Le titre de cet article commence à la manière d’une petite annonce qui rappelle deux aspirations majeures qu’expriment les personnes vieillissantes : continuer à vivre chez soi le plus longtemps possible et veiller à maintenir son autonomie (et son libre-arbitre).
Les acceptions de la notion d’autonomie sont multiples. Elles renvoient à la mobilité au sein et à l’extérieur du domicile, à la possibilité de maintenir chez soi les activités de la vie quotidienne, à la capacité de se gouverner soi-même en faisant si nécessaire appel à diverses aides. Pour les personnes « âgées », ce maintien de l’autonomie est plus facile à réaliser à deux, en vivant en couple. Mais avec une longévité toujours croissante, une partie des individus âgés finissent leur vie en résidant seuls pendant de nombreuses années : plus de 3,6 millions de personnes âgées de 65 ans et plus vivant en France métropolitaine sont actuellement dans ce cas, dont les trois quarts sont des femmes. Cette situation, qui s’est renforcée au cours des dernières décennies dans les sociétés occidentales, ne devrait pas fléchir avec l’arrivée des nouvelles générations à l’âge de la grande vieillesse (processus d’individualisation, autonomie générationnelle, augmentation des séparations conjugales). Dans ces conditions, la perspective de connaître une diminution de l’autonomie et de devoir y répondre souvent seul(e) dans son propre logement nous invite à mettre l’habitat au cœur de la réflexion.
Pour conduire cette réflexion, il convient d’abord de considérer les pratiques des individus concernés, étant entendu qu’ils composent avec leur propre logement quand ils doivent faire face à des limitations causées par le vieillissement individuel. En « se débrouillant », l’adaptation du logement et les aides des proches peuvent rendre possible un vieillissement sur place. Il faut ensuite examiner comment d’autres services, apportés par des acteurs publics et privés, permettent de soutenir les démarches individuelles et familiales. La réflexion devrait aussi considérer les spécificités des territoires. Entre par exemple les Hauts-de-Seine, la Charente-Maritime, le Cantal ou la Guadeloupe (pour ne rester qu’au niveau départemental), les réalités du vieillissement ne sont pas les mêmes. Face à la gérontocroissance attendue, si l’on souhaite réviser la politique du maintien au domicile, il faudrait garder en tête que les populations âgées n’ont pas toutes les mêmes problématiques et que la prévention de la perte d’autonomie est à privilégier.
Cependant, plusieurs travaux ont montré que les individus adoptent rarement des comportements d’anticipation permettant d’accompagner le maintien dans le domicile occupé.
La plupart du temps, ce n’est que la confrontation brutale à la perte d’autonomie qui enclenche une adaptation du logement ou un recours à des aides humaines.
Ce constat interroge notre capacité collective à préparer les individus à prévoir et accepter une éventuelle perte d’autonomie. Nonobstant il est des cas où rester vivre dans le même logement n’est pas possible. Si le lieu de vie (logement, entourage physique et social) ne permet pas d’accéder à des supports pour affronter la perte d’autonomie, la solution peut consister à déménager pour redéfinir l’habitat. Une des façons de le faire est de rejoindre un habitat intermédiaire dédié aux personnes « âgées », c’est-à-dire un complexe immobilier ayant été spécialement conçu pour répondre aux demandes que certains retraités expriment en vieillissant. Ces structures se multiplient, avec des statuts différents, mais restent mal connues des personnes fragilisées par le vieillissement, ainsi que de leurs proches.
