Parmi les revendications farfelues des « gilets jaunes », figure la destitution du président Macron. Cette procédure est inspirée de celle qui se pratique aux Etats-Unis, l’impeachment. Les récentes élections de mi-mandat s’y sont récemment déroulées. Ces dernières ont consacré une victoire des démocrates. Dans ce contexte-là, étant donné les « affaires » qui tournent autour de Donald Trump, une procédure d’impeachment est évoquée. Dans ce cadre-là, il nous est apparu important de resituer cette procédure en la comparant avec la destitution prévue à l’article 68 C.
Dès lors, on procédera d’abord à l’étude de cet impeachment avant que d’évoquer la destitution.
L’impeachment américain
Tout d’abord il faut préciser que cette procédure est d’ordre pénal. En France il s’agit d’une procédure constitutionnelle. L’impeachment est utilisé lorsque, dans ses fonctions, le président des Etats-Unis est reconnu coupable de trahison, concussion ou autres crimes ou délits graves1
. Dans ce cas, ce sont la Chambre des représentants et le Sénat qui interviennent 2
.
L’impeachment s’est révélé, en pratique, très difficile à utiliser. Des quarante-cinq présidents américains, la procédure n’a été menée à son terme que contre le président Andrew Johnson en 18673
. Avant lui il y eu deux tentatives, contre Andrew Jackson (1829-1837) et contre John Tyler (1841-1845)4
. Précisons qu’au cours du XIXe siècle, le Congrès a sollicité l’impeachment comme un moyen d’affirmer sa suprématie contre l’exécutif.
Puis la procédure a été en quelque sorte mise en sommeil. En effet il faut attendre le président Nixon (1968-1974) pour la voir réutilisée. En cause, l’affaire du Watergate. Celle-ci a de multiples ramifications. Elle commence en 1972 avec l’arrestation, dans l’immeuble du Watergate, de cambrioleurs dans les locaux du Parti démocrate à Washington. Les investigations menées par des journalistes et une longue enquête du Sénat américain finissent par lever le voile sur des pratiques illégales de grande ampleur au sein même de l’administration présidentielle. Le Washington Post révèle aussi des financements irréguliers dans la campagne de Richard Nixon (réélu en novembre 1972). L’existence d’un système d’écoute dans la Maison-Blanche est rendue publique. Nixon s’oppose à la restitution des bandes magnétiques des enregistrements, confirmant ainsi son implication. Il avoue alors ses mensonges. Le Congrès engage la procédure d’impeachment. Acculé, Nixon se résout à démissionner5
.
Le deuxième président américain à être visé par l’impeachment, est B. Clinton (1993-2001) 6
. Il s’agissait d’une affaire de mœurs entre ce dernier et une secrétaire de la Maison Blanche, M. Lewinsky. Dans un premier temps, B. Clinton, sous serment, nie avoir eu « une relation sexuelle » avec cette dernière. Mais des traces d’ADN sur un vêtement de celle-ci ainsi que des enregistrements, contraignent le président à des excuses publiques. L’impeachment est déclenché en 1998, mais il n’aboutit pas 7
.
Comme on le mentionnait plus haut, D. Trump est visé par un certain nombre d’affaires. On l’attendait sur le dossier russe, c’est finalement sur une affaire privée que Donald Trump apparaît aujourd’hui le plus vulnérable. Avec le revirement de Michael Cohen son ancien avocat , les affaires qui entourent le président américain sont entrées dans une phase plus concrète. Et les observateurs sont partagés sur la tournure que pourraient prendre les événements8
. Il existe trois hypothèses. D’abord même si « Donald Trump est aujourd’hui, techniquement, un co-conspirateur non accusé » (Allen Lacovara, New-York Times), il est très peu probable que le département de la Justice lance des poursuites contre lui dans l’immédiat. Une autre possibilité est d’engager une procédure criminelle une fois que Donald Trump aura quitté la Maison Blanche. Enfin, reste la possibilité d’ une procédure d’« impeachment » . Les juges de Manhattan en charge de l’affaire Cohen pourraient déclencher une enquête pour déterminer les responsabilités du président, puis envoyer leurs conclusions à la Commission juridique de la Chambre des représentants, qui a autorité en matière de destitution. On pensait qu’ un vote de destitution à la majorité des deux tiers par le Sénat, contrôlé par les républicains, était impensable 9
. Les élections de mi-mandat (ou midterms) auraient pu en décider autrement. Mais le décompte des voix révèle que si la majorité reste républicaine au Sénat (53 sièges au lieu de 51), elle passe aux démocrates à la Chambre avec 218 sièges. La « vague bleue » attendue n’a pas eu lieu10
. Le Sénat, resté conservateur, gardera donc son pouvoir de blocage contre l’impeachment. D. Trump va donc poursuivre son mandat. Ce dernier a posté un message de réaction, évoquant un « immense succès ». Mais le président américain enregistre en réalité une demi-défaite, même si la poussée démocrate n’est pas aussi importante qu’espérée par l’opposition. Cette affaire reste quand même pendante, au moins dans l’esprit des américains.
