« L’instruction éclaire l’esprit ; l’éducation règle les mœurs. »
C’est ainsi que le précurseur de la sociologie et homme politique français, Alexis de Tocqueville, percevait les choses. Son contemporain, Jules Ferry, mit en œuvre en partie cette vision en rendant, en 1882, l’instruction non seulement obligatoire, mais aussi laïque. À chaque instituteur et institutrice fut alors confiée la mission de donner aux élèves une éducation morale et une instruction civique. Éducation, instruction… deux termes qui ont en commun l’idée de transmission mais qui diffèrent quant à leurs champs d’action respectifs. Le changement de nom du ministère de l’Instruction publique en celui de l’Éducation nationale en 1932 a d’autant plus brouillé les cartes.
Simple maladresse langagière ou volonté sous-jacente concernant le rôle dévolu à l’école ? L’école doit-elle se charger entièrement de l’éducation des enfants sur tous les plans, ou se contenter de l’instruction, de l’enseignement des savoirs ? Regardons cela de plus près en étudiant la question sous différents prismes.
L’instruction, seul remède à la stupidité (Nicolas de Condorcet)
L’instruction, c’est l’acquisition de connaissances grâce à l’enseignement. C’est la mise en forme des esprits par la transmission des savoirs.
L’éducation, c’est le développement de la capacité à être soi tout en étant avec les autres, à ménager ses relations avec eux, à participer à la vie sociale, à intérioriser la culture commune.
Nicolas de Condorcet, mathématicien et homme politique du XVIIIe siècle, rappelait que :
« Le but de l’instruction n’est pas de faire admirer aux hommes une législation toute faite, mais de les rendre capables de l’apprécier et de la corriger. (…), de les éclairer de plus en plus, afin que chacun devienne de plus en plus digne de se gouverner par sa propre raison. »
Ce représentant des Lumières fondait de grands espoirs dans l’instruction.
C’est donc l’École qui instruit et, en ce sens, elle est éducative ; mais elle n’a pas pour rôle premier l’éducation qui est du ressort des familles, du privé.
Les mots ont un sens et ans ce domaine, à travers les auteurs et les siècles qu’ils représentent, il se dégage l’alternative suivante : l’éducation nationale donne la primauté à la volonté politique, alors que l’instruction publique fait prévaloir la question de la vérité et de l’erreur.
Se dessine alors, notamment aux débuts de la Troisième République cette figure centrale de l’apprentissage qu’est l’instituteur, ce « hussard noir de la République » pour Charles Peguy, « l’homme de confiance de la république » pour Ferdinand Buisson (Dictionnaire de pédagogie et d’instruction publique).
Ce dernier, pourtant adversaire résolu d’une pédagogie autoritaire et scolastique et tenant d’une nouvelle pédagogie accordant une plus large place à l’épanouissement de l’enfant, remettra au centre de l’attention la notion d’effort en tant qu’élément nécessaire à toute réalisation de progrès.
Il s’agit pour lui de fonder l’instruction sur l’éducation et l’éducation sur l’intuition – l’instruction demeurant donc bien la fin. Le rôle de l’instituteur est alors d’inculquer l’amour du savoir « qu’il faut prendre résolument comme notre plus sûr allié dans l’œuvre de l’éducation », toujours selon Buisson qui mêle ici encore subtilement instruction et éducation.
L’éducation, façonnage de la nature humaine (Comenius)
Le mot « éducation » est directement issu du latin educatio du verbe ducere qui signifie conduire, guider.
« Former l’Homme », voici le but assigné à l’éducation d’après Comenius, philosophe et grammairien du XVIIe qui est souvent considéré aujourd’hui comme le fondateur de la science de l’éducation.
Ce « Galilée de l’éducation » pour Jules Michelet, pensait que l’éducation se devait de former non pas le citoyen-guerrier de l’Antiquité, pas davantage l’humaniste lettré et pieux de la Renaissance, ou encore l’honnête homme du XVIIe, mais plus universellement de façonner la nature humaine propre à chaque individu.
L’éducation dispensée par l’école est alors conçue comme un temps où l’homme futur est façonné dans l’enfant. L’homme n’est plus seulement un animal raisonnable et sociable comme chez Aristote, il est aussi un « animal capable d’être éduqué (animal disciplinabilis) »,d’être « actualisé».
De l’école pansophique dite coménienne à l’école républicaine contemporaine, bien des siècles se sont écoulés et avec eux bien des façons d’aborder la question. Mais il en est parfois qui traversent les siècles. Fait assez peu connu, certaines idées pédagogiques de Comenius ont influencé la modernisation des études en France par l’intermédiaire de l’École alsacienne entre autres : l’école doit être un « atelier d’humanité » et aider à faire naître en lui toutes les potentialités qui feront de lui un Homme véritable. C’est ainsi que les principes d’un penseur imprégné d’une vision religieuse se voient reprises dans un établissement d’enseignement privé laïque.