Repérer les habitats intermédiaires
L’équipe de recherche CITERES (UMR 7324 CNRS – Université de Tours) a conduit une recherche sur les habitats intermédiaires en 2011-2013 grâce à des financements de la Région Centre1. C’est le constat d’une méconnaissance du grand public vis-à-vis de ces habitats qui en est à l’origine. En effet, il n’est pas rare dans le langage courant de regrouper sans distinction sous le terme « maison de retraite », les Ehpad, les logements-foyers, tout comme les résidences services du secteur privé ; tandis que certaines résidences seniors ont tendance à se présenter comme des villages-vacances pour retraités dynamiques, accentuant le brouillage de la communication en direction des personnes en début de perte d’autonomie. Le manque de connaissances est aussi repérable auprès des élus locaux, dont plusieurs nous ont relaté des demandes d’administrés âgés – et plus souvent encore de leurs enfants – en faveur de formules résidentielles pour accompagner le vieillissement. Les requêtes pouvaient émaner de personnes vivant dans des hameaux qui, souvent à la suite du décès du conjoint-conducteur, avaient des difficultés à se déplacer vers les commerces et les services situés en ville ; elles relevaient également de personnes en demande de soutien, exprimant une insécurité liée à l’éloignement de leurs proches. Les maires ou leurs adjoints auraient aimé répondre à ces sollicitations en proposant en centre-ville – ou centre-bourg – des logements adaptés au public demandeur. Ils avaient pleinement conscience que l’Ehpad du canton ne pouvait pas répondre à cette demande, mesurant le désir de vivre chez soi et les revenus modestes des intéressés. Néanmoins, ils n’avaient pas d’alternatives concrètes à proposer sur leur territoire pour offrir une nouvelle sécurité résidentielle aux demandeurs et aspiraient à en savoir plus sur les diverses formules d’habitats dédiés aux personnes « âgées ».
Dans ce contexte, eu égard à l’absence de travaux universitaires sur ces sujets et le non-repérage par la statistique publique des habitats intermédiaires non Ehpa2, l’objectif de notre recherche consista à inventorier la diversité des types d’habitats intermédiaires et à mieux connaître le public ayant fait le choix d’y demeurer. Sans entrer dans le détail de notre méthodologie, nous nous limiterons à indiquer ici avoir réalisé une enquête auprès des gestionnaires d’habitats intermédiaires (en y intégrant des logements-foyers et des Marpa par souci de comparaison), des monographies de quatorze habitats choisis pour leur diversité, une enquête par questionnaires réalisée auprès de 1 153 personnes résidant dans diverses structures immobilières3 et une autre par entretiens auprès d’une quarantaine de résidents choisis à partir du questionnaire. Il faut savoir que les habitats intermédiaires pour personnes âgées non Ehpa sont aisément repérables quand ils appartiennent à des enseignes commerciales. Les habitats de ce type à l’initiative de bailleurs sociaux ou d’acteurs institutionnels (mutuelles par exemple) sont moins faciles à identifier en l’absence de traces médiatiques. Ceux à l’initiative de retraités risquent de rester définitivement confidentiels, d’autant que leur existence dans un pays comme la France est très minime.
Qualifier et définir les habitats intermédiaires
Au-delà de la question du repérage, l’un des premiers résultats de notre recherche est la grande diversité des habitats intermédiaires en termes de services. Au sein des résidences privées, on distingue classiquement deux grandes générations de structures : la première qui offre généralement un large éventail de prestations4et la seconde qui a réduit le niveau des services collectifs, proposé des tarifications en fonction des besoins personnels et retiré de la copropriété, pour mieux les maîtriser, les espaces communs liés aux activités collectives. On constate aussi de la diversité parmi les habitats intermédiaires qui ont été conçus par des bailleurs sociaux (opérations beaucoup moins nombreuses pour le moment que les précédentes). On y trouve globalement moins de services, mais aussi des prix d’occupation moins élevés, notamment grâce à la contribution fréquente des communes (services du CCAS). Cette variété des services selon les habitats est méconnue des intéressés qui peuvent penser a priori que tous les habitats intermédiaires se valent. Or, pour ne prendre qu’un exemple, une restauration intégrée n’est en rien comparable à un service de plateaux repas (à réserver la veille) proposé par un prestataire extérieur. Pour cette raison, nous pensons avec d’autres que les pouvoirs publics pourraient initier un classement des habitats intermédiaires en fonction des types de services offerts, ce qui permettrait de surcroît l’identification des structures et la création d’une base de données publique. Il ne s’agirait pas d’encadrer davantage5un secteur d’activités dont le professionnalisme est croissant, mais d’informer les (futurs) résidents et de mieux connaître les habitats intermédiaires, qualitativement et quantitativement.
Le faible niveau des services dans certains habitats intermédiaires, leur diversité, nous a conduits à proposer une définition générale de ces structures sur la base de trois critères6. Celle-ci permet de les situer entre les deux pôles de l’habitat que constituent le logement ordinaire (le pavillon, l’appartement) et l’institution pour personnes âgées dépendantes7.
