Fiers de vous. Par ces trois mots qui accompagnaient une vidéo mettant en scène le Président de la République dans le vestiaire des bleus après une finale de coupe du Monde d’anthologie, peu importe le résultat final, le Président a nappé les frustrations et tristesses des Français d’attitudes, de prises de parole et de messages subliminaux dont la substance enflamme les opinions publiques.
Les réseaux sociaux s’offusquent, la presse s’en mêle et amplifie les questions d’une certaine France ; mais pas toute la France. « Vous nous mettez mal à l’aise… », « La communication à deux balles », « Emmanuel Macron lynché après la finale France-Argentine ».
La rancœur à la suite d’une défaite, il en est de même pour un deuil, trouve souvent son apaisement cathartique dans la quête furieuse d’un bouc émissaire, René Girard en a fait le titre d’un célèbre ouvrage d’analyse à propos de ce phénomène récurrent dans l’histoire du monde.
Ne pouvant s’acharner sur les onze de Deschamps (auxquels s’ajoutent de très talentueux remplaçants), valeureux héros de cette épopée qatarienne, le tumulte d’une masse de supporters frustrés a choisi de déverser son acrimonie sur le Chef de l’Etat, bien mal inspiré par un désir, légitime au demeurant puisque personne ne lui contestera un amour physique pour ce sport, de livrer les deux corps du roi, l’enveloppe du Souverain concurrencé par celui du jeune Emmanuel fan de football de toujours, afin de les diluer, tels des onguents réparateurs, à la peine d’une Nation-équipe d’une Equipe-Nation.
Le chef de l’Etat en donne-t-il trop, sans doute pas ! Le chef de l’Etat fait-il trop de mise en scène dans sa communication ? Sans doute que oui !
De cet excès de sentiments, Barthes nous explique dans son « Fragments d’un discours amoureux le bon usage de la déclaration d’amour : « Pour faire entendre légèrement que je souffre, pour cacher sans mentir, je vais user d’une prétérition retorse : je vais diviser l’économie de mes signes. » Or de Roland Barthes le Président de la République à une interprétation très personnelle de la prétérition. Ses excès de désir, de protéger les bleus usent de canaux communicationnels très malhabiles. Les lunettes noires de Barthes, quelle justesse.
A l’instar de son hurlement « parce que c’est notre projet » qu’une France amusée et admirative alors, avait mise sur le compte de la jeunesse, il déborde à nouveau d’un amour déplacé.
Ses gesticulations gênantes, cette ritournelle systématique de la bromance[1] diplomatie mise en image, appliquée cette fois au sujet du foot, cet excès de rapports tactiles à l’autre, offre un spectacle presque indécent pour des réseaux sociaux eux simplement attristés. Le chef de l’Etat n’a pas su chausser habilement l’équivalent des lunettes noires préconisées par Roland Barthes qui se voulaient l’expression d’un message pourtant simple : « vous avez été merveilleux de bravoure et d’abnégation, ce n’est pas grave, séchez vos larmes, parfois le panache français dans la défaite vaut mille victoires».
Que faut-il en penser d’un point de vue de l’Ethique que la communication est censée porter. Weber distingue l’éthique de responsabilité et l’éthique de conviction.
L’éthique de responsabilité relève de la rationalité téléologique : elle est rationnelle par rapport à une fin, c’est-à-dire un but poursuivi. Cette éthique se caractérise par son attention aux moyens et à leur efficacité dans l’atteinte du but. Weber la qualifie parfois d’« éthique du succès ». Macron n’a pas pêché dans l’intention de cette catégorie.
Il a essoré tous les recoins des audiences offerts par ce moment universel de performance footballistique.
Dans un monde gouverné par l’économie de l’attention, la Coupe du Monde s’offre en graal à celui admis à l’instrumentaliser. Chacune et chacun, selon le tic de langage élyséen, aura reçu plusieurs fois des images contrites d’un Macron faisant corps avec nos héros-footballeurs.
Le bénéfice politique est indéniable nonobstant les critiques circonscrites, à mon sens, aux seules frontières du Tout-Paris.
Mais qu’en est-il de l’éthique de conviction. Elle se soucie de ne pas trahir une valeur ou de ne pas transgresser une norme. Elle considère ainsi comme condamnable de ne pas dire la vérité, et comme louable de dire la vérité pour la vérité. Elle vise à ce que toutes les actions menées soient en cohérence avec une conviction. Dans cette catégorie la critique est aisée.
N’importe quel communicant aurait conseillé au Président de faire la même chose, d’abuser de ce moment unique. D’autant plus que le Président revendique son appartenance à cette religion de l’amour immodéré pour ce sport.
Les photos intelligemment distillées de ses gestes et de ce corps animé par la victoire lors de la coupe du Monde 2018 sont encore dans toutes les mémoires. Pour en savoir davantage, j’ai moi-même interrogé de nombreuses jeunes personnes afin de savoir si elles trouvaient le Président hors du propos qu’elles attendraient de la part de ce drôle d’entraineur en costume cravate.
Peu pour ne pas dire aucun ne l’a critiqué, me renvoyant la charge du stigmate du questionneur mal intentionné.
Sa vérité est limpide : capter l’envie d’émotion d’un peuple blessé et le réconforter pour en recueillir les effets en termes d’image. Toutefois, pouvait-il avouer de telles manipulatrices intentions, puisqu’elles forment un habitus de La Politique ? L’éthique de conviction l’exige, le pragmatisme politique moins. Dans notre cas, le philosophe américain Michael Walzer l’emporte sur Weber lorsqu’il argue que « doit gouverner celui ou ceux qui sauront le mieux se servir du pouvoir ».
Toujours est-il que l’important est sans doute ailleurs. Lorsque nous scrutons les faits et gestes communicationnels du Président de la République attendant de siffler un flagrant délit d’ivresse sur la voie de l’espace public. Trop d’images, trop de sentiments incongrus…, d’affreux abrutis argentins usent sans vergogne des largesses, et surtout du manque de déontologie de puissants médias, officiellement appointés par l’équivalent de l’ARCOM sud-américain, et agonissent d’insultes racistes notre équipe nationale et notre triple buteur. L’affront mériterait sans doute une réponse diplomatique de la France et des mesures sévères de la part de la FIFA, à l’instar de la FIFA qui portera plainte.
Certes la victoire est belle, elle force parfois à des excès de communication mais elle ne peut en aucun cas ouvrir les portes aux forces obscurantistes de la haine raciale qui n’ont rien à faire, ni dans les stades, ni associées aux maillots de quelque équipe nationale que ce soit.
A bon entendeur !!
Jacky Isabello
Membre du comité éditorial de la Revue Politique et Parlementaire
Fondateur de l’agence de conseil en communication CORIOLINK
[1] Bromance : mot valise qui télescope « brother », frère, et « romance », qu’on peut traduire par « aventure amoureuse ». Donc « bromance », c’est une complicité, presque amoureuse entre frères.