On se souvient que pendant longtemps le ministère de l’éducation s’est appelé « ministère de l’instruction publique ». C’est une affaire politique, de première importance : celle du rôle de l’État dans les affaires d’enseignement.
Du ministère de l’Instruction publique au ministère de l’Éducation nationale, un changement de paradigme ?
« L’éducation peut être religieuse ; l’instruction doit être laïque. Le domaine de l’éducation, c’est la conscience ; le domaine de l’instruction, c’est la science. Plus tard, dans l’homme fait, ces deux lumières se complètent l’une par l’autre. » Victor Hugo.
Créé en 1828, le ministère de l’Instruction publique prend le nom de ministère de l’Éducation nationale le 3 juin 1932 lors de la formation du troisième cabinet Herriot, pour ne plus changer d’appellation, sauf aux débuts du régime de Vichy où il redevient très brièvement celui de l’« Instruction publique ». Une autre parenthèse se situe pendant le septennat de Valéry Giscard d’Estaing où là il n’est plus que le ministère de l’Éducation, sans l’épithète « nationale », européanisme oblige.
L’expression « Éducation nationale » date de la fin du XVIIIe siècle, où elle était employée par les partisans de la prise en main par l’État des affaires d’enseignement, premier signe d’une confusion dont l’instruction aura à pâtir.
Instruction ou éducation, voici une distinction qui fait écrire et parler depuis de nombreux siècles, en particulier depuis la Révolution française. On y opposait alors les tenants d’un modèle spartiate et collectif visant à former l’enfant dans son intégralité au sein d’une école assurant une éducation égalitaire, et, de l’autre, ceux qui, tel Condorcet, estiment que l’éducation revient uniquement à la famille quand le rôle de l’école, lui, doit se limiter à l’instruction, à l’inculcation des éléments.
Première pierre d’achoppement, les fondateurs de l’école de la Troisième république vont brouiller les pistes en créant un ministère de l’Éducation nationale dont la mission première reste…d’instruire au sens de Jules Ferry.
Seconde pierre d’achoppement, l’école se voit investie de fonctions qui ne relevaient pas de son champ de compétence jusque-là. La voilà désormais en charge de l’éducation à la sexualité (et ce dès l’école primaire), à l’éducation routière (dès le collège), à l’éducation contre le harcèlement (dès l’école élémentaire) ou encore sensibilisation à la Citoyenneté numérique (au collège) ou à la question de genre, s’immisçant ainsi sur le terrain de la morale, de la sexualité.
Se voulant au plus près des préoccupations actuelles en modernisant le contenu des programmes, se réclamant attentive aux attentes des différents acteurs, l’école prend désormais à sa charge de nombreux sujets.
Les volumes horaires restant contraints, cela se fait au détriment des fondamentaux que sont les apprentissages en français ou encore en mathématiques. Ces dernières se sont donc vues successivement privées d’heures d’enseignements dédiées jusqu’à devenir même une matière optionnelle dans les lycées, avant qu’un rétropédalage de la réintroduise comme matière fondamentale.
En peu de mots, l’instruction publique fait appel à la raison, au rationalisme, là où l’éducation nationale fait appel à l’affectivité, l’enthousiasme. L’instruction suppose l’effort là ou l’éducation nationale privilégierait une pédagogie ludique. Cela explique peut-être les consignes données aux enseignants à qui l’on demande désormais de rendre leurs cours « sexy ».
Le résultat reste sans appel : le niveau de nos jeunes apprenants dévisse (les résultats des élèves de 4e sont désormais jugés comme « plutôt inquiétants » par le ministre de l’Éducation nationale, G.Attal), la place de la France dans différents classements internationaux tels que le classement PISA ou l’étude Timss (notamment avec le classement sur le niveau des élèves en mathématique et en sciences) devient très préoccupant au fil des années.
La place de l’école, la place de l’enseignant dans notre société mais aussi les ambitions dévolues à notre système scolaire doivent être remises au cœur des préoccupations.
Les élèves sont en droit d’espérer que les années passées à l’école les aideront à trouver un emploi et à faire leur place dans la société. Toutefois, cela ne doit pas être appréhendé dans un cadre de pensée purement utilitariste.
Le rôle de l’école, à travers l’enseignement qu’elle dispense, ne peut se concevoir que dans un cadre plus large. Il s’agit de s’insérer dans un binôme parent-enseignant, école-famille dans lequel chaque membre a son rôle à jouer.
Une complémentarité est nécessaire, il s’agit d’un travail collectif sans lequel aucune synergie ne pourra s’opérer.
À chacun sa place, l’école pour instruire, la famille pour éduquer, mais si répartition il doit y avoir une complémentarité. Il est surtout nécessaire que l’une s’appuie sur l’autre, qu’elles soient parties prenantes d’un même effort avec pour objectif commun, l’épanouissement de l’enfant.
Comme le résume ce texte de l’époque de la Révolution : « L’instruction publique éclaire et exerce l’esprit, l’éducation doit former le cœur ». Il serait bon de rappeler à chacun son rôle afin de pouvoir renouer avec le succès.
Floriane Zagar