Le premier critère qu’il faut convoquer pour définir les habitats intermédiaires concerne la fonctionnalité du logement et le sentiment du chez soi. Un logement est fonctionnel (pour une personne âgée ou une personne handicapée) si sa conception est adaptée à ses capacités physiques. Par exemple, des marches, et plus généralement les obstacles, peuvent être des contraintes pour une personne à l’équilibre instable ; des couloirs trop étroits, des fenêtres trop hautes, des systèmes électriques mal étudiés sont d’autres caractéristiques pouvant gêner les personnes âgées et s’avérer accidentogènes. Dans le parc de logements français des personnes de plus de 65 ans, la part des logements adaptés à la perte d’autonomie ne serait que de 6 %8, ce qui donne un avantage certain aux habitats intermédiaires où la grande majorité des logements le sont. Par ailleurs, le domicile est un point d’ancrage très important pour les personnes vieillissantes. Conserver un « chez soi » (cf. l’article d’Alain Thalineau dans ce numéro), c’est préserver les frontières de la vie privée et de l’intimité, c’est avoir la possibilité de s’éloigner du monde social, de maintenir autrui à distance, de se réconforter. En règle générale, le « chez-soi » est solidement arrimé au logement ordinaire ; dans les habitats intermédiaires, il doit se (re)construire dans un ensemble immobilier qui n’est pas seulement composé d’un domicile privé, mais aussi d’espaces partagés. Si l’objectif des habitats intermédiaires est de rendre possible le maintien du « chez-soi », notre recherche a montré que ce n’était pas automatique. Cela peut demander du temps, surtout quand la mobilité résidentielle est associée à d’autres étapes difficiles de l’existence (accident, maladie, veuvage). Dans les parties collectives de l’habitat intermédiaire, le chez-soi fait inévitablement l’objet de négociations avec les co-résidents ; il se traduit pour certains par un « chez-nous ». Le risque est de ressentir les espaces partagés comme une limitation du « chez-soi » ou de ne jamais y trouver sa place. Quelquefois, la mobilité vers l’habitat intermédiaire peut évoluer vers un « chez-soi perdu »9.
Le deuxième critère qui permet de qualifier les habitats intermédiaires concerne la disponibilité en services. Vivre en habitat intermédiaire, c’est avoir un meilleur accès à des services, parce que certains sont proposés au sein de la structure, quand d’autres le sont dans le quartier, à proximité immédiate. C’est la situation (limite) de certains habitats dits « groupés pour personnes âgées » (HGPA) que nous avons visités en milieu rural. Logements fonctionnels situés en centre bourg, ils permettent effectivement un accès piéton aux commerces. Pour autant, ces habitats se situent à la frontière des logements ordinaires, car leur projet collectif est rudimentaire ou absent. Parfois, l’habitat intermédiaire est installé à proximité d’un Ehpad pour permettre l’accès des résidents à sa restauration collective. Est-on certain que les personnes âgées aspirent à ce début d’institutionnalisation de leur vieillissement ? Toutefois, dans la plupart des habitats intermédiaires, les services proposés le sont « en interne », soit à l’aide d’un personnel qui les propose, soit en faisant appel à des prestataires extérieurs, soit, plus rarement, par la mobilisation des résidents qui assurent des services pour le compte de leurs co-résidents. C’est le cas des habitats groupés autogérés (co-housing, habitat participatif de retraités), dont les meilleurs exemples se trouvent en Europe du Nord10.
Enfin, le troisième critère permettant de définir les habitats intermédiaires concerne la dimension sociale. Cette dimension préexiste du fait qu’un habitat intermédiaire réunit les logements de plusieurs personnes âgées en leur « imposant » une proximité spatiale, mais elle va au-delà en affirmant la volonté de mettre en exergue la vie collective au sein de l’habitat. Cette démarche correspond à l’éthique du vivre ensemble que suggérait déjà le rapport Laroque. Autour de la dimension collective, le projet de l’habitat intermédiaire est de chercher à lutter contre l’affaiblissement des relations sociales que produit le vieillissement ; de maintenir des activités structurantes au cours de la journée, de lutter contre le sentiment d’inutilité qui se développe chez certaines personnes âgées, de créer des relations sociales « soutenantes » susceptibles d’éviter la dégradation de la santé morale. Notre recherche a montré que les résidents ne sont pas tous enclins à s’impliquer de la même manière dans cette sociabilité encouragée par les lieux. Certains, ne trouvant pas leur place dans le collectif, se réfugient dans leur logement (dans un « chez-soi » jouant pleinement sa fonction protectrice), d’autres pourront aller jusqu’à quitter l’habitat intermédiaire. Les entretiens que nous avons eus avec des résidents montrent que les individus n’ayant pas eu d’expériences dans des projets collectifs au cours de leur vie y connaissent une socialisation plus difficile. L’appartenance à certaines classes sociales permet en outre d’évoluer plus ou moins facilement dans la petite « société » qui résulte de ces interactions au sein de l’habitat.
