L’actualité est devenue riche en matière constitutionnelle en ce moment. Passons en revue les diverses thématiques abordées, avec plus ou moins de succès, par les politiques, la grande majorité des journalistes et de facto par le grand public. Par ordre de passage il y aura le référendum, la décision du CC sur la loi immigration, et l’IVG dans la Constitution.
Le référendum sur l’immigration
« L’imbécilité humaine est un bien curieux spectacle » estime à si juste titre Courteline. Et nos politiques ont ici une propension qui confine à l’addiction ! Et particulièrement à droite et à l’extrême droite. Marine Le Pen et Eric Ciotti sont les leaders en la matière. Renchérissant sur le Général (qui doit se retourner dans sa tombe en contemplant le spectacle) , on dira : « Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant : “référendum, référendum, référendum mais cela n’aboutit à rien et cela ne signifie rien… »
C’est consternant de voir que des personnalités dont l’une aspire à louer l’Elysée et l’autre préside un parti qui a produit quelques présidents, aient de telles lacunes en matière institutionnelle. Sauf à nous tromper, la leader souverainiste a pourtant obtenu un DEA de droit privé à la prestigieuse Université d’Assas où règne l’excellence. Elle a fatalement dû y avoir les cours de droit public professés par les plus grands maitres parisiens en la matière. Il semble qu’elle ne se souvienne plus de ces leçons. Écoutons notre brillant collègue Jean-Claude Martinez : « elle est du même niveau que Nadine Morano ou Rachida Dati. Elle n’était pas si différente des autres jeunes. Elle écrit en phonétique, ses devoirs étaient dramatiques ». Ceci explique-t-il cela ? Et pourtant dans le staff actuel de Mme Le Pen, figure un autre collègue publiciste Gilles Lebreton. Quant à M. Ciotti, après une Licence d’Économie à Nice, il est diplômé de l’IEP de Paris où il est impensable qu’on ne lui ait pas appris toutes les règles référendaires. Mais il est des étudiants qui ne comprennent pas tout ou ceux qui sont distraits ou ne viennent pas en cours, c’est selon !!
Il est rare que, dans la doctrine publiciste française, une telle unanimité se fasse autour d’un thème, celui du référendum sur l’immigration. Il est inenvisageable en l’état actuel du droit. Rappelons une fois encore (on l’a déjà fait dans ces colonnes) les règles du référendum définies par la Constitution à l’art. 11. Le plus important à rappeler ici est le premier alinéa : Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux Assemblées, publiées au Journal Officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions. Il convient de « décortiquer » un peu pour ceux qui n’ont pas compris ou ont des soucis de mémoire. Le domaine du référendum porte donc s’exercer sur trois domaines :
- Tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics.
- Tout projet de loi portant sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ouenvironnementale de la nation…
- Tout projet de loi tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.
Ce sont ces domaines là à l’exclusion de tout autre qui peuvent faire l’objet d’un référendum. Alors où peut se situer l’immigration dans ces catégories ? Et bien nulle part. Absolument nulle part. Organisation des pouvoirs publics ? Non. En revanche l’élection du président de la République, telle qu’issue de la grande réforme de 1962, en relève incontestablement. Réforme économique, sociale ou environnementale ? Non plus. Selon la définition adoptée par le Haut Conseil à l’Intégration, un immigré est une personne née étrangère à l’étranger et résidant en France. Les personnes nées Françaises à l’étranger et vivant en France ne sont donc pas comptabilisées. Certains immigrés ont pu devenir Français, les autres restant étrangers. Les populations étrangère et immigrée ne se recoupent que partiellement : un immigré n’est pas nécessairement étranger et réciproquement, certains étrangers sont nés en France (essentiellement des mineurs). La qualité d’immigré est permanente : un individu continue à appartenir à la population immigrée même s’il devient Français par acquisition. C’est le pays de naissance, et non la nationalité à la naissance, qui définit l’origine géographique d’un immigré (www.insee.fr/).
L’immigration est aussi le phénomène d’entrée dans un pays d’accueil d’individus ou d’une population d’individus non autochtones, en général pour y trouver un emploi ou avec l’intention de s’y établir dans la perspective d’une meilleure qualité de vie.
Dès lors l’immigration n’est en elle-même ni un phénomène économique, ni même social et encore moins environnemental. En revanche, l’immigration a un impact sur l’économie et le social. Notamment si elle n’est pas maitrisée comme c’est le cas depuis des décennies en France.
