La sociologie offre des techniques très efficaces pour défendre une cause. L’une d’elles se nomme « retournement du stigmate ». Trop longtemps et injustement affublée à la gent féminine en tant que forme d’essentialisation, l’hystérie, et son lot de valeurs négatives, peut-elle se déverser sur M. Darmanin, pour décrire son attitude, à tout le moins agressive, à l’occasion de son interview conduite par Mme De Malherbe sur BfmTv ?
Retournement, eu égard à son emportement, comme il s’agissait dans des temps immémoriaux (échange entre M. Sarkozy et Mme Royal lors du débat entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2007) de qualifier la perte de contenance d’une femme politique qui se serait sentie irritée par un fait (les statistiques du ministère de l’intérieur sur la sécurité des Français), une question (M. Darmanin s’est-il réveillé un peu tard sur ces mêmes questions de sécurité) ?
Il m’apparaît important de signaler au lecteur qu’il serait, de mon point de vue, inélégant voire insultant, vis-à-vis des deux impétrants, de se demander, donc de développer ici, dans le cas où l’ancien intervieweur vedette de la chaîne -actuellement sous le coup d’une enquête donc mis à l’écart des plateaux- conduisant l’entretien, si la même confrontation aurait pu advenir et enflammer les émotions matinales d’une France en pleine campagne électorale.
Ce clash, de très belle facture, mérite qu’on s’attarde à en extraire et en analyser les grandes erreurs. Parce que cette séquence rentre dans le classement de l’échelle de Richter de ce que les spécialistes appellent l’effet Streisand. Rappelons pour le principe qu’il s’agit d’un phénomène médiatique au cours duquel la volonté d’empêcher la divulgation d’informations que l’on aimerait garder cachées — qu’il s’agisse de simples rumeurs ou de faits véridiques — déclenche le résultat inverse. Effet qui tient son nom à la suite de la mésaventure connue par la célèbre artiste américaine.
1. Primo: Platon, cellule séminale de la pensée dialectique se méfiait des émotions en tant qu’objet de désir. Désir, facteur essentiel dans le processus de formation de la pensée démonstrative ; mais comme le chasseur il y a le bon et le mauvais. Aussi pourquoi donc, M. Darmanin, désirer attaquer la marque BfmTv en la comparant à son principal concurrent CNews ?
Pour l’industrie des médias il s’agit, toute proportion gardée, d’une reductio ad Hitlerum, processus visant à discréditer son adversaire en recourant à l’usage de l’image du « mal absolu ».
Tout échange était de fait rompu et toute relation logique et modérée inenvisageable. A l’exception d’un fait, l’attaquant n’avait pas envisagé que le retour de service de l’intervieweuse pourrait être monstrueusement efficace et dévastateur !
2. Secundo: M. Darmanin a métamorphosé son rapport à l’autre. Jusque-là il échangeait avec une journaliste, et d’un coup il s’est retrouvé avec une très habile défenseure de la cause d’un groupe coté, d’une entreprise, d’une marque, de centaines de salariés et poussé mentalement par ses supérieurs hiérarchiques, évidemment devant leur écran, qui prirent comme un « seul être humain » eux aussi la mouche et qui, à n’en pas douter, exécraient l’idée de se voir comparés à leur plus proche concurrent.
3. Tertio: remettre en question l’éthos d’une journaliste en l’accusant de faire de la politique est une autre grave erreur. Schopenhauer et les rhétoriciens désignent cela sous le vocable de l’attaque ad personam. Or il s’agissait également d’une erreur de perception, puisque se référant au point précédent, Mme de Malherbe brandissait davantage sa carte de syndicaliste de BfmTv (point sur lequel je n’ai aucune information) que le macaron attestant du paiement de son adhésion 2022 à un quelconque parti politique. Enfin, à l’heure ou un ancien journaliste / polémiste tente de concourir à l’élection suprême, quelle (pire) indignité Monsieur Darmanin !
4. Quarto: contester des faits, en laissant entendre que BfmTv devrait être, à la différence de son concurrent, bienveillant vis-à-vis du pouvoir en place, quelle mouche a pu piquer l’invité du jour ? En rhétorique il s’agit d’utiliser les armes de l’adversaire. En effet, une idée ou un terme connotés nuisent et dévaluent l’ensemble du processus maïeutique de la journaliste qui passe par ses questions. Pourtant Mme de Malherbe avait pris grand soin de mentionner que ses chiffres provenaient du ministère de l’Intérieur. Chiffres étayés et analysés la veille par le Figaro dans le baromètre trimestriel publié chaque trimestre à l’initiative de Fiducial. (Titre en une du Figaro : Les Français fustigent le bilan sécuritaire d’Emmanuel Macron)
5. Quinto: non content d’avoir maladroitement raté sa tentative de déstabilisation de l’intervieweuse, jusque-là M. Darmanin jouant classiquement au jeu du chat et de la souris avec son interlocutrice, le ministre tenta une figure dangereuse… que les arbitres de la bienséance médiatico-communicationnelle pénaliseraient d’une disqualification si les JO des médias existaient. En effet, d’un coup tout bascula tragiquement. Le numéro 6 du gouvernement de Jean Castex fit un exceptionnel « mansplaining » (concept féministe né dans les années 2010 qui désigne une situation dans laquelle un homme explique à une femme quelque chose qu’elle sait déjà, voire dont elle est experte, souvent sur un ton paternaliste ou condescendant). Pire, un double mansplaining, et osons cette métaphore en pleine séquence des JO d’hiver, enchaîné avec une vrille machiste de grande amplitude. La première, « calmez-vous ! », la forme injonctive, le temps de l’impératif s’ajoutent au regard et au costume sombre qui se transforment instantanément en deux attributs agressifs comme s’il jouait à être membre des forces de l’ordre qu’il n’est en réalité pas !
6. Sexto: la seconde, « ça va bien se passer » : formule paternaliste qui n’a pas sa place entre deux professionnels qui construisent un exercice dialectique, formé d’argumentations et de réfutations, dont le seul objectif aurait dû être d’informer les téléspectateurs français.
Les nombreux détracteurs reprochant à M. Darmanin d’avoir bénéficié des largesses de la justice au regard des accusations portées contre lui, se ravivèrent instantanément.
Il souffla lui-même sur des braises qui ne demandaient qu’à se rallumer. Amusez-vous chère lectrice, cher lecteur à aborder ce sujet avec de jeunes adolescentes de vos familles respectives. Comme dit mon cher papa : « tu m’en diras des nouvelles » (Nb : Le parquet de Paris a requis mercredi 12 janvier 2022 un non-lieu pour le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, accusé de viol depuis 2017).
7. Septimo: l’erreur la plus grave verra ses effets s’abattre sur M. Darmanin dans quelques jours. En effet, nous pouvons estimer que cette polémique largement alimentée par les oppositions, l’opinion publique et la classe politique dans son ensemble, pourrait remettre en question la place du très important ministre, fauché à la droite puisqu’on connaît sa proximité avec M. Sarkozy et Bertrand, dans le dispositif de campagne du Président sortant. En effet, cette agressivité, de surcroît parce qu’il s’agit d’une forme que tous les observateurs s’accordent à condamner pour sa caractéristique phallocrate, doit impérativement rester la signature et le sparadrap de M. Zemmour. Ce dernier s’est d’ailleurs précipité pour condamner l’exercice du ministre de l’Intérieur. En aucun cas il ne peut y avoir d’images du candidat Macron tentant de défendre, excuser ou renier les débordements misogynes de l’homme politique capable de contrarier les discours des candidats de la droite d’où ils ou elles parlent.
Qu’est-il allé faire dans cette galère ? A l’image de son second mentor Emmanuel Macron, M. Darmanin n’est pas avare de petites phrases. Il avait déjà tenté en son temps un très hasardeux retournement du stigmate lorsqu’il utilisa lors d’une audition devant la représentation nationale l’expression « quand j’entends le mot violences policières, personnellement, je m’étouffe », termes qui indignèrent notamment la famille de Cédric Chouviat, mort asphyxié après son interpellation.
Enfin, n’omettons pas un point essentiel. S’offusquer de l’agression, de l’agacement déplacé de Darmanin serait mettre de côté la grande morale de cette histoire. A l’exercice d’intimidation rhétorique que tenta le mâle ministre, lui revint en pleine figure une des règles de l’Aïkido que chacun, homme ou femme, peut pratiquer à très haut niveau, qui consiste à s’appuyer sur la force de l’attaquant pour le défaire. Et à la fin du combat, l’arbitre désigne une très belle victoire en faveur de Mme de Malherbe : Apolline de Malherbe 1 – Darmanin 0 !
Scrutant l’interview sur son portable lors du vol le conduisant de Moscou à Kiev, on peut facilement imaginer le Président de la République qualifier la séquence de « très emmerdante ».
Jacky Isabello
Cofondateur de l’agence de communication Coriolink