Identifier la « bonne » place des habitats intermédiaires
Dans les habitats intermédiaires, le niveau des services est corrélé avec la dimension collective des lieux : davantage de services correspondent souvent à plus d’espaces partagés et à des professionnels plus nombreux. Les personnes âgées qui sont dans des situations de fragilisation acceptent plus facilement cette relation, ayant peu d’alternatives à faire valoir.
Il est vrai que si la vie collective n’est pas sans conséquence sur le quotidien, elle présente aussi des avantages en termes de surveillance en rehaussant le sentiment de sécurisation. Plus généralement, une perte d’autonomie croissante n’est possible qu’avec une dimension collective plus affirmée. On peut visualiser cette idée avec la figure 1 qui montre la place des habitats intermédiaires par rapport aux logements ordinaires et aux Ehpad, en fonction de la perte d’autonomie et du caractère institutionnel de l’habitat11.
Place des habitats intermédiaires
Cette figure permet de poser plusieurs questions. Tout d’abord, les habitats intermédiaires sont-ils mieux dotés que les logements ordinaires pour accompagner la perte d’autonomie ? L’auteur ne s’autorise pas à répondre avec ce schéma simplificateur (nous avons choisi approximativement la même hauteur pour repérer les zones correspondantes aux deux habitats). Les autres interrogations concernent les frontières entre les habitats intermédiaires et les deux autres habitats que les personnes âgées peuvent occuper. En fait, les recouvrements entre zones ne sont pas favorables aux habitats intermédiaires. Dans ces cas, la définition que nous avons proposée plus haut est remise en question : perte de la dimension collective et d’une partie des services quand les habitats intermédiaires se situent trop près des logements ordinaires (vers la gauche du schéma), perte du « chez-soi » quand ils tendent à accueillir des personnes très dépendantes à la manière d’un Ehpad (vers la droite du schéma). En effet, si les logements ordinaires et les Ehpad peuvent réunir deux des trois critères énoncés plus haut (mais parfois un seul, voire zéro pour les logements ordinaires) ; la plus-value des habitats intermédiaires est de pouvoir réunir les trois. En affirmant cela, il ne s’agit pas d’imposer une vision dogmatique de ce type d’habitat, mais seulement de concéder que sans ces trois aspects, la notion d’habitat « intermédiaire » n’a pas sa raison d’être.
Grâce au repérage des frontières entre les différents habitats, ce schéma permet en définitive d’ouvrir un débat.
Les habitats intermédiaires accompagnent-ils suffisamment la fragilisation des personnes âgées ?
Une des critiques entendues à l’encontre des habitats intermédiaires serait qu’ils se cantonnent à une offre résidentielle et se désintéressent de la perte d’autonomie des résidents. Les personnes qui argumentent ainsi opposent les Ehpa et les Ehpad se situant dans le champ gérontologique (lesquels exerceraient correctement cet accompagnement) aux habitats intermédiaires qui se situent dans le champ du logement, donc hors du contrôle administratif, animés par la seule rentabilité économique.
Cette critique ne semble pas tenir compte du fonctionnement des établissements de type Ehpa (hors Ehpad) et des habitats intermédiaires qui poursuivent en réalité le même objectif : accompagner la fragilité. Bien que placés sous la tutelle des Conseils départementaux, les Ehpa (logements-foyers et Marpa pour l’essentiel) n’ont pas mission à accueillir les personnes âgées fortement dépendantes, sauf justement à prendre le risque de devoir se transformer en Ehpad si le GIR moyen pondéré (GMP) est trop élevé. Qu’en est-il de la place des personnes en perte d’autonomie dans les habitats intermédiaires situés dans le champ du logement ? Si rien n’interdit qu’une personne âgée dépendante vive jusqu’au terme de son existence dans son logement (ordinaire), il devrait a priori en être de même dans un habitat intermédiaire, même si la personne mobilise pour cela des aides, comme dans n’importe quel domicile (ordinaire) dont elle serait locataire ou propriétaire. C’est par essence la logique du maintien à domicile. Néanmoins, dans les faits, la possibilité de demeurer dans un habitat intermédiaire en situation de forte dépendance n’est pas toujours possible ou souhaitable. Un dialogue s’engagera entre le gestionnaire et l’intéressé(e) (et ses proches), comme dans un logement-foyer.
