La France est le premier pays européen à avoir identifié des cas de coronavirus sur son territoire. Pour la Revue Politique et Parlementaire Jacky Isabello cofondateur de l’Agence de communication Coriolink décrypte la communication du gouvernement face à cette crise.
S’il est une leçon à retenir à la suite de la catastrophe de l’usine Lubrizol c’est celle-ci : la mise en œuvre des dispositifs de gestion de la crise en elle-même a été exemplaire. Or, l’impression laissée par la communication conduite à cette occasion demande à être revue et laisse dans la population française un sentiment de fiasco. Qu’en est-il à ce stade d’une nouvelle forme de menace installée dans la tête des gens depuis quelques jours, le coronavirus désormais désigné officiellement NCOV, en provenance de la ville de Wuhan en Chine. Pourquoi cette chronique ? Je pratique la communication en situation de crise et lorsque j’ai entendu mercredi 22 janvier Mme Buzin, invitée de Sonia Mabrouk sur Europe1, j’ai été interpellé. Son propos, en tant que communicant mais aussi comme citoyen, ne m’a pas du tout rassuré sur la capacité du pays, non pas à gérer l’épidémie qui n’a pour l’instant qu’une très faible réalité dans notre pays, soyons clair, mais à montrer que nous sommes au plus près du terrain, au plus près du virus. Que le principe de précaution préside à toutes nos décisions. Et dans ce cas, ce principe inscrit dans notre Constitution française doit prévaloir également dans la mise en place d’un schéma de « gesticulations » nécessaires à la réassurance des populations !
Faut-il comme dans le cas de Lubrizol faire le choix de ne pas effrayer la population (il a été décidé de ne pas activer les sirènes car les gens ne connaissent pas la signification du code). Le titre du quotidien Le Parisien « Pas de panique » en date du dimanche 26 janvier adopte cette ligne, ou doit-on surjouer la mise en place d’un dispositif car ce sont les réseaux sociaux, comme dans le cas de Lubrizol, qui pourraient transmettre des virus encore bien pire, celui des contre-vérités, puis de l’angoisse et de la panique. Les vidéos circulent déjà. Elles montrent comme l’indique Le Journal du dimanche : « des images terrifiantes de malades qui s’éffondrent dans les rues de Wuhan ». Reprenons le fil des choses…
Les médias se contiennent mais…
Les médias, quoi qu’en pensent certains, sont consciencieux et savent que chaque reportage sur le sujet demande un ton adapté à la situation. Informer sans être alarmant, ni rassurant. Chaque média possède sa ligne éditoriale et son angle, c’est-à-dire un contrat passé implicitement avec le téléspectateur ou l’auditeur, ce qui nous fait dire, « j’aime bien cette émission ».
Séquence 1 : l’émission Quotidien sur TMC, le leader sur la case horaire, large leader depuis la rentrée 2019 qui laisse son principal concurrent TPMP de M. Hanouna largement derrière. Et tout particulièrement la chronique Chaouch Express. Immersion dans un des deux grands aéroports parisiens. Une hôtesse au sol accueille les passagers des vols en provenance de Wuhan, celle dont le nom résonne en France dans la tête des citoyens, comme la « Tchernobyl du coronavirus ». Cette jeune femme dont le visage est flouté avoue simplement qu’elle a peur. Que rien n’est fait pour la protéger alors qu’elle accueille des gens dont on sait que le délai d’incubation avant de déclarer les premiers symptômes du virus sont de 14 jours. Elle ne dispose d’aucun masque, ni d’autres équipements et devra, nous dit-elle, se contenter de recourir à un gel hydroalcoolique pour éliminer toutes traces d’un potentiel hôte étranger.
Séquence 2 : vendredi 24 janvier sur France info : un homme rentre de Wuhan encore et s’étonne du manque de contrôle. Il connait, et le dit à l’antenne, le délai d’incubation. Il peut être contaminé. Il avoue son anxiété car sa fille est enceinte. Tout juste a-t-il du laisser son numéro de portable et une adresse mail en guise de contacts… au cas-où.
Séquence 3 : fort heureusement les pouvoirs publics semblent se réveiller à l’aube d’un week-end qui devrait laisser une large part d’antenne au sujet. Samedi 25 janvier sous la férule de l’agence nationale de santé publique, Santé publique France, qui regroupe depuis 2016 l’Institut de veille sanitaire (InVS), l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) et Addictions Drogues Alcool Info Service (ADALIS), à 14h30 pétantes à partir de l’hôpital Bichat, des médecins spécialistes du sujet apportent des explications précises et contextualisés. Certes la mise en scène brille par une forme d’improvisation, mais chaînes d’info et grands médias couvrent et relayent là est l’essentiel. Toutefois la ministre Mme Buzin ne souhaite toujours pas appliquer les contrôles de température des passagers en provenance de Chine. Les voyageurs eux-mêmes s’en inquiètent. De leurs côtés les autorités chinoises, dont il est admis qu’elles ont pris assez tardivement le problème au sérieux, appliquent un peu plus méthodiquement les préceptes du maitre américain de la Propagande Edward Bernays, communiquer et ne pas mentir. Doit-on s’en inquiéter ? L’avenir le dira !
Les nations étrangères savent que si la Chine dévoile l’ensemble des informations disponibles, alors que l’Empire du milieu compte parmi les pays assez peu habitués à jouer la carte de la transparence, elle le fait contrainte et forcée.
Le maire de Wuhan Zhou Xianwang subit les foudres de sa population pour avoir sous-estimé la situation ; XiPing pourtant omniprésent dans les médias ne s’est exprimé que deux fois à ce propos. Aux règles de la communication, la France, comptant parmi les quelques pays touchés par la menace, devrait conjuguer l’expérience de la diplomatie et se protéger avec force et visibilité.