Nous disions plus haut qu’en l’état actuel du droit et donc de l’article 11 C, tout référendum sur l’immigration était proscrit.
En revanche, il est toujours envisageable de tenter de modifier ledit article en étendant son champ.
Pour ce faire il est nécessaire de procéder à une révision dudit article 11. La tâche serait hardie ! Certains s’y sont essayés. En 1984, François Mitterrand tente un coup de poker et propose d’élargir les conditions d’organisation d’un référendum pour l’étendre aux libertés publiques. L’initiative est surtout pensée pour faire adopter le projet de loi Savary. Ce texte, qui vise à intégrer les écoles privées dans « un grand service public », fait descendre plus d’un million de Français dans la rue, et fragilise le gouvernement. Résultat : au printemps 1984, la cote de popularité du chef de l’État est au plus bas (30% de satisfaits), trois ans seulement après son accession à l’Élysée. Le président fait face à une crise sociale profonde. Il lui faut sortir de l’impasse. Dès lors, comme nous l’a confié Charasse, « vu les risques d’émeute, on a pressé le président pour qu’il retire ce projet mal ficelé ». Ce qu’il fit.
Lorsqu’il a réuni les partis politiques à Saint-Denis l’été dernier, E.Macron a aussi proposé, parmi différentes réformes, d’étendre le champ référendaire. Il se trouve que si la majorité des invités se rejoignaient sur le l’idée, aucun consensus n’a été trouvé sur le sujet à intégrer. Le chef de l’Etat a donc rangé son idée, probablement dans les cartons de l’histoire qu’il commence à constituer en vue de 2027….
Puis, par la bouche d’O. Veran alors porte-parole du gouvernement, on a vu surgir à la rentrée dernière la notion de « préréférendum ». Selon l’ancien brillant gestionnaire de la crise Covid, il s’agit d’un « concept » qui permettrait à l’exécutif « de tester plusieurs sujets à la fois, au cours d’un même vote« . Voilà la en tout cas un barbarisme constitutionnel du plus mauvais aloi ! Le « préférendum » proposé est assurément « un moyen de contourner le recours au référendum tout en donnant l’impression d’organiser un débat démocratique » estime notre éminent collègue Guillaume Drago. C’est là un procédé sans aucune valeur juridique. Donc nul et non avenu.
Et puis n’ayant encore fait aucune annonce forte en matière institutionnelle au bout de deux heures de sa dernière conférence de presse, le président Macron s’est contenté de nous dire : Mais oui, je ferai un référendum. Je n’ai cependant pas d’annonce aujourd’hui sur le sujet. » Tout ça pour ça ?! Coluche avait deux formules sur ceux qui n’ont rien à dire. Révérence gardée envers le chef de l’État, on reprendra la plus soft : « De tous ceux qui n’ont rien à dire, les plus agréables sont ceux qui se taisent »….
En matière référendaire, la voie est donc particulièrement étroite voire sans issue. Pourtant il y a des précédents dans l’histoire de la Vé. Avant tout l’utilisation faite par le général de Gaulle en 1962 puis en 1969. C’est-à-dire une sorte de synthèse entre l’art. 11 et l’art. 89 (consacré à la révision constitutionnelle). On entend déjà çà et là des voix qui s’élèvent pour dénoncer le référendumplébiscite attentatoire à la Constitution. Foin de cela ! En 1962, le peuple valide l’élection du président au suffrage direct et, certes, le général est conforté. Donc la procédure hétérodoxe de révision est acceptée. En 1969, le peuple rejette la régionalisation et la réforme du Sénat. Le général quitte le pouvoir. En 1994, Mitterrand lui-même qui fut un censeur de son illustre prédécesseur, estimera que désormais, à côté de l’art 89, il existe une autre procédure pour réviser, l’article 11. En cet ultime mandat, oserez-vous M. Macron ? L’audace a du génie, du pouvoir, de la magie (Goethe).
De la décision du Conseil Constitutionnel sur la loi immigration (décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024, www.conseil-constitutionnel.fr/actualites).
