Les Ehpad accueillent des personnes de plus en plus âgées et de plus en plus dépendantes. Ils doivent donc renforcer leurs offres de soins tout en restant des lieux de vie offrant des services adaptés et personnalisés. Claudy Jarry, président de la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées, nous expose les défis et enjeux auxquels sont confrontés les Ehpad.
Revue Politique et Parlementaire – Quelles sont les missions des Ehpad et quelle place occupent-ils dans l’hébergement des personnes âgées ?
Claudy Jarry – Les Ehpad hébergent et accompagnent les personnes âgées en perte d’autonomie. Ils accueillent une population toujours plus dépendante. Alors que l’inadaptation du logement et l’isolement étaient hier les raisons principales d’une admission en Ehpad, c’est aujourd’hui très souvent la maladie d’Alzheimer et la grande dépendance qui justifient l’entrée en établissement.
RPP – Comment jugez-vous l’offre actuelle des Ehpad ? Pensez-vous que ce secteur répond aux besoins de la population tant quantitativement que qualitativement ?
Claudy Jarry – Il est difficile d’arbitrer la question quantitative. Il y a quelques années, lorsque Philippe Bas était ministre, nous y avions réfléchi et dégagé un certain nombre de scenarii qui dépendaient du choix des Français. Le besoin pouvait motiver une entrée en Ehpad, mais si les soins à domicile étaient renforcés, la plupart des personnes âgées préféraient rester chez elles. Il convient de se poser trois questions. Y a-t-il assez d’établissements, répondent-ils en termes qualitatifs aux attentes de nos concitoyens âgés et sont-ils implantés au bon endroit en France ? La seconde question concerne la politique d’aide et de soutien à domicile ainsi que la démographie médicale : les conditions sont-elles réunies pour accompagner les personnes âgées, quelles que soient leurs difficultés, tout au long d’un parcours de vie et de fin de vie ? Enfin, la troisième question porte sur les souhaits de nos concitoyens.
Concernant l’offre qualitative et quantitative en termes d’établissements, elle relève des financements publics. Quant au soutien et à l’aide à domicile, ils dépendent également pour une grande part des financements. Pour ce qui concerne le souhait des personnes âgées, nous savons que globalement elles préfèrent demeurer chez elles lorsque cela est possible. Mais, face à la perte d’autonomie, le maintien à domicile n’est envisageable que si l’aide et le soin à domicile sont géographiquement possibles et économiquement soutenables pour les personnes âgées et leur famille. En fait, nous avons trois paramètres qui dépendent des politiques et des financements publics de l’offre tant à domicile qu’en établissement.
Lorsque nous avons eu cette réflexion, nous nous sommes arrêtés sur le scénario du libre choix, ce qui supposait que l’on équipe davantage de places en Ehpad dans un premier temps et que l’on développe l’aide et le soutien à domicile dans un second temps. Créer des places en Ehpad est techniquement assez aisé à réaliser, notamment avec les opérateurs privés prompts à offrir des réponses. En revanche, le secteur des soins et de l’aide à domicile connaît une crise sans précédent avec des pertes financières et des licenciements chez les opérateurs historiques. Ce qui veut dire que le libre choix, qui mettait l’accent sur le maintien à domicile, est compromis faute de soignants et d’aides.
Aujourd’hui, nous avons des établissements qui ne sont pas suffisamment qualitatifs faute de personnels, des services d’aide et de soins à domicile qui ne trouvent pas leur modèle économique et connaissent donc de graves difficultés financières et des personnes âgées qui souhaitent rester chez elles.
Le compte n’y est donc pas.
RPP – Qu’est-ce que la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement a changé pour les Ehpad ?
Claudy Jarry – Elle n’a changé que très peu de choses pour les Ehpad. C’était une loi programmatique qui comportait un volet sur le domicile à effet immédiat, puis un volet sur les Ehpad au cours de la seconde partie du quinquennat. Or, aujourd’hui, alors que le quinquennat se termine, seul le premier volet se déploie avec beaucoup de retard puisque des décrets d’application sont toujours en cours de publication. La partie concernant les établissements n’a, quant à elle, pas vu le jour et est reportée sine die. Toutefois, il convient de noter deux éléments importants de la loi relatifs aux établissements : une réforme de la tarification des Ehpad au 1er janvier 2017 et une réaffirmation des droits et libertés des personnes âgées avec notamment la possibilité d’essayer un Ehpad pendant plusieurs jours et de résilier le contrat de séjour en cas d’insatisfaction en n’acquittant que le prix de la durée de séjour effectif.
Cette loi porte donc très clairement sur le domicile.
RPP – quelles sont les conditions d’une entrée réussie en établissement et éviter que l’Ehpad ne soit un choix par défaut pour les personnes âgées ?
