Gérald Darmanin, en engageant une procédure de dissolution contre Génération identitaire a pensé faire preuve d’habileté politique, une manière de « en même temps » qui visait à cibler successivement les deux ennemis de la République, tels que qualifiés par Emmanuel Macron, l’islamisme d’un côté, l’extrême droite identitaire de l’autre. Après la dissolution du CCIF et de Baraka city, il pouvait sembler judicieux de cibler GI (et à travers eux le Rassemblement national), et de véhiculer ainsi l’image d’un gouvernement républicain, équitable et lucide. A l’inverse, le buzz médiatique déclenché par le ministre de l’Intérieur lui échappe des mains et le conduit tout droit dans une impasse politique. Décryptage de Frédéric Saint Clair.
Une question devrait nous interpeler : pourquoi la dissolution de Génération Identitaire fait-elle tant de bruit ? Et puis : pourquoi une large part de la classe politique a-t-elle jugé nécessaire de se prononcer – pour ou contre – cette dissolution ? Pourquoi tant d’articles dans la presse, d’émissions à la télévision ou à la radio, jusqu’à Cyril Hanouna qui invite sur C8 Thaïs d’Escufon, la porte-parole du mouvement à deux doigts de devenir iconique, deux fois en moins d’un mois ?
Ce que cette séquence révèle n’est pas aussi anodin qu’on pourrait le croire. La France n’est pas en train de se passionner, et de se diviser, l’espace de quelques jours, pour un groupuscule d’extrême droite, comme elle pourrait le faire pour un fait divers ou une quelconque crise. Nous sommes en train d’assister à un « désaxement » politique assez inattendu, que les images filmées place de la République en juin dernier explicitent fort bien : en bas, plusieurs milliers de manifestants ; en haut, moins d’une dizaine. En bas, un message progressiste et inclusif ; en haut, un message nationaliste et exclusif. Qui fait le buzz ? Qui capte l’attention, à la fois des médias, des manifestants et des Français ? Nous ne parlons pas à ce stade de sympathie ou d’antipathie politique pour Génération Identitaire, mais d’intérêt politique, d’attention politique.
Ce mouvement n’est pas un acteur politique à part entière, mais il a en revanche acquis le statut de « pivot politique » – par analogie avec les pivots géopolitiques, tels que Brzezinski les définit en théorie des relations internationales. Pour le dire autrement : GI n’est pas à même d’engager un dialogue avec les Français, comme les partis politiques constitués ou certaines personnalités médiatiques peuvent le faire. Il n’est donc pas un acteur politique à part entière. En revanche, par ses actions symboliques, il sert de pivot à l’ensemble de la sphère médiatico-politique pour se positionner sur certains sujets régaliens : immigration, islam, etc., ainsi que sur cette notion politique source de fracture idéologique : la frontière. Ce n’est pas ce que dit GI ou ce que fait GI qui importe, mais ce que la symbolique de son discours et de ses actions permet aux acteurs politiques de dire ou de faire.
Le grand désaxement est précisément là : dans l’acquisition de ce statut de pivot qui transforme un mouvement microscopique et marginal sur l’échiquier politique en catalyseur du débat public.
C’est également ce positionnement désaxé qui transforme l’action du ministre de l’Intérieur en erreur magistrale. On ne peut pas « dissoudre » un pivot politique, un symbole. Car ce n’est pas tant la légalité du mouvement associatif qui importe que sa légitimité politique ; or on ne dissout pas une légitimité. D’autant que la légitimité d’un pivot est liée à la légitimité de l’ensemble des acteurs du système. Au travers des actions qu’il mène – légales ou pas, condamnables en droit ou pas – GI pose des questions politiques qu’il est devenu impossible d’évacuer, voire même d’ignorer, et que ni les juges ni le gouvernement n’ont vocation à trancher seuls, au risque de dérober au peuple une part de sa souveraineté. Espérer discréditer judiciairement GI pour tenter de discréditer les thématiques que ce mouvement incarne est donc illusoire. Ce procès, quelle que soit son issue, est une impasse politique.
Frédéric Saint Clair
Analyste politique