Nous n’exposerons ici que quelques mots sur cette jurisprudence qui ne manquera pas de susciter une foultitude de commentaires. Pour fixer le cadre de notre propos, nous nous rallierons volontiers à ce qu’a dit Sasha Houlié, député macroniste historique, à propos de cette décision du Conseil qui « valide le projet initial du gouvernement ». Car c’est cela qui est le plus frappant à nos yeux. À quelques lignes près, les 9 Sages ont bel et bien revu le texte afin qu’il soit respectueux de nos droits et libertés.
Pour ce faire il l’a débarrassé des règles de durcissement mises en place par les LR et le RN.
C’est presque aussi « bête » que cela ! Et G. Darmanin a repris plus ou moins cette position.
Reprenons le communiqué de presse qui figure sur le site du Conseil Constitutionnel qui résume l’essentiel : « Pour motif de procédure et en application d’une jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel censure 32 articles de la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, qui comptait 86 articles. Il censure en outre au fond, partiellement ou totalement, 3 de ses articles et assortit de réserves d’interprétation 2 autres articles. Il déclare partiellement ou totalement conformes à la Constitution 10 articles de la loi déférée, dont celui relatif à l’engagement de l’étranger de respecter les principes de la République ».
Ce sont ainsi près de 40% des articles qui ont été censurés totalement ou partiellement. Précisons que la trentaine d’articles censurés l’ont été comme « cavaliers législatifs », c’est-à-dire sans liens suffisants avec le texte initial. Cela démontre de façon irréfutable qu’étant donné que ces cavaliers ont été l’œuvre exclusive de l’opposition (LR et RN) notamment au Sénat, il n’a pas du tout été tenu compte des divers avertissements qu’ont donné un certain nombre de nos collègues (D. Rousseau par exemple) et même la présidente de l’Assemblée Nationale.
Le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, avait rappelé non sans irritation le 8 janvier, lors de ses vœux au chef de l’État, que l’instance n’était pas « une chambre d’appel des choix du Parlement« .
Cette décision est avant tout un camouflet certain pour les parlementaires LR à la manœuvre sur la majorité des règles ayant durci le texte. Alors oui il y a besoin de revoir nos normes en matière d’immigration en particulier clandestine. Les derniers chiffres du Ministère de l’Intérieur sont éloquents et démontrent s’il en était besoin qu’un laxisme certain est à l’ordre du jour depuis quelques décennies. D’autant que de plus en plus d’immigrés clandestins alimentent le flux de la délinquance et la criminalité. À ce titre, le président Macron a établi officiellement, en 2022, le lien entre immigration et insécurité. Son ministre de l’Intérieur G. Darmanin lui a emboité le pas (https://www.lopinion.fr, octobre 2022).
Mais il est plus honnête de préciser que c’est l’immigration clandestine qui pose problème. C’est-à-dire une minorité dans l’immigration en général.
Un certain nombre de critiques ont fondu sur cette décision du Conseil. Nous retiendrons notamment celle de MM Camby et Schoettl (« Censure du Conseil constitutionnel : « Face à l’immigration, le Parlement peut-il encore légiférer ? », www.lefigaro.fr/vox/politique, 26 janvier 2023). Politiquement nous dirons que c’est surtout lorsque le Parlement légifère à la hussarde (et c’est ce qui a été fait sur la loi immigration) avec des élus majoritairement ignorants de la Constitution, qu’il travaille mal et se tire une balle dans le pied. Et donne du grain à moudre aux Sages. Alors effectivement le Conseil a retoqué près de la moitié du texte. Mais il n’a pas œuvré au gré du vent, de ses humeurs ou du bon vouloir des personnalités qui le composent. Il s’est fondé sur deux bases majeures. D’abord la Constitution de 1958 avec la Déclaration de 1789 et le Préambule de 1946. Ensuite la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Nous avons déjà eu l’occasion de dire dans ces colonnes qu’il serait opportun de « Déclasser les grands textes » (RPP, 26/6/23). Ils sont devenus l’Alpha et l’Oméga paroxystiques dans l’analyse du Conseil. Le fondement du fondamentalisme droit de l’hommiste décrit d’ailleurs par JE Schoettl. Trop de droits tue le droit, trop de libertés, tue la liberté ! Un seul exemple sur lequel le Conseil s’est appuyé. Voici environ quarante ans, le législateur avait pénalisé, à bon droit, le fait d’être étranger clandestin sur notre territoire. C’était un délit qui permettait aux forces de l’ordre d’agir efficacement. Pas un policier ne dira le contraire. Dans sa grande candeur (et pour satisfaire à la CEDH) le président Hollande a supprimé ce délit. Résultat immédiat : un surcroit de délinquance et criminalité. Dans leurs cavaliers, les parlementaires LR et RN ont repositionné ce délit.