Claudy Jarry – Les conditions d’une entrée réussie en Ehpad résident dans la recherche de l’adhésion de la personne âgée. L’idéal est qu’elle anticipe spontanément le choix de l’établissement parce qu’elle le connaît, il fait partie de son environnement, elle est en capacité d’apprécier les services et activités qui y sont proposés, elle y a des amis. Mais cela est malheureusement rarement le cas puisque plus l’heure de l’entrée en Ehpad approche, moins elle va être en capacité psychologique de se projeter. Le choix va donc revenir à ses proches qui, après plusieurs chutes par exemple, vont être amenés à rechercher un établissement. Ce sont eux qui seront alors les garants d’un relogement réussi. Ils devront à partir de l’histoire de vie de leur parent, de ce qu’il a pu exprimer, de ses besoins et aspirations trouver l’établissement correspondant.
À moyen terme, tous les Ehpad devraient être capables d’offrir la même qualité de soins. Le choix dépendra donc de l’animation, de la restauration, du service hôtelier et, bien évidemment, des ressources financières de la personne âgée.
RPP – Les Ehpad accueillent des personnes de plus en plus âgées, de plus en plus dépendantes et parfois polypathologiques. Ils doivent donc renforcer leurs offres de soins tout en restant des lieux de vie offrant des services adaptés et personnalisés, favorisant le lien social et une ouverture sur l’environnement proche. Comment relever ce défi ?
Claudy Jarry – Une personne âgée a besoin, comme chacun d’entre nous, d’une vie sociale. L’Ehpad doit donc créer du lien social en acceptant, par exemple, les visites à toute heure de la journée et en développant des animations à l’intérieur comme à l’extérieur de l’établissement. Elle a ensuite besoin d’un cadre de vie. Il lui faut donc un endroit propre, gai, qui respecte un certain nombre de critères hôteliers qui vont varier d’un établissement à l’autre en fonction des tarifs. Enfin, elle a besoin de soins. Mais les soins nécessitent d’être conçus comme quelque chose de subsidiaire même si, évidemment, ceux-ci sont plus fréquents chez une personne âgée que chez une personne jeune. Par ailleurs, ces soins ne doivent pas être ostentatoires. Il s’agit, par exemple, de ne pas laisser un fauteuil roulant au milieu d’une chambre ou encore d’harmoniser le lit avec les autres meubles. Les soignants doivent donc considérer que les personnes âgées sont avant tout des hommes et des femmes avec une histoire, des aspirations sociales, qui paient pour des prestations hôtelières et que les soins, même s’ils sont très importants, ne doivent pas être ostentatoires et renvoyer à la perte d’autonomie.
RPP – Tensions budgétaires, accroissement des contraintes réglementaires, gestion des ressources humaines, évolution des besoins et des attentes des seniors, comment les Ehpad peuvent-ils trouver un équilibre entre performance économique et réponse aux exigences de plus en plus personnalisées et individualisées des résidents et de leur famille ?
Claudy Jarry – Je ne parlerais pas de performance mais d’efficience. La performance induit la recherche d’un résultat financier. Or, hormis les établissements privés à but lucratif, les structures recherchent avant tout l’efficience. Avec l’enveloppe financière contrainte que leur octroient l’État et les départements, les Ehpad doivent répondre aux besoins des personnes âgées et de leur famille d’une part et à leurs attentes d’autre part. Ce cas est singulier, car contrairement aux hôpitaux qui reçoivent des patients qui réclament des soins, les Ehpad ont affaire à des clients qui paient pour des prestations. L’enveloppe financière étant trop ténue pour y répondre, les Ehpad sont souvent des lieux de tensions. Les directeurs d’établissement sont face à des équipes, souvent en sous-effectifs, parfois en difficulté voire en souffrance, mais également face à des familles qui paient et souhaitent toujours plus de prestations. La situation est extrêmement difficile faute de moyens. Lors de la canicule de 2003, tout le monde s’est ému de ce qui se passait dans les Ehpad qui ont alors bénéficié de ressources supplémentaires. Mais, nous sommes rapidement revenus à des restrictions budgétaires.
Aujourd’hui, il y a consensus sur le manque de moyens.
Les ministres de droite comme de gauche que j’ai rencontrés partagent ce constat.
Il faut souligner le travail remarquable effectué par les personnels des Ehpad qui, malgré leur fatigue, sont très engagés pour le bien-être des résidents. Mais les féliciter n’est pas suffisant, il faut qu’ils soient plus nombreux et donc dégager des moyens supplémentaires. À chaque fois qu’un président de la République ou un ministre s’exprime au sujet des personnes âgées, il convient qu’il faut faire davantage, mais concrètement il passe toujours à côté de la cible.
RPP – N’y a-t-il pas un décalage entre l’ambition de la loi ASV d’adapter la société au vieillissement et les coupes budgétaires de l’État et des conseils départementaux dans les dotations pour l’hébergement des personnes âgées ?