Au final, énoncer que les habitats intermédiaires n’accompagnent pas la dépendance à la manière des Ehpad est effectivement une réalité. S’il en était autrement, ces habitats perdraient leur caractère « intermédiaire ». Ces structures ont vocation à être des lieux de vie non médicalisés, sauf situation exceptionnelle (hospitalisation à domicile par exemple). Cela ne signifie pas que les gestionnaires des habitats intermédiaires se désintéressent de la fragilisation de leurs résidents, leur objectif étant, par définition, de se démarquer des logements ordinaires en proposant des services et un projet collectif qui visent autant que faire se peut à accompagner les effets du vieillissement.
Les habitats intermédiaires empiètent-ils sur les compétences des EHPAD ?
À l’inverse de la première critique, l’autre reproche est parfois formulé : certains habitats intermédiaires iraient trop loin dans l’accompagnement de la dépendance, alors qu’ils n’ont pas la légitimité à le faire, contrairement aux Ehpad signataires d’une convention tripartite et tenus au respect de certaines normes. Ces remarques, formulées par des professionnels de l’action sanitaire et sociale, consistent d’abord à préserver leurs positions dans le champ gérontologique, mais il est vrai que certains habitats intermédiaires affirment dans leur projet la possibilité de se maintenir dans le logement, quelle que soit la perte d’autonomie. Ces situations s’observeraient volontiers chez des groupes de personnes âgées qui seraient à l’initiative de « leur » habitat intermédiaire ; ou encore dans les formules où les logements sont la propriété d’un bailleur social, qui considère tous ses locataires de la même manière, sans distinction d’âge et d’état de santé. Ce serait aussi des situations observables dans certaines formules commerciales prêtes à proposer le soutien qui correspond à la demande du résident, moyennant une facturation en relation avec le niveau de l’aide. Faut-il craindre une dérive, c’est-à-dire la multiplication de structures situées dans le champ du logement proposant un accompagnement qualitatif de la dépendance comparable à celui effectué dans les Ehpad ? Les difficultés budgétaires de l’État et des collectivités territoriales ne permettent pas d’exclure cette hypothèse. Cette évolution consisterait à transférer certaines dépenses antérieurement assumées par les politiques publiques (forfait hébergement des Ehpad par exemple) sur les individus qui auraient à financer logements et services en totalité. Elle renforcerait les logiques libérales qui se développent avec la crise financière des États-providence.
Faut-il encadrer les activités des habitats intermédiaires ?
Si les habitats intermédiaires empiètent sur les compétences des Ehpad, faut-il alors organiser un contrôle des habitats intermédiaires ; voire interdire la présence de personnes âgées très dépendantes en leur sein12 ? Ce n’est pas aux chercheurs de trancher ces questions, mais il est certain qu’une hypothétique évolution de la législation dans ce sens transformerait les marges de manœuvre des habitats intermédiaires. En tout état de cause, il est indispensable de maintenir les habitats intermédiaires dans le champ du logement. Les considérer comme des institutions leur ferait perdre leur raison d’être ; les résidents y retrouveraient les connotations négatives qui entourent les Ehpad et dont ils cherchent à s’éloigner. Les logements-foyers (devenus résidences autonomie) évoluent d’ailleurs dans le même sens lors de leurs opérations de rénovation, en tentant de gommer leur caractère institutionnel. Mais il sera difficile de le faire tant que l’on parlera de « lits » et de « places » – au lieu de logements – pour parler de leurs capacités d’accueil.
Les habitats intermédiaires sont-ils financièrement accessibles ?