« La majorité démocrate à la Chambre des représentants ne devrait pas engager de procédure de destitution », a indiqué Nancy Pelosi, présidente des démocrates de cette assemblée. Elle s’est réjouie de la « restauration des pouvoirs et contre-pouvoirs constitutionnels » 11
. Dès lors une cohabitation (comme les USA en ont déjà connu) a débuté .
La Chambre aura donc pour pouvoir principal de gêner la fin du mandat présidentiel de D. Trump, en lançant des commissions d’enquête (sur d’éventuels conflits d’intérêts entre les sociétés de Trump et la présidence) et en appuyant l’ « enquête russe » que mène le procureur spécial Robert Mueller. Elle pourrait aussi le forcer à revoir ses politiques en matière d’immigration et de commerce.
Une autre affaire (de mœurs cette fois-ci), le Stormygate, vise aussi D. Trump12
. Quel sera le résultat de la plainte déposée pour tenter de faire invalider cette fameuse clause de confidentialité, signée quelques jours avant l’élection présidentielle, en octobre 2016 ? Cette affaire soulève plusieurs questions juridiques qui peuvent sérieusement gêner le président Trump. Pour être plus précis disons que le dossier comprend, pour l’heure, deux volets : la clause de confidentialité (que l’actrice souhaite dénoncer) et une autre plainte, émanant d’une association de citoyens, estimant que l’argent versée à l’actrice viole les lois électorales. Egalement cette affaire relance un débat juridique qui n’est pas tranché aux Etats-Unis : le président peut-il, oui ou non, être poursuivi pendant son mandat ? En théorie, le chef de l’Etat ne jouit pas d’immunité concernant des affaires antérieures à son élection, si ces affaires sont traitées par la Cour d’un Etat américain (et non par un tribunal fédéral).
Mais ces litiges, exposés au public, sont politiquement sensibles, si bien que peu de juridictions d’Etat osent s’en saisir. La procédure d’impeachment peut-elle être enclenchée ? Une bataille juridique a démarré. Selon nous, c’est peut-être l’accumulation d’affaires qui pourrait amener à ladite procédure. Dans un premier temps le Stormygate pourrait surtout contribuer à déstabiliser le président et sa famille, dans une Amérique puritaine, où les infidélités d’un homme politique sont traditionnellement sévèrement jugées par l’opinion publique.
Il convient à présent d’analyser la procédure de destitution mise en place en France.
La destitution française
C’est juste avant la fin de son mandat que J. Chirac a impulsé, en novembre 2007, une révision constitutionnelle d’envergure13
. La modification de l’article 68 C. instaure une procédure inspirée de l’impeachment américain. Qu’en est-il ? Selon le nouvel article 68-1 « Le Président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour »14
. Ladite destitution peut porter sur le comportement politique mais aussi privé du Président, à condition que ses actes aient porté atteinte à la dignité de sa fonction. Elle pourrait être déclenchée en dehors de toute infraction pénale et constitue une sanction politique, et non pénale, du Président.
Quels peuvent être ces « manquements » ? Il y a un certain flou quant à la définition du « manquement ». Selon notre collègue Didier Maus (membre de la commission Avril, qui a inspiré la révision constitutionnelle de 2007), il faudrait « soit que le président bloque le fonctionnement des institutions », en refusant de signer les lois ou en bloquant la Constitution par exemple, « soit que son comportement personnel soit indigne de sa fonction » (crime, propos publics inacceptables, etc.)15
. On peut envisager aussi le président (prix par le syndrome Deschanel !) vendant les codes nucléaires français à une puissance étrangère.
Dès lors la nouvelle procédure, est plus adaptée qui prévoit une sanction : la destitution.
C’est une des deux assemblées qui propose la réunion de la Haute Cour et la transmet à l’autre. C’est « la Haute Cour (est) présidée par le président de l’Assemblée nationale (qui ndlr) statue dans un délai d’un mois, à bulletins secrets, sur la destitution. Sa décision est d’effet immédiat ». Il faut préciser que cette procédure étant lourde de conséquences, elle impose des conditions substantielles. Ainsi « les décisions prises (…) le sont à la majorité des deux tiers des membres composant l’assemblée concernée ou la Haute Cour. Toute délégation de vote est interdite. Seuls sont recensés les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour ou à la destitution. Une loi organique fixe les conditions d’application du présent article ». On le note avec intérêt, les parlementaires sont tenus à l’assiduité ! Précisons qu’il a fallu attendre 2014 pour voir (enfin) apparaitre la loi organique16
.
Précisons un peu les éléments de procédure. La proposition est ensuite examinée, pour conformité, par le Bureau de l’Assemblée nationale (22 membres) ou du Sénat (26 membres). Puis, si elle est jugée conforme, le texte est transmis à la commission des lois (constituée de 82 députés ou 49 sénateurs), qui décide de l’adopter ou le rejeter.
Egalement si la résolution est adoptée par les deux assemblées, le bureau de la Haute Cour se réunit aussitôt. Les 22 membres de ce dernier doivent être désignés conjointement par les bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat en « s’efforçant de reproduire la configuration politique de chaque assemblée ». En parallèle, une commission composée de six vice-présidents de l’Assemblée nationale et de six vice-présidents du Sénat est « chargée de recueillir toute information nécessaire à l’accomplissement de sa mission par la Haute Cour ».Elle dispose des pouvoirs d’une commission d’enquête parlementaire et peut entendre le président de la République ou son représentant. Elle doit émettre un rapport dans les quinze jours suivant l’adoption de la résolution.
L’élément majeur de la procédure de destitution, c’est la comparution du président de la République devant la Haute Cour. Elle ne peut durer que quarante-huit heures maximum, au bout desquelles le vote doit intervenir. Les débats sont publics mais seuls les membres de la Haute Cour, le président de la République (pour lequel c’est une quasi obligation !) et le premier ministre peuvent y prendre part. La Haute Cour doit ensuite statuer dans un délai d’un mois, sans quoi elle se voit dessaisie. Si le président de la République est effectivement jugé coupable de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat », il est destitué de ses fonctions et redevient un citoyen et un justiciable « normal ». Ne pourrait-on pas imaginer la réunion du Parlement en Congrès pour plus de solennité ?
La Haute Cour n’a pas de compétence pénale et ne peut pas le condamner à une peine mais la destitution permet, le cas échéant, de poursuivre l’ex-président devant la justice. Quant à sa responsabilité pénale, dès lors qu’il a quitté l’Elysée, elle peut être mise en jeu de façon tout à fait ordinaire17
. Enfin il faut préciser que la destitution entraîne la vacance de la présidence de la République (pendant laquelle le président du Sénat le remplace) et une élection anticipée a lieu dans un délai maximum de trente-cinq jours18
.
Nonobstant la volonté des gilets jaunes, depuis qu’il a été élu en juin 2017, pas un seul acte du président Macron ne peut déclencher la mise en œuvre de l’article 68. A sa décharge, les mesures économiques et sociales qu’il a impulsées, et que les gilets jaunes contestent, ne sont qu’une suite à celles qui se sont accumulées depuis des décennies. En d’autres termes et objectivement, la crise aigüe qui sévit en France, n’est pas uniquement du fait de l’actuel locataire de l’Elysée. Mais comme c’est lui qui est pour l’instant « aux manettes », il doit l’assumer et tenter d’y trouver une solution…
Pour conclure, on ne peut qu’être satisfait de constater que, depuis 2007, aucune procédure de destitution n’a été enclenchée dans l’hexagone. Espérons qu’il en soit ainsi encore longtemps. Quant aux Etats-Unis, même si les résultats des midterms ont tranché il n’y aura (théoriquement) pas d’impeachment mais une simple cohabitation.
Raphael Piastra,
MCF Université Clermont Auvergne
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- Section 2 de l’article IV de la Constitution de 1787.
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- Il appartient en effet à la Chambre des représentants, sur recommandation de sa commission judiciaire, d’accuser, à la majorité simple, le Chef exécutive, et au Sénat (qui possède le bloquant), de le juger coupable à la majorité des deux tiers. Précisons que cette procédure s’applique aussi contre le vice-président ainsi qu’à l’ensemble des fonctionnaires fédéraux.