Claudy Jarry – Oui il y a un décalage. Cette loi a été annoncée au début du quinquennat de François Hollande qui pensait alors qu’on pouvait lever l’impôt tant qu’on le voulait. Il y a d’ailleurs un certain nombre de premières mesures qui ont entraîné une augmentation générale des impôts. Les seniors sont, de plus, assujettis à la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie (CASA) prélevée au taux de 0,3 % sur les retraites. Mais, très vite, le gouvernement a compris que l’impôt n’était pas la solution à tous les problèmes, il a opéré un virage à droite et a abandonné l’idée de lever l’impôt, souhaitant même le réduire.
Alors qu’il aurait fallu trois à quatre milliards d’euros, la CASA prélevée représentait 600 millions d’euros réservés au maintien à domicile, laissant de côté les Ehpad. 55 % de l’enveloppe sont consacrés à la seule valorisation de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) tandis qu’il faut également des moyens pour aménager les domiciles et redynamiser les résidences autonomie.
En début de mandature, le gouvernement avait de grandes ambitions pour ce chantier, mais il a très vite été rattrapé par les arbitrages économiques à rendre.
Ce projet généreux, porté par des ministres compétentes qui avaient compris la problématique et étaient animées par de belles idées, a subi les conséquences de la nouvelle orientation du gouvernement de baisser les impôts. Cette loi, impulsée par Michèle Delaunay dont je salue l’engagement, est née dans ce contexte.
Par ailleurs, alors que l’on pense une loi ambitieuse en faveur des personnes âgées, la revalorisation des budgets des Ehpad depuis des années n’est que de 1 %, tandis que leurs coûts de fonctionnement progressent de plus de 1 %. C’est l’implacable réalité du côté de l’État. Quant aux départements, ils ont la même politique, c’est-à-dire une revalorisation des dotations de moins de 1 %, voire parfois des évolutions négatives, soit par manque de volonté, soit parce qu’ils ont des arbitrages financiers à effectuer. Mais il convient de reconnaître que les départements sont également exsangues car le gouvernement leur supprime des moyens d’agir. Par exemple, l’APA devait être financée à hauteur de 50 % par l’État et 50 % par les départements. Or, aujourd’hui les départements supportent plus de 70 %. L’État, qui n’honore pas la dépense, la reporte sur les départements. Nous avons donc trois financeurs : l’État qui procède à des évolutions extrêmement pingres malgré un projet de loi, le département qui ne peut plus accompagner à hauteur des besoins et la personne âgée à qui on ne peut pas demander en permanence d’augmenter ses dépenses.
RPP – La loi ASV prévoit une réforme de la tarification des Ehpad au 1er janvier 2017. De quoi s’agit-il ? Cette réforme diminuera t-elle le reste à charge qui pèse sur les familles ?
Claudy Jarry – Le deuxième volet de la loi portait sur la réforme de la tarification et le reste à charge pour les familles. Comme je vous l’ai indiqué, ce deuxième volet ne verra pas le jour. Cependant nous nous sommes dits que nous allions revoir la tarification des Ehpad pour être plus efficients. L’ambition de cette réforme est de mieux répondre aux besoins et aux attentes à moyens constants. Mais cette réforme ne diminuera pas le reste à charge des familles puisque ni l’État, ni les départements n’ont les moyens financiers nécessaires.
RPP – Comment imaginez-vous les Ehpad de demain ?
Claudy Jarry – Les Ehpad vont accueillir des personnes toujours plus dépendantes ayant des besoins en soins importants. Il est donc nécessaire d’améliorer l’offre avec davantage de domotique, d’humain, et de personnels. L’emplacement des établissements doit également être revu car aujourd’hui les campagnes se vident et nous assistons à une concentration des personnes âgées dans les villes et sur les côtes françaises. Mais le domicile doit également être repensé pour permettre aux personnes âgées, qui ont la possibilité d’être accompagnées dans leurs besoins en soins, de financer les travaux utiles à l’adaptation de leur logement afin qu’elles puissent y demeurer. Cependant, il convient de revoir la vision binaire que nous avons de l’offre puisque de nombreux Français ne souhaitent ni rester à leur domicile, ni aller dans un établissement. Aussi devons-nous imaginer des solutions intermédiaires comme les résidences autonomie, les résidences services. Ainsi penser l’avenir des Ehpad de manière isolée n’a pas de sens. Certes, il faut davantage d’Ehpad, aux bons endroits, avec plus de personnels, mais l’amont et l’aval sont déterminants : hôpitaux, soins à domicile, solutions d’hébergement individuel et collectif entre le domicile historique et les Ehpad.
Il nous faut proposer des réponses à des besoins multiformes et avoir des solutions moins coûteuses à la fois pour la société, mais également pour les personnes âgées.
Par ailleurs, l’aide sociale doit être reconsidérée car, depuis sa création, la configuration des familles a beaucoup évolué. On ne peut pas demander à des arrière-petits-enfants de payer pour leurs arrière-grands-parents. Ce système obsolète qui n’est plus adapté à la société d’aujourd’hui devait être revu dans le deuxième volet de la loi reporté sine die.
Claudy Jarry
Président de la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées (FNADEPA)
Propos recueillis par Florence Delivertoux