Une autre question soulevée au sujet des habitats intermédiaires est leur coût, jugé couramment excessif. Ces habitats sont vus comme des formules élitistes réservées aux catégories sociales aisées. Ces représentations sont telles que certaines personnes de condition modeste considèrent que ces structures ne sont pas faites pour elles, sans même en connaître précisément le prix de revient. S’il existe effectivement des habitats intermédiaires dont le coût est élevé (prix de revient supérieur au revenu médian des retraités français), on observe aussi des formules moins coûteuses dans des résidences services de certaines enseignes commerciales et dans les habitats intermédiaires qui résultent d’une initiative conjointe d’une collectivité et d’un bailleur social13. Il reste que, comme indiqué plus haut, les prix demandés doivent être mis en relation avec le niveau des services proposés, sans quoi les personnes âgées ne sont pas en mesure de les apprécier et de faire un choix raisonné.
Une demande sociale qui grandira
Puisque nous avons engagé ce texte à la manière d’une petite annonce, on peut le terminer en indiquant maintenant si l’annonceur verra sa recherche aboutir, s’il pourra identifier un habitat lui permettant de continuer à vivre chez soi et à maintenir son autonomie.
Notre recherche universitaire a montré que même si le niveau de services n’est pas identique dans tous les habitats intermédiaires, ces structures produisent un réel sentiment de sécurisation pour leurs résidents et contribuent dans la majorité des cas au renforcement du lien social.
Mais d’autres travaux seront encore nécessaires pour mieux les connaître, et dire dans quelle mesure ils permettent d’accompagner des personnes âgées dans leur expérience du vieillissement, du moins, mieux que ne pourrait le faire le maintien au domicile « classique » dans le logement ordinaire.
Depuis l’arrêt de la construction des logements-foyers, les habitats intermédiaires connaissent une forte croissance portée par des investissements privés (chaînes commerciales qui s’appuient sur des relais médiatiques pour leur développement), sans que l’on sache très précisément si ces acteurs sont en train de produire la demande ou ne font qu’y répondre au regard des transformations démographiques. Au rythme actuel, il est attendu d’ici 2020 des capacités d’accueil dans les résidences services privées supérieures à celles actuellement disponibles dans les logements-foyers (résidences autonomie) situées autour de 110 000 « places ». Au regard de ce développement, il serait très regrettable qu’une partie de la population, si elle le souhaite, ne puisse économiquement prétendre à cette forme d’habitat. Pour que ces habitats puissent « se démocratiser » et s’ouvrir à des personnes à revenus modestes, il sera nécessaire que l’engagement naissant des bailleurs sociaux en leur faveur soit davantage encouragé par les pouvoirs publics. La rénovation de certains logements HLM pourrait aussi être l’occasion de reconfigurer les lieux pour y concevoir des habitats intermédiaires, en partenariat avec les acteurs locaux qui agissent dans le champ gérontologique, et avec l’implication des CCAS communaux et intercommunaux. Pour un accès plus démocratisé aux habitats intermédiaires, les bailleurs sociaux pourraient aussi soutenir les projets de groupement de personnes âgées souhaitant fonder un habitat intermédiaire. Pourquoi ne pas profiter d’un programme de logements neufs ou d’une rénovation pour apprécier une telle demande citoyenne14? Cette politique devra passer par une réforme des règles d’attribution des logements sociaux afin que l’habitat devenu « intermédiaire » soit effectivement réservé à des locataires âgés.
L’expérience contemporaine du vieillissement est inédite, au sens où elle devient collective et beaucoup plus longue que dans le passé. Dans un avenir proche, la plupart des êtres humains feront l’expérience de la fragilité associée au vieillissement, mais pas nécessairement celle de la grande dépendance. Avec les générations dites du baby-boom, dont les modes de vie ont été accompagnés par de nombreuses transformations sociales, nous faisons l’hypothèse que les personnes âgées, malgré leur fragilité, revendiqueront le souhait de vivre « chez elles », quitte à inventer de nouvelles formes d’habitat pour maintenir leur autonomie. Accepter de déménager en vieillissant pour rester chez soi pourrait donc être un comportement plus facilement accepté qu’il ne l’est aujourd’hui dans les générations actuelles. Ainsi l’intérêt pour des habitats « intermédiaires », préservant un chez soi, répondant aux trois critères évoqués, ne peut que se renforcer. Le futur de ces habitats est à inventer dès maintenant.
Laurent Nowik
Maître de conférences, Université François-Rabelais de Tours, UMR CITERES 7324
- Laurent Nowik (dir.), Alain Thalineau, Anne Labit, Laurine Herpin et al., L’habitat de demain des retraités : un enjeu sociétal – Les habitats « intermédiaires » pour personnