A l’heure où LFI a appelé à une, très illusoire, destitution du président de la République, il convient de préciser ce que dit la Constitution sur ce point. Cela pourra servir à éviter d’entendre et de lire le nombre d’inepties que l’on voir fleurir çà et là notamment du côté mélenchoniste.
Depuis la révision constitutionnelle voulue par J. Chirac en 2007, l’art. 68 C énonce : « Le Président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour (…). La Haute Cour est présidée par le président de l’Assemblée nationale. Elle statue dans un délai d’un mois, à bulletins secrets, sur la destitution. Sa décision est d’effet immédiat.
Les décisions prises en application du présent article le sont à la majorité des deux tiers des membres composant l’assemblée concernée ou la Haute Cour. Toute délégation de vote est interdite. Seuls sont recensés les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour ou à la destitution.
Il a fallu attendre la loi organique n° 2014-1392 du 24 novembre 2014 (soit 7 ans après la révision initiale soit dit en passant) portant application de l’article 68 de la Constitution précise les conditions de mise en œuvre de la procédure de destitution :
- adoption, par l’Assemblée nationale ou par le Sénat, à la majorité des deux tiers de leurs membres, d’une proposition de réunion du Parlement en Haute Cour. La proposition de résolution doit être motivée et signée par au moins un dixième des membres de l’assemblée dont elle est issue ;
- la proposition est alors transmise à l’autre assemblée qui doit se prononcer dans les quinze jours. Si elle n’adopte pas la proposition, la procédure est alors terminée ;
- si la proposition est adoptée, la Haute Cour, présidée par le président de l’Assemblée nationale, doit se prononcer dans un délai d’un mois.
Deux questions principales se posent ici. D’abord de quelle faute parle-t-on ? Puis concrètement comment se passe sa sanction ?
1) Quelle faute ?
Il faut d’abord s’entendre sur ce « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat » (l’ancien texte parlait de « haute trahison) ». Cette formulation, quelque peu alambiquée, renvoie à l’art. 67 C qui présente qui les cas de « fautes » présidentielles. Selon l’al 1 : Le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68. En langage clair cela signifie que le chef de l’Etat est irresponsable durant son mandat. Comme le disait le regretté Guy Carcassonne, il bénéficie même d’« une solide immunité ». Que dit l’art. 53-2 ? La République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998 (ndlr : traité de Rome) ». Cela signifie que la France adhère à la Cour Pénale Internationale et cette dernière a été activée en 2002. Elle est une juridiction pénale internationale permanente, et à vocation universelle, chargée de juger les personnes accusées de génocide, de crime contre l’humanité, de crime d’agression et de crime de guerre. Ex : V. Poutine a été condamné par la CPI avec un mandat d’arrêt international (dont l’exécution nous semble assez inenvisageable).
Dès lors si le président français commet un génocide ou crime contre l’humanité durant son mandat, il sera d’abord passible de la CPI. Et, si les faits sont avérés, il y aura là une cause toute trouvée pour être destitué. Quant à ce manquement visé par l’art. 68 C, il n’a jamais eu lieu depuis 2007. Heureusement. Alors on ne peut qu’avoir recours à des hypothèses d’école. Imaginons le président qui, appelé par l’appât du gain, vendrait les codes nucléaires à un pays étranger. Également celui qui déclencherait l’art. 16 sans que les conditions soient remplies. Ou encore celui qui, toujours attiré par les subsides, puiserait dans les caisses de l’Etat. Mais précisons aussi que si le « manquement » en cause peut concerner le comportement politique, il peut aussi viser le domaine privé. Ainsi si le chef de l’Etat assassine sa conjointe à Brégançon. Un criminel ne peut décemment pas demeurer à la tête de l’Etat ;
Pour en revenir à l’hypothèse émise par LFI, elle nous parait aussi impertinente qu’extravagante. Jean-Luc Mélenchon et quelques-uns de ses affidés, dont Manuel Bompard et Mathilde Panot, annoncent donc dans une tribune de presse qu’ils déposeront sur le bureau de l’Assemblée nationale une demande de destitution du président de la République si celui-ci ne nomme pas Lucie Castets à Matignon. D’abord où est le manquement ? Depuis le 16 juillet Gabriel Attal et son gouvernement sont démissionnaires. Ils expédient les affaires courantes comme l’on dit. Mais attention quand même car selon la définition des « affaires courantes » posée par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 4 avril 1952, un gouvernement démissionnaire doit se borner à assurer le fonctionnement des administrations et la prise en charge des urgences.
Or là G. Attal va plus loin en adressant des injonctions écrites aux groupes parlementaires et en évoquant déjà de budget 2025. A moins qu’il ne se prépare à s’auto-succéder ?….
Alors qu’elle est mise en cause par certaines, précisons aussi que dans la Constitution absolument rien n’est dit sur le délai pour nommer le Premier Ministre et le gouvernement. Dès lors E. Macron peut tout à fait « jouer » de la trêve olympique pour prolonger cet état de fait. Rappelons que, comme nous l’avons dit dans ses colonnes, la nomination du locataire de Matignon est un pouvoir propre du chef de l’Etat. Il l’exerce seul en étant ainsi « maitre des horloges ». Ce temps pris par le locataire de l’Elysée (plus d’un mois) est tout à fait inédit depuis 1958. Il n’est qu’à réviser la Constitution pour proposer de fixer un délai de nomination. Mais nous ne sommes même pas sûr que le CC ne censurerait pas ! Ainsi le fait de « tarder » (ndlr : sur la base de quels délais ?) à constituer un gouvernement n’est pas une faute constitutionnelle à notre sens. S’il existait un délai (un mois par exemple) ce serait autre chose.
