Après de nombreux atermoiements, la grande majorité des députés socialistes a décidé de ne pas censurer François Bayrou. Cette décision ne préjuge pas de son futur vote sur le Budget. Elle signe un tournant décisif pour le PS.
« Colère, déception, inquiétude, incompréhension ». Ce sont les premiers mots du discours de Boris Vallaud, président du groupe socialiste à l’Assemblée, lors de la censure de Michel Barnier. Ils donnent la mesure de l’évolution des socialistes. D’un ton beaucoup plus apaisé, Olivier Faure revendique « l’honneur » de son parti qui « n’a pas la négociation honteuse ». Son collègue des Landes semblait encore sous le choc de la dissolution et réclamait toujours la nomination d’un Premier ministre de gauche à Matignon. Un mois et demi plus tard, le Premier secrétaire ose poser le constat que ses camarades du Nouveau Front populaire refusent avec constance : « aucune coalition ne dispose de la majorité absolue ». Autrement dit, la gauche n’a pas gagné les élections législatives de juin 2024. Elle n’est pas une majorité à laquelle on aurait volé sa victoire, elle se situe dans l’opposition à un gouvernement hétéroclite mais uni par la volonté d’agir. Dans ce contexte, quel peut être le rôle de l’opposition de gauche ?
Pendant longtemps, l’alternance supposée régulière entre la droite et la gauche a imposé une maxime selon laquelle l’opposition s’oppose jusqu’à ce qu’elle devienne majorité. Quitte à essayer d’accélérer le calendrier démocratique comme le tente Jean-Luc Mélenchon, impatient de participer une nouvelle fois à la compétition présidentielle. Mais les socialistes se rebellent. L’opposition ne peut se complaire dans la critique systématique et souvent vaine de ses adversaires, elle doit aussi obtenir des actes en faveur de son électorat.
Dans l’hémicycle, quand les députés du Nouveau Front populaire s’emportent, le Premier secrétaire rétorque en vantant « une gauche qui propose, qui avance, qui fait céder le Gouvernement », ce qui à ses yeux correspond aux attentes des Français. Olivier Faure définit une nouvelle ligne de clivage au sein de la gauche. Il y a ceux qui se positionnent pour l’avenir, et ceux qui se situent dans le moment présent : « Notre vocation n’est pas toujours de nous limiter à prendre date, en attendant toujours la prochaine élection, elle est d’arracher jour après jour toutes les victoires possibles ».
Les socialistes prennent acte de l’incertitude qui pèse sur la vie des Français. Lesquels ont bien du mal à se projeter dans l’avenir tant les difficultés immédiates leur paraissent insolubles. L’instabilité les mine. Ils ne sont pas les seuls. Les représentants des salariés et du patronat ont signé une tribune commune en décembre pour souligner la même inquiétude. Bien sûr, dans d’autres enquêtes, les Français se prononcent en faveur d’une démission du président de la République. Mais l’art politique consiste à démêler les paradoxes français. La crainte de l’avenir apparait plus forte que le désir de revanche.
Les socialistes ont franchi un grand pas. Entre la facilité de la critique permanente et l’inconfort d’une négociation exposée à l’échec, ils ont choisi le risque. C’est ce qui distingue un parti protestataire d’un parti de gouvernement.
Marie-Eve Malouines
Editorialiste