sur la convocation des vrais états généraux… et leur transformation en représentation de la… Nation, le 17 juin 1789. Ceux qui seraient appelés à participer à l’actuelle initiative feraient bien de méditer la leçon de l’Histoire de manière à éviter de se prêter à une manœuvre dont la futilité appelle l’avertissement : « (…) la futilité ne tient pas au fait que le sérieux est servi et consommé comme s’il était futile, mais au fait que le futile est offert et reçu comme s’il était sérieux2.»
Hugues Clepkens