Le discours de politique générale d’Edouard Philippe de ce 12 juin traduit la difficile équation du gouvernement. Plus qu’une feuille de route pour l’acte 2 du quinquennat, la macronie dévoile son plan tactique pour fidéliser un électorat centre droit et convaincre une gauche sociale-démocrate séduite par le discours d’EELV. L’enjeu est donc de renouer avec la stratégie initiale, le « en même-temps » macroniste, un retour aux sources plus qu’un changement de cap pourtant promis par Emmanuel Macron. Pour la Revue Politique et Parlementaire, Benjamin Morel revient sur ce moment décisif pour le gouvernement.
Édouard Philippe est sans conteste ressorti renforcé des élections européennes de mai. Le discours de politique générale tenu mercredi devant l’Assemblée nationale, suivi d’un autre le lendemain devant le Sénat, est le marqueur non pas d’un changement de cap, mais d’une mise en avant du Premier ministre comme architecte de la politique.
Bien évidemment, il faut nuancer ce constat. Édouard Philippe a fait peu d’annonces et la feuille de route qui est la sienne n’est autre que celle fixée par Emmanuel Macron dans ses conclusions du grand débat. Le fait que ce dernier ait, cette année, renoncé à son discours annuel devant le Congrès, pour ne pas éclipser le moment de son Premier ministre, ne trompe personne. Édouard Philippe n’est pas Michel Rocard. Il n’a pas comme lui le soutien d’une faction du parti et de l’opinion contre le Président. Édouard Philippe n’est pas Jacques Chaban-Delmas. Il n’incarne ni une stratégie électorale ni une vision de la société qui serait différente de celle d’Emmanuel Macron.
Loin de l’image d’un Édouard Philippe triomphant dépeint ces derniers jours par la presse, les deux discours de politique générale du Premier ministre montrent qu’il a bien conscience de la situation qui est celle de la majorité. Une majorité parlementaire friable et une base électorale non fidélisée.
Les élections européennes ont montré que le macronisme avait gagné l’espace de la droite orléaniste, mais que l’espace social-démocrate, lui, avait été abandonné, notamment aux verts. Or, pour l’emporter lors d’une grande élection nationale à forte mobilisation, Emmanuel Macron a besoin d’incarner cette synthèse entre centre droit et centre gauche. Le discours de politique général, loin d’être une grande charge offensive, est donc la marque d’une tactique défensive visant à maintenir l’hégémonie de LREM sur ce centre. Au centre droit, à qui beaucoup de gages ont déjà été donnés pendant deux ans, on a parlé assurance-chômage, retraite, et même Islam. Au centre gauche, il a fallu parler écologie et loi bioéthique.
Ainsi se comprend ce qui fut, en fait, la seule vraie information de ce discours de politique général : le choix de la loi bioéthique plutôt que de la révision constitutionnelle dans les priorités parlementaires de septembre.
Il faut comprendre le contexte. Le calendrier parlementaire est plein et ne pouvait permettre d’examiner les deux textes. D’un côté, la loi bioéthique est devenue un emblème pour la gauche de la majorité qui a souffert pendant deux ans ; de loi asile et immigration, en loi PACTE. Ne pas examiner ce texte en septembre, c’était prendre le risque de voir se craqueler la majorité. De l’autre côté, la révision constitutionnelle n’apparaît comme une priorité pour personne. Son devenir est aléatoire au vu des réticences du Sénat. Surtout, la réduction du nombre de parlementaires risque de conduire certains députés LREM à se sentir plus libres de quitter le navire. Pour tenir une majorité parlementaire, un gouvernement dispose d’une carotte (l’investiture aux prochaines législatives), et d’un bâton (la non-investiture et la présentation d’un candidat face au sortant). Avec une diminution de moitié des circonscriptions en métropole, le gouvernement aurait perdu face à la moitié de ses députés à la fois la carotte et le bâton. Accuser le Sénat, avec qui l’accord était possible, de la mise sous le boisseau de cette réforme, permet de sauver la face. Toutefois, c’était d’abord et surtout dans l’intérêt du gouvernement de la renvoyer dans les limbes.
Le discours de politique générale nous informe donc beaucoup sur les difficultés de la majorité et le degré de conscience aiguë qu’en a Édouard Philippe.
Loin du triomphalisme de certains commentateurs, le Premier ministre a cherché à renforcer une majorité qu’il sait friable et une base électorale aujourd’hui déséquilibrée.
Le pari est habile et sans doute ne pouvait-il pas y en avoir d’autres. Toutefois, il repose sur un postulat encore à prouver. Ce postulat est celui de la conciliation possible, à long terme, dans une même majorité de la droite orléaniste et de la seconde gauche. Sur le papier, ces deux courants ont bien plus de points communs que de différences. Leur alliance est bien plus naturelle que leur opposition. Toutefois, leurs états d’âme sur certains sujets sensibles peuvent être redoutables. Comment réagira la gauche sociale-démocrate en cas de mobilisation massive sur l’assurance-chômage ou les retraites ? Comment le centre droit, historiquement bien plus marqué que la droite gaulliste par un catholicisme conservateur, réagira-t-il à la PMA ? Ce qui est fait pour plaire à soi sera-t-il suffisant pour faire accepter les gages allergisants donnés à l’autre ? Quand seconde et première gauches gouvernaient ensemble, elles acceptaient ces concessions au nom d’une identité englobante qui s’appelait « la gauche ». Quand orléanistes et bonapartistes gouvernaient ensemble, ils acceptaient également ces concessions au nom d’une identité qu’ils appelaient « la droite ». Sans doute l’attelage tenu par Emmanuel Macron est-il plus cohérent idéologiquement. Il ne possède toutefois pas cet esprit de famille qui implique la solidarité malgré, parfois, les haines et les ressentiments. Reste la peur du Rassemblement national ; les élections européennes ont montré que ce n’était pas forcément suffisant.
Benjamin Morel
Docteur à l’Ecole normale supérieure Paris-Saclay,
chargé d’enseignement à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à Science Po
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