En revanche ce que personne n’évoque c’est que lorsqu’un ministre devient parlementaire, il a un mois pour choisir le poste qu’il veut en raison du non-cumul. Or là, on est hors délai.
On est loin quand même du « coup de force institutionnel » vilipendé par LFI. « Aucune proposition n’a jamais passé le filtre du bureau »
Quant à l’hypothèse de Mme Castets, elle prêterait à sourire s’il ne s’agissait pas des affaires de la France. D’abord qui est politiquement cette femme ? Une seule chose : haute fonctionnaire (directrice financière à la Ville de Paris) et membre emblématique de LFI. Aucune fonction élective. Marine Le Pen a raison de s’interroger : « À quel titre Lucie Castets prétend-elle participer à la réunion de vendredi à l’Élysée concernant les chefs de parti et les présidents des groupes parlementaires à l’Assemblée nationale et au Sénat ? ». Dénonçant « un coup de force », la députée frontiste insiste : « Elle n’est ni députée, ni cheffe de parti, ni présidente de groupe. Elle est imposée par la coalition minoritaire du NFP ». Là aussi E. Macron innove. Imagine-t-on de de Gaulle à Chirac ce genre de situation ?….
E.Macron, qui vient tout de même du socialisme, devrait garder en tête ce message de Mitterrand : « on ne pose pas de condition au chef de l’Etat ». Il est vrai que, à cause de sa dissolution ratée, l’état de la majorité parlementaire est tel que la liberté du choix élyséen est assez réduite.
Peut-être faudrait-il aussi revenir à une élection du Premier Ministre par l’Assemblée que le président validerait ou pas ? Les républiques précédentes, après tout, le pratiquaient.
2) La sanction de la faute
« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. » Code civil (21 mars 1804), article 1382. On dit souvent que c’est ici la règle la plus lumineuse posée par ce code encore largement napoléonien. Notamment quant à la responsabilité. On peut aussi, quelque part, la transposer aussi au domaine politique. C’est encore plus essentiel lorsqu’un président cause du tort à sa fonction et donc au pays qu’il incarne.
Rappelons qu’au titre des synonymes de destitution, il y a selon Le Robert : licenciement, renvoi, [d’un haut personnage, fonctionnaire]
Il faut lever le voile ici sur un point méconnu. Pendant la durée de la procédure de destitution, le chef de l’État continue d’exercer ses fonctions. Il n’y a pas d’intérim. Présomption d’innocence oblige. La destitution est une procédure politique et non pénale. Elle constitue une sanction politique du Président, car pour rappel, celui-ci est pour l’essentiel irresponsable sur le plan pénal, civil et administratif pendant le cours de son mandat. C’est ce que le doyen Vedel appelait si justement « le paradoxe de l’irresponsabilité ».
On l’a exposé en analysant l’art. 68 C et la loi organique de 2014, il y a des questions de majorité strictes pour appliquer la procédure de destitution. Ce qui rend cette dernière assez hypothétique. Par exemple la proposition de LFI a les plus grandes chances de finir aux oubliettes. Et imaginons un instant que même si elle était impulsée à l’AN, elle pourrait tout à fait être bloquée au Sénat.
Comme le souligne notre collègue B. Morel, « aucune proposition n’a jamais passé le filtre du bureau ». C’est aussi pour LFI le moyen de mettre la pression sur E.Macron mais aussi de tester le NFP
Imaginons toutefois, et en forçant le trait, que cette destitution soit tout de même votée par la Haute Cour. La faute du chef de l’Etat est donc reconnue et sanctionnée. Sa destitution amène automatiquement la fin de ses fonctions. Sine die peut-on dire. Cela signifie ni plus ni moins que, que la destitution votée par exemple à 15h, ce dernier n’est plus président à 15 h 01. Il doit donc quitter l’Elysée dans les plus brefs délais. C’est le président du Sénat qui, comme l’exige la Constitution, assure alors l’intérim. Il est chargé pour l’essentiel d’expédier les affaires courantes et de préparer le nouveau scrutin présidentiel.
Une telle situation permettrait d’abord aux constitutionnalistes de remettre sur le métier leurs ouvrages ! Ensuite, et plus sérieusement, ce serait une première dans l’histoire républicaine. Incontestablement ce serait ensuite pour le destitué la pire des infamies. Du genre de celles dont il est très difficile de se remettre. Également, ce serait en quelque sorte la double peine ou la double lame c’est selon.
En effet après la défaite aux législatives, donc la sanction du peuple, il y a celle de la représentation nationale. La disgrâce totale. Probablement la mort politique. Celle qui est la plus dure à accepter !
Poursuivons notre pensée un peu enhardie. Que resterait-il alors à celui qui est le plus jeune président de la République jamais élu ? L’exil ou, plus joliment, La tentation de Venise. C’est-à-dire ce désir de changer de cap vers une cité à nulle autre pareil. Un certain nombre de politiques y ont succombé (A. Juppé par ex). Se ressourcer, se changer les idées, réfléchir, écrire. Mais se changer soi-même demeure souvent l’affaire de toute une vie. S’éloigner pour revenir (ou pas d’ailleurs).
Mais il est temps de se réveiller. Nous avons fait un cauchemar. Personne n’a pu penser tout cela et encore moins le faire. Ouvrons les yeux. La Haute Cour n’a pas eu lieu. Le cours des choses reprend.
« Tout va (ndlr : presque) pour le mieux dans le meilleur des mondes » (Eugène Forcade)
Raphaël Piastra,
Maitre de Conférences-HDR droit public