Réveillez-vous les réseaux sont là !
Lors d’une très récente séance de « Retex com » (retour d’expérience, un terme emprunté au monde militaire) à l’initiative de la société EH&A consulting spécialiste dans la gestion des crises, un ancien haut fonctionnaire déclare, soutenu dans le public par une large part des ingénieurs et hauts-fonctionnaires dans la salle sous la forme phatique du langage, qui consiste à grommeler dans sa barbe un son déformé du « oui » lorsqu’on adhère à la thèse de l’intervenant, que malheureusement s’il n’y avait pas eu les réseaux sociaux, le sentiment de la gestion de la crise Lubrizol aurait été favorable aux pouvoirs publics.
Nonobstant l’excellent niveau des intervenants tous spécialistes, stupéfaction de ma part. Malheureusement les réseaux sont-là. Imaginez-moi, lancer à la cantonade en pleine réunion devant un parterre de médecins virologues accrédités par l’OMS : « s’il n’y avait pas le coronavirus on serait en bonne santé ». Roland Barthes dans son livre de référence Mythologies, paru en 1957, décrypte la sémiologie des mythes et objets. Il résuma une vérité cardinale de manière simpliste. Porter une paire de lunettes noires est avant tout un message indiquant aux autres sa tristesse. Je ne les porte pas parce que je suis triste. Je suis triste sans celle-ci.
Mesdames et messieurs les représentants du gouvernement, montrez-nous que vous gesticulez calmement !
Les pouvoirs publics devraient pourtant être vaccinés contre les effets calamiteux de la gestion de la crise dite « de la canicule ». Alors que l’information d’un taux de mortalité excessif des personnes âgées en plein été de l’année 2003 n’était pas parvenue au ministre-médecin M. Mattei, ce dernier, lors d’une intervention médiatique devenue un objet « anti-culte » organisée sur la terrasse de son lieu de villégiature, tenta de convaincre sur l’absence de gravité de la situation, alors que le docteur urgentiste Patrick Pelloux hurlait l’inverse.
Un premier exemple : tapez #CORONAVIRUS sur twitter. Ce qui s’affiche est éloquent
Pire, au lieu d’adopter une posture d’expert, les communicants parle de « l’ethos » dans le triangle d’Aristote qui nous permet d’interagir avec les autres, le gouvernement brouille les messages. Ce vendredi 24 janvier sur BfmTv la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye mélange grève et coronavirus. Que doit comprendre le citoyen ? Rien n’est très installé à l’aéroport par les autorités vis-à-vis des passagers rentrant de Chine. Or une fois ces voyageurs dans un taxi, un métro… disponible, pour déambuler au sein d’un cortège de manifestants, ils seraient devenus dangereux pour le groupe. Quelle est l’intention du gouvernement ? Ne pas faire paniquer les gens, armer les complotistes ou simplement se ridiculiser avec des messages d’une telle inconséquence !
Revenir aux fondamentaux
Nous sommes un Etat jacobin dont les sujets souhaitent que l’Etat s’occupe de tout et tout particulièrement lorsqu’il s’agit du régalien. Leur santé est de ceux-ci !
En situation de crise, un principe est admis : la loi de Murphy plus connue comme « loi de l’emmerdement universel ». Quand les choses tournent mal, un événement plus grave encore fait irruption au pire moment. Il est donc nécessaire d’opter pour une posture de communication vis-à-vis du public, et que le gouvernement s’interroge sur la communication de ses scenarii d’intervention. Rassurez-vous ils existent !
Evaluer la situation et comprendre que s’installe un biais cognitif dans l’inconscient collectif. Nous percevons une asymétrie de communication entre des images provenant de Chine montrant des Chinois suréquipés à des fins de contention et de protection. Et dans l’hexagone, une nation française pas plus inquiétée par la menace qu’un Premier ministre de 2003 décidant de se rendre en Chine malgré un précédant, l’épidémie du SRAS. Les impératifs de la diplomatie et ses moyens ne sont pas les nôtres.
Communiquer sur la gestion de l’alerte. Ce point à pêché dans le cas de Lubrizol. Expliquer au gens les étapes qui pourraient se succéder si la crise de santé s’aggravait. Parler en tant qu’expert au moment où tout le monde est calme. Alors procureur lors des grandes vagues d’attentats, M. Molins a été un exemple de ce point de vue.
Il est essentiel de faire s’aligner la communication et leurs éléments de langage de l’ensemble des intervenants.
Les médecins, le gouvernement et seulement ceux habilités à parler, les autres se taisent. Les entreprises de transport de passage notamment. Laisser des journalistes faire des reportages dans les aéroports sans préparer les hôtesses au sol est une erreur. Dans le cas de Lubrizol l’industriel américain s’est plus concentré sur l’information financière pour maitriser son cours de bourse qu’aux publics aux alentours, alors que les pompiers sur le site de la compagnie ont fait un travail formidable. Personne ne l’a su ! Désormais Lubrizol devra gérer des centaines de procédures juridiques de demandes d’indemnisation.
Quels sont les « dark tools » c’est-à-dire les outils qui seraient déployés par le gouvernement et les autorités admises à intervenir si la situation s’aggravait. Ceux-ci afin d’informer la population. Dark car ces outils existent et seront uniquement mis en ligne en cas de besoin urgent.
Parce que les réseaux sociaux amplifient, déforment et créent de la post-vérité il est nécessaire d’agir en amont. Le manque d’informations et de communication transforment les craintes des publics en vexation, puis en violence. Elle s’exprime déjà largement ces temps-ci, sur les retraites et à la suite de la révolte des « gilets jaunes ».
Jacky Isabello
Cofondateur de l’Agence de communication Coriolink