Dans sa dernière livraison, la Revue Politique et Parlementaire a publié une interview de Laurence Rossignol, sénatrice de l’Oise, co-rapporteure du rapport “Porno : l’enfer du décor”. La délégation aux droits des femmes du Sénat y dénonce notamment une industrie de la pornographie qui génère des violences systémiques envers les femmes. Elle alerte le gouvernement et l’opinion publique sur l’ampleur de ce phénomène et appelle à faire de la lutte contre les violences pornographiques et leurs conséquences une priorité de politique publique et pénale. Pour Daniel Borrillo, juriste et chercheur associé au sein du think tank GenerationLibre, si l’interdiction de la pornographie aux mineurs est incontestable, le dispositif proposé par le rapport pour les adultes mérite la plus grande attention afin de ne pas compromettre des libertés fondamentales telles que la liberté d’expression, la protection de la vie privée, la liberté sexuelle et la liberté d’entreprise.
Un projet de loi durcissant la législation actuelle en matière de pornographie sera bientôt présenté par le gouvernement. Il s’agit notamment d’empêcher l’accès des mineurs aux sites pornographiques en donnant à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique la possibilité de bloquer ces sites et d’appliquer une sanction allant jusqu’à 500 000 euros d’amende sans intervention judiciaire. Si l’interdiction effective de la pornographie aux mineurs semble évidemment nécessaire, l’amalgame avec la consommation d’images porno par des adultes consentants est pour le moins problématique. De même, considérer que des comportements criminels sont fatalement liés à l’industrie pornographie ne fait qu’alimenter la panique morale.
En ce sens, le 28 septembre 2022 la Délégation sénatoriale aux droits des femmes a rendu public un rapport sur l’industrie pornographique, Porno : l’enfer du décor, dénonçant les méthodes de travail de cette activité tout comme la consommation généralisée chez les jeunes et chez les adultes. La terminologie du rapport met en évidence la finalité abolitionniste de l’entreprise sénatoriale : « machine à broyer les femmes », « atteinte à la dignité humaine », « industrie proxénète », « marchandisation du sexe », « viol systématique », « esclavage et traite d’êtres humains »…
En mettant sur le même plan les adultes et les mineurs, les infractions pénales et les relations consenties (englobées sous le terme de « violence pornographique), l’acte sexuel et la représentation de l’acte sexuel, les fantasmes privés et le passage à l’acte ; le dispositif de censure proposé par le rapport mérite la plus haute attention afin de ne pas compromettre des libertés fondamentales telles que la liberté d’expression, la protection de la vie privée, la liberté sexuelle et la liberté d’entreprise.
Commençons pour cela par rappeler le principe fondateur de la vie en société établi par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits ».
Le consommateur d’images pornographiques ne cause aucun tort à autrui.
Concernant l’accès à la pornographie, d’emblée nous constatons dans la législation une contradiction entre les différentes majorités. Elle est fixée à 15 ans pour la pratique sexuelle et à 18 ans pour visionner un film pornographique. La logique juridique se trouve ainsi entachée d’une incohérence fondamentale : Notre société n’autorise pas à voir des choses qu’elle permet cependant de faire. Jean-Christophe Barbato a raison d’affirmer que cela « dévoile une forme de croyance qui relève de la pensée magique sur le pouvoir de la représentation, écrite ou visuelle (…) L’idée d’un pouvoir sorcier des images qui sont considérées comme plus néfastes, plus dangereuses que l’acte qu’elles représentent »[1].
La possession et la consommation de pornographie par les adultes relèvent, selon la CEDH, de la vie privée et toute ingérence de l’État doit être considérée comme une violation à une liberté fondamentale protégée par la Convention européenne des droits de l’Homme (affaire Chocholáč contre Slovaquie 07/07/2022).
Outre la pornographie, rappelons-nous que ce fut grâce au rattachement de la sexualité à la sphère intime de la vie privée que l’homosexualité, la transsexualité, le polyamour et la prostitution ont cessé d’être considérés comme des infractions pour devenir des composantes essentielles de l’autodétermination individuelle.
Sur le plan juridique, c’est-à-dire au sein d’une logique de dissociation entre la morale et le droit, la pornographie est d’abord considérée, selon le juge européen, comme une manifestation de la liberté d’expression qui reconnait « toutes les informations ou idées, même celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture, sans lesquels il n’est pas de société démocratique »[2].
Concernant la production pornographique, il semble abusif de l’analyser, comme le fait le rapport du Sénat, à partir des abus et de la violence – ce qui constitue une dérive condamnable – plutôt que de pointer les insuffisances juridiques réelles telles que les pratiques contractuelles informelles pour les actrices et acteurs pornographiques lesquels bénéficient rarement du statut d’intermittent du spectacle, le travail au noir ou encore l’inégalité salariale au détriment des hommes[3].
Faire entrer la pornographie dans le droit commun impliquerait non seulement de régulariser le contrat de travail sexuel mais aussi de respecter la liberté de commerce et d’industrie pour les producteurs et les vendeurs de matériel pornographique.
Comme le note Ruwen Ogien, « la pornographie présente probablement, dans l’état actuel de sa production et de sa diffusion, certains aspects socialement répugnants : surexploitation, misogynie militante, cynisme des fabricants et des distributeurs, prêts à tout pour augmenter leurs profits. Mais il ne s’agit pas de pathologies sociales spécifiques, puisqu’on les retrouve un peu partout hélas, même dans la fabrication des jouets pour enfants, ce qui, disons-le au passant, n’a jamais conduit qui que ce soit à demander l’interdiction des jouets »[4].
Interdire la pornographie pour éradiquer la violence systémique qu’elle est supposée provoquer me semble tout simplement absurde : l’Afghanistan, l’Iran, la Corée du Nord ou l’Arabie Saoudite répriment sévèrement la pornographie et ne se trouvent pas dans la liste des pays qui garantissent le mieux les droits de femmes.
Au nom de la dignité humaine, de la protection de la jeunesse ou de la lutte contre les violences sexistes se cache une entreprise paternaliste et liberticide.
Or, le rôle des droits fondamentaux, est de laisser à chacun la possibilité de choisir et de développer sa propre conception de la sexualité.
C’est pourquoi, il ne s’agit pas seulement d’éviter la censure (liberté négative) mais de garantir aussi l’accès à la pornographie comme une forme de bien-être érotique (liberté positive) qui participe à l’autoréalisation personnelle. L’OMS souligne que « Le comportement sexuel responsable est exprimé aux niveaux individuel, interpersonnel et communautaire. Il comprend l’autonomie, la réciprocité, l’honnêteté, le respect, le consentement, la protection et la poursuite du plaisir et du bien-être… ». Puisque la consommation de produits pornographiques peut, pour ceux et celles qui aiment ça, accroitre le plaisir et l’accomplissement individuels, la pornographie mérite d’être protégée comme participant à l’assise d’un droit fondamental : la liberté sexuelle.
Daniel Borrillo
Juriste
Chercheur associé au sein du think tank GenerationLibre
[1] J.-Ch. Barbato, « Pornographie et droit international et européen des droits de l’homme. Morale des États et pensée magique » in J. Cazala, Y. Lecuyer et B. Taxil (dir .), Sexualité et droit international des droits de l’homme, Pedone, Paris, 2018, p. 330.
[2] CEDH, Affaire Handyside c. Royaume-Uni, 07/12/1976.
[3] M. Trachman, « Hiérarchie des salaires et plaisir au travail dans la pornographie », Ethnologie française, vol. 43, no. 3, 2013, pp. 417-424.
[4] R. Ogien, Penser la pornographie, PUF, 2003.