Le lancement de DeepSeek, la dernière innovation chinoise en matière d’intelligence artificielle générative, marque un tournant décisif dans la guerre technologique et commerciale que se livrent les grandes puissances. Derrière cet outil révolutionnaire, qui promet de diviser les coûts de production intellectuelle par des facteurs vertigineux, pourrait se cacher une stratégie implacable, méthodiquement pensée pour ébranler les fondations du modèle technologique occidental et renforcer la puissance chinoise.
Une attaque ciblée contre le modèle américain des Big Techs
Le premier effet immédiat de DeepSeek sera d’exercer une pression insoutenable sur les géants technologiques américains. Ces entreprises, historiquement basées sur une innovation coûteuse et un monopole intellectuel, ne peuvent que difficilement concurrencer un outil qui démocratise et banalise l’accès à des capacités IA avancées à des prix dérisoires. Comme le rapporte la newsletter Superhuman.ai, le géant des puces Nvidia a été le plus touché. Il a perdu plus de 500 milliards de dollars, « l’équivalent d’un Stargate, en une matinée », comme l’a dit Gary Marcus de l’université de New York. Il s’agit de la plus forte chute de ce type dans toute l’histoire du marché boursier américain.
Avec DeepSeek, la Chine ne se contente pas de lancer une innovation : elle saborde l’échafaudage économique des Big Techs, qui repose sur la valorisation astronomique, des puces de dernières générations et des services liés à la propriété intellectuelle. Ce choc pourrait s’avérer fatal à des entreprises dont les valorisations boursières soutiennent une partie considérable des portefeuilles d’investissement américains, notamment les fonds de pension. Si ces entreprises vacillent, c’est tout le modèle financier américain, et notamment son système des retraites, basé sur la capitalisation, qui vacillera avec elles.
En affaiblissant la Tech, la Chine renforce son statut d’atelier du monde
Au-delà de l’affaiblissement des piliers économiques occidentaux, il faudrait également voir derrière DeepSeek une tentative d’asseoir une stratégie visant à solidifier la position de la Chine comme l’atelier productif du monde. En rendant accessibles des capacités jusqu’alors réservées à une élite technologique, la Chine ne redistribue pas seulement les cartes dans ces secteurs. Par effet rebond, l’outil amplifie mécaniquement l’attractivité du modèle « Made in China ». Le moment Spoutnik DeepSeek dessine l’effondrement d’une cartographie de l’économie mondiale qui plaçait d’un côté la domination technologique aux USA et l’atelier du monde dans l’empire du milieu. Ce basculement, s’orchestre à un moment où les États-Unis ne parviennent pas à enrayer le délitement de leurs industries traditionnelles et où les Européens subissent des revers successifs dans le domaine automobile notamment. Du point de vue chinois, l’intelligence artificielle n’est donc pas une finalité, mais un de ses leviers géopolitiques pour contester une hégémonie économique américano/européenne que l’empire du milieu a déjà programmé de renverser.
Une innovation dans un contexte de tension croissante
Il est impossible d’ignorer le contexte dans lequel cette innovation est déployée. Le lancement de DeepSeek intervient dans un climat tendu, où la rivalité sino-américaine est exacerbée par les discours protectionnistes et belliqueux de leaders comme Donald Trump. Une nouvelle arme dont l’avènement transpire la culture chinoise fondée sur un marketing de la discrétion, à opposer aux coups de menton et aux algarades incessantes du duo Trump-Musk dopés aux habitus hollywoodiens de la démesure. En positionnant un outil comme DeepSeek, la Chine envoie un signal fort : l’innovation technologique n’est plus l’apanage exclusif des États-Unis. Elle démontre également que cette guerre commerciale, déjà engagée sur le terrain des semi-conducteurs et des télécommunications, s’intensifie désormais dans la sphère de la production intellectuelle.
DeepSeek : une innovation profondément « malade »
Le narratif même de ce trublion technologique est métaphorique, puisque son propre nom contient une ironie troublante. Si en apparence, DeepSeek semble promettre une plongée profonde dans les capacités génératives de l’intelligence artificielle, il peut tout aussi bien se lire comme « deeply sick »* – profondément malade. Cette double lecture symbolise le trouble qu’elle suscite dans les fondations de l’économie mondiale. En bouleversant l’équilibre entre les grandes puissances et en affaiblissant le géant américain, DeepSeek semble paraphraser Clausewitz : la technologie ne serait que la prolongation de la politique par d’autres moyens.
En conclusion, comprenons bien que, au-delà de ses performances techniques, DeepSeek n’est pas seulement une innovation technologique : elle est une arme dans une guerre économique où chaque avancée scientifique porte en elle des répercussions profondes. Toujours est-il que si les Big Techs américaines ne trouvent pas rapidement une réponse, cette première innovation pourrait bien devenir l’avatar d’une nouvelle grippe venue de Chine. Et chacun sait que, lorsque l’Amérique de Wall Street éternue ce sont tous les écosystèmes économiques et financiers du monde occidental qui s’enrhument.
Jacky Isabello
Fondateur du cabinet « Parlez-moi d’Impact »