« Il n’y a point de plus sûre manière pour jouir d’une Province [un Etat] que de la mettre en ruine », écrivait déjà Machiavel, dans son célèbre Prince en 1513. Vladimir Poutine a-t-il lu Machiavel ? Probablement pas. Une chose est certaine, il en applique les recommandations. Ainsi, tout atteste que le leader russe cherche moins à conquérir l’Ukraine qu’à la détruire.
A ses yeux, faut-il le rappeler, l’Ukraine est un « non-Etat », un « non-peuple ». Il faut donc liquider tout ce qui en assure l’existence : les écoles, les hôpitaux, les lieux de culture (théâtres), les bâtiments publics, les centres commerciaux.
Faire « table-rase » est pour M. Poutine une manière de purifier le territoire ukrainien, territoire « nazifié » selon ses propres termes. La purification passe « naturellement », d’abord par l’élimination des populations, une élimination physique à coups de bombardements massifs (qui sont, depuis le premier jour de la guerre, tout sauf accidentels).
Il s’agit bien de « génocider » le peuple ukrainien. La purification passe ensuite par l’exfiltration (sous forme d’un départ plus ou moins volontaire des populations vers les pays voisins —ainsi 10 millions de personnes, soit le quart de la population générale de l’Ukraine, ont-elles déjà fui les zones de combats pour devenir des « réfugiés »). Il faut dire que, paradoxalement, cette expatriation massive sert les intérêts de Vladimir Poutine qui songe probablement au « grand remplacement » de la population ukrainienne par une population plus soumise à sa cause (Staline, que Poutine admire tant, aurait sans doute parlé de « grandes purges »).
La dernière étape du plan de M. Poutine sera donc bien, n’en doutons pas, une fois tout détruit (hommes et bâtiments) et l’ancienne population massivement déplacée, de faire la « recolonisation » de l’Ukraine, sous la forme d’une russification (langue, culture…), qui fera de l’ancien Etat une sorte de nouvelle province de la Russie.
Telles sont, me semble-t-il, les réflexions qui devraient guider aujourd’hui toute approche et décision politique. Soyons clairs : pour éviter que le retour des réfugiés ukrainiens ne devienne de plus en plus improbable, il faut à tout prix empêcher la destruction totale du pays et en même temps empêcher que ne se poursuive l’hémorragie de populations – en la protégeant mieux dans les villes, en assurant sa subsistance. S’il ne restait plus en effet, dans quelques mois, que quelques milliers d’ukrainiens sur place, voire moins, le remplacement évoqué plus tôt par des Russes ou des russophones serait grandement facilité.
Redisons-le : M. Poutine veut détruire l’Ukraine, rien d’autre.
Et il entend le faire à la manière de Machiavel qu’il n’a probablement pas lu. Comment ? En faisant preuve de cruauté sur le champ de bataille. Sans elle, écrit-il dans Le Prince, « une armée n’est jamais unie ni prête à aucune opération ». Et de conseiller encore, au nom de la « bonne cruauté », d’agir de la sorte : « En prenant un pays, celui qui l’occupe doit songer à toutes les cruautés qu’il lui est besoin de faire et de les pratiquer d’un coup pour n’y retourner point tous les jours et pouvoir, ne les renouvelant pas, rassurer les hommes ou les gagner par des bienfaits ».
Vladimir Poutine est bien le digne héritier de Nicolas Machiavel, qui serait évidemment aujourd’hui poursuivi pour apologie de crimes de guerre.
Michel Fize
Sociologue, diplômé de sciences politiques