Claude Sicard, économiste et consultant international, analyse pour la Revue Politique et Parlementaire, l’impact de la pandémie de Covid-19 sur l’économie française.
La crise du Covid-19 ébranle le monde, et elle a mis toutes les économies à l’arrêt. Les mesures très contraignantes de confinement qu’a pris notre gouvernement s’imposaient, et l’intendance suivra, comme avait coutume de dire le général de Gaulle. Ce qui est capital, a expliqué notre Président, c’est que nos entreprises puissent franchir ce cap et soient en mesure de reprendre leurs activités sitôt la crise passée. Il faut donc les soutenir du mieux possible dans la phase actuelle, et notre gouvernement s’y emploie activement. Une première enveloppe de 45 milliards d’euros a été annoncée, et 300 milliards d’euros ont été débloqués pour servir de garantie aux prêts que les banques feront aux entreprises qui en ont besoin pour traverser la crise. La BPI a créé un numéro vert, et son président nous dit qu’il a mis en place « un pont aérien de cash » pour faire face dans l’urgence à toutes les demandes qui se manifestent, et elles sont déjà extrêmement nombreuses.
Les économistes s’efforcent donc d’évaluer les conséquences pour nos économies de cette crise inattendue. Tout va dépendre de la durée pendant laquelle les mesures de confinement vont mettre notre machine économique en sommeil. Dans Le Figaro du 18 mars, Christian Saint Etienne, professeur d’économie au Conservatoire des Arts et Métiers, avance de premières estimations, et il nous dit : « Les conséquences politiques, économiques, et sociales du Covid-19 vont être immenses… Il s’agit d’éviter les chaines de faillites qui rendraient impossible le redémarrage de l’économie ». Pour une crise durant six semaines, il prévoit, pour 2020, un déficit public de 4 % à 5 % du PIB, un PIB en baisse de 5 % à 7 %, et une dette publique se montant à 115 % en fin d’année. De son côté, François Ecalle, fondateur du site Fipeco, prévoit que le déficit budgétaire passerait à 4 % en 2020 , et à 5,5 % en 2024, et il dit de la dette : « La France doit montrer qu’elle est capable de stabiliser sa dette, même si elle atteint 116 % du PIB ».
Voyons donc les chiffrages qu’il est possible d’avancer, en nous plaçant, comme Christian Saint Etienne, dans l’hypothèse d’une durée de crise de six semaines seulement.
La crise va avoir une double conséquence pour l’Etat : augmentation des dépenses publiques et baisse des rentrées fiscales. Et pour ce qui est du tissu économique, elle fragilise beaucoup les PME et les ETI, et un certain nombre de ces entreprises pourraient bien être mises très vite en faillite.
L’accroissement des dépenses publiques
Nous en sommes actuellement à environ 1 266 milliards d’euros de dépenses publiques, et c’est un sommet, la France étant le pays de l’ OCDE où elles sont les plus élevées au regard du PIB.
On peut estimer que l’ensemble des mesures de soutien à l’économie que prendra le gouvernement pourraient s’élever au total à 100 milliards d’euros, notamment si des nationalisations étaient à effectuer, comme on en parle déjà dans le cas d’ Air-France.
Et ce chiffe de 100 milliards doit être considéré comme une estimation tout à fait prudente. Notre Président, en effet, a fait sienne la philosophie de Mario Draghi : « whatever it takes ! ». Il a dégagé 5 milliards d’euros pour la Recherche, simplement à l’occasion de la visite qu’il a rendue à l’Institut Pasteur, et lors de son déplacement à Mulhouse pour inaugurer l’hôpital de campagne installé en urgence par l’armée il a annoncé le lancement prochain d’un « plan massif d’investissement et de revalorisation des carrières» dans les hôpitaux publics.
Les pertes de recettes pour l’Etat
La crise va avoir pour effet inévitable une réduction sensible des rentrées fiscales, ce que les économistes appellent « les prélèvements obligatoires ». Elles se montent actuellement à 1.138,9 milliards d’euros. On peut avancer une baisse prévisible de l’ordre de 4%, soit environ 50 milliards d’euros.
Le déficit budgétaire
La combinaison d’une augmentation des dépenses publiques avec une baisse sensible des rentrées fiscales va fortement aggraver le déficit du budget de l’Etat. On en est, pour 2020, à un déficit prévu de 93,1 milliards d’euros : ce déficit passerait donc à 243,1 milliards, en fin d’année. En retenant la prévision du professeur Saint Etienne d’un PIB en baisse de 5 %, on aurait un PIB se montant à 2 264,5 milliards d’euros en 2020 (contre 2 383,7 milliards en 2019) et, alors, le déficit budgétaire français représenterait 10,7 % du PIB.