Le Conseil a censuré de façon imparable.
Quant à la Convention Européenne des Droits de l’Homme, elle permet dans chaque pays qui l’a signé des dérives du même type.
Rappelons que l’UE n’a pas (encore ?) adhérer à cette convention.
Motif : atteinte à l’autonomie du droit de l’Union quant aux conditions de son contrôle. Il appartient donc à la France d’estimer qu’elle n’est plus maitresse chez elle et de renoncer à ce texte. Le droit des traités, pour faire simple, est basé sur un principe associatif. Il permet donc de signer, de ne pas signer, de se retirer voire de « resigner ».
Ainsi si la Grande-Bretagne voulait revenir dans l’UE, elle le pourrait !
M. Darmanin, principale vigie de la sécurité (qui donne étonnamment carte blanche aux paysans qui manifestent quand les gilets jaunes avaient carton jaune ou rouge) a salué la décision du Conseil et précisé : « C’est un texte très important pour les Français. […] Ce qui m’intéresse c’est d’appliquer la loi […] Jamais la République n’aura eu de loi aussi dure ». MM Poniatowski et Pasqua se retournent dans leur tombe !!
Constitutionnalisation de l’IVG
Comme E. Macron sait pertinemment qu’il n’aura jamais de majorité parlementaire pour faire une (grande) révision constitutionnelle, il joue petit bras et veut inscrire la protection du droit à l’IVG dans la Constitution.
Les députés ont largement approuvé dans la nuit de mercredi à jeudi le principe d’inscrire dans la Constitution la « liberté garantie à la femme d’avoir recours à une IVG ».
Un vote solennel doit définitivement confirmer l’adoption de la mesure mardi avant qu’elle ne soit débattue au Sénat.
Désormais le texte doit arriver au Sénat. Et là le président Larcher a opiné ne pas souhaiter que l’interruption volontaire de grossesse (IVG) soit inscrite dans la Constitution. « Je ne pense pas que l’IVG soit menacée en France« , a soutenu le président du Sénat. On ne peut que souscrire à ces propos. D’autant que la France a signé diverses conventions à cet égard qui font de nous un des pays le plus protecteurs de l’UE. Même la mère de l’IVG,
Simone Veil, ne souhaitait pas constitutionnaliser sa réforme.
En revanche le président Larcher se méprend lorsqu’il estime que « la Constitution n’est pas un catalogue de droits sociaux et sociétaux« . En effet le préambule de 1946 en regorge ! Et la Déclaration de 1789 presque autant. Nous disions plus haut notre inquiétude sur ce qui est devenu une sorte de dictature des droits et libertés.
Comme le veut l’art.89 C sur la révision, pour qu’un Congrès puisse être réuni, il faudrait que le Sénat approuve le 28 février cette notion de « liberté garantie », qui font tiquer des cadres à droite. Il est fort à parier que la Haute Assemblée adoptera à nouveau une version différente de l’Assemblée. Et la navette parlementaire reprendra. Et ainsi de suite…. L’ancien député de l’Allier que nous avons bien connu, Jean-Michel Belorgey, écrivait en 1991 un ouvrage essentiel, Le Parlement à refaire (Gallimard). Il y dressait le « tableau de la pathologie parlementaire » comme un signe fort d’une crise démocratique. Il y livrait une série de solutions. Nous ne pouvons qu’inciter nos parlementaires à le lire comme source d’inspiration car 33 ans après le mal a empiré…..
Quant à cette révision sur l’IVG, nous posons une question. Hormis Sophie Marceau, meilleure actrice que militante politique, et quelques féministes à cran, nous avons un doute sur l’importance de cette révision dans l’opinion française.
Pouvoir d’achat, chômage, insécurité voilà les principaux problèmes qui inquiète nos concitoyens.
« Arrêtez d’emmerder les Français ! Il y a trop de lois dans ce pays, on en crève, laissez-les vivre, et vous verrez ça ira beaucoup mieux. » » disait le président Pompidou, en 1966, à un jeune collaborateur (un certain Chirac) qui arrivait avec un parapheur plein à craquer….
Raphael Piastra,
Maitre de Conférences en droit public des Universités.
Source photo : HJBC / Shutterstock.com