↩
- Cela étant, à une voix près, la majorité requise des deux-tiers n’a pas été atteinte et il n’a finalement pas été destitué. Quelles furent les causes ? Andrew Johnson est devenu le 17e président des Etats-Unis (1865-1869) après l’assassinat d’Abraham Lincoln. Il est un ancien démocrate jacksonien du Sud, il rentre en conflit avec les républicains du Congrès sur la législation des droits civils et le rôle du gouvernement fédéral. Le conflit a donc conduit à la première procédure d ’ « impeachment » (ou « mise en accusation ») présidentielle de l’histoire américaine.
↩
- Le premier fut visé (suite à la querelle des nullifications) par une résolution par le Sénat qui fut par la suite retirée. Pour le second la Chambre des représentants ne suivit pas la commission judiciaire qui mettait en cause ledit président.
↩
- Le vice-président, Gerald Ford, nommé par Nixon, lui succède immédiatement. Sa première action officielle, très controversée, est de gracier Richard Nixon, ce qui a pour effet de stopper toute procédure. Bob Woodward, Gorge profonde : La véritable histoire de l’homme du Watergate, Folio, 2007.
↩
- A 46 ans il est le plus jeune président élu aux Etats-Unis.
↩
- Le Sénat vota contre cette procédure. Cette « affaire Lewinsky » choqua les Américains. Malgré cela, lors de la présidentielle de 1998, B. Clinton l’emporte de très peu face à Al Gore.
↩
- M. Cohen est mis en cause dans plusieurs dossiers (fausses déclarations auprès des banques et de l’administration fiscale, utilisation de sociétés écrans…) mais c’est bien sûr la charge de « tentative d’influence sur une élection » qui retient l’attention. M. Cohen affirme avoir agi sur l’ordre de Donald Trump, « avec comme intention d’influencer l’élection » présidentielle de 2016. Les Echos.fr, 22/08/2018.
↩
- Pour renouveler la totalité des 435 sièges de la Chambre des représentants, 35 des cent sièges de sénateurs, ainsi que 6 665 postes d’élus dans les Etats, dont 36 gouverneurs.
↩
- Résultats : Chambre des représentants = 218 sièges républicains.
↩
- LeMonde.fr,7/11/18. Puisque de « check and balances » il s’agit, notons que les discussions budgétaires entre le président Trump, qui réclame le financement d’un mur à la frontière avec le Mexique, et ses adversaires démocrates, qui s’y opposent, sont dans l’ impasse. Ce blocage a provoqué un « shutdown » qui a contraint nombre de fonctionnaires fédéraux, y compris certains travaillant à la Maison Blanche, à rester chez eux, l’Etat n’étant pas en mesure de les payer. Ce « shutdown », qui dure depuis 24 jours, est le plus long de l’histoire américaine.
↩
- du nom d’une actrice de films pornographiques a dit dit avoir eu une relation sexuelle avec l’actuel président des Etats-Unis en 2006. Celle-ci a déposé début mars un recours en justice à Los Angeles pour faire invalider l’accord de confidentialité de novembre 2016 qui la lie à l’avocat personnel de Donald Trump. Un accord à 130 000 dollars fut conclu à quelques jours de la présidentielle américaine. Le président américain a, dans un premier temps, indiqué qu’il ne connaissant pas cette affaire. Puis dans un second temps R. Giuliani (ancien maire de New York et autre avocat de Trump) a déclaré « c’était cet argent versé par son avocat (…) le président l’a remboursé sur une période de plusieurs mois », tout en ajoutant que le paiement allait s’avérer être « parfaitement légal » et que l’argent « n’était pas de l’argent de la campagne » ; Europe1 Le JDD, avec AFP, 4/5/2018.
↩
- Loi constitutionnelle n° 2007-238 du 23 /2/2007 modifiant le Titre IX. En effet trois révisions ont lieu.
↩
- L’ancienne rédaction prévoyait la haute trahison comme déclencheur d’une « mise en accusation ». Aucune peine n’était prévue.
↩
- Libération.fr, 23/07/2018.
↩
- Conçue par la Commission Avril sur le statut pénal du chef de l’État (ayant donné naissance à l’article 67 C.), la destitution constitue une contrepartie à la protection étendue dont bénéficie désormais le président. La loi organique n° 2014-1392 du 24 novembre 2014 portant application de l’article 68 de la Constitution est parue au Journal officiel le 25.
↩
- Exemple : J. Chirac condamné par le tribunal correctionnel de Paris en décembre 2015 ; N. Sarkozy mis en examen dans plusieurs affaires depuis 2007.
↩
- LeMonde.fr, 23/10/2014.
↩