La dette publique
La dette publique actuelle se monte à 2 415,0 milliards d’euros. Elle va donc se trouver augmentée de 243,1 milliards d’euros en raison du déficit budgétaire à prévoir pour 2020.
La dette nationale va donc représenter 117,3 % du PIB, à fin 2020.
Quelles sont les marges de manoeuvre du gouvernement ?
La situation économique du pays étant déjà très tendue, le gouvernement n’a d’autre possibilité pour faire face à la crise que de recourir à l’endettement. L’enveloppe de 100 milliards d’euros que nous avons provisionnée plus haut devrait permettre de soutenir en priorité les entreprises afin qu’elles ne licencient pas. Une allocation immédiate d’aide se montant à 2 000 euros par salarié s’impose : il serait urgent de le faire, mais les premières mesures prises par notre gouvernement sont très en deçà de ce qu’il faudrait faire. Il y a en France actuellement 15 000 000 de personnes (y compris les micro-entrepreneurs) travaillant dans le secteur marchand, et il s’agirait donc pour l’Etat de 30 milliards d’euros, et ceci sans conditions, et sans formalités inutiles : c’est ce que les Américains ont appelé de « l’helicopter monney », mais pour des aides versées aux entreprises et non pas directement aux particuliers. Nous ne sommes pas, en effet, aux Etats-Unis où il n’existe pas tous les amortisseurs que comporte notre système d’organisation sociale. Les auto-entrepreneurs, les PME, les ETI et aussi les grandes entreprises, tous les acteurs de la vie économique en ont besoin : évidemment, en seraient exclues les sociétés qui ne s’engageraient pas à renoncer au versement cette année de dividendes à leurs actionnaires.
Pour ce qui est donc de l’endettement du pays, quelles questions se posent ?
Premier problème : l’alourdissement du poids de la dette dans le budget de l’Etat. Pour le budget annuel, vus les taux d’intérêts extrêmement bas actuellement, accroitre la dette ne coûte pas cher. La dette actuelle représente un poste dans le budget de la nation de 38 milliards d’euros. Si l’on fait l’hypothèse d’un taux pour les nouveaux emprunts de 0,5 %, les 150 milliards d’euros supplémentaires à emprunter en 2020 couteront tout au plus 0,7 à 0,8 milliard annuellement, un montant infime au regard de l’ensemble des dépenses publiques.
Second problème : les règles de fonctionnement de la zone euro. Il faudrait normalement respecter la règle d’un déficit budgétaire inférieur à 3 % du PIB, et d’un endettement national ne dépassant pas 60 % du PIB : et le Pacte de stabilité (PSC) a même prévu que les pays membres devront s’efforcer d’en arriver à un déficit nul le plus rapidement possible, des sanctions étant même prévues qui pourraient atteindre 0,5 % du PIB.La France ne parvient pas à respecter ces règles, depuis des années, et déjà, donc, avant la crise plaidait-elle pour leur nécessaire assouplissement, faisant valoir leur caractère arbitraire. A présent, avec le déclenchement de la crise du coronavirus, un consensus s’est immédiatement dégagé, au niveau européen, pour l’abolition momentanée de toutes ces règles, et Ursula von der Leyen a posté un Tweet disant : « Aujourd’hui, et c’est nouveau et n’a jamais été fait, nous déclenchons la clause dérogatoire générale. Cela signifie que les gouvernements nationaux peuvent injecter dans l’économie autant qu’ils en auront besoin. Nous assouplissons les règles budgétaires pour leur permettre de le faire ».
Il reste le problème de la dette : les économistes s’accordaient, jusqu’ici, à penser qu’il convient qu’elle ne doive pas dépasser le montant du PIB, des travaux statistiques ayant montré qu’une économie décline, historiquement, lorsque ce cap a été franchi. Et ils s’accordent à penser maintenant qu’un pays peut s’endetter tant que le taux de croissance de son économie (g) est supérieur au coût de l’argent (r).
Ce qui compte, c’est le poids des charges et la facilité, plus ou moins grande, à trouver des acheteurs pour les titres. La France est à la côte AA par les agences spécialisées, et elle est donc considérée comme un « émetteur de dette de haute qualité ».
En somme, on serait en droit de ne pas trop s’inquiéter de voir la dette de notre pays croitre.
Les positions prises par Olivier Blanchard, ancien économiste en chef du FMI, vont dans ce sens, et Patrick Artus, du groupe Natixis, nous dit : « Déni ou obsession, entre les deux il y a sans doute un juste milieu. ».
Claude Sicard
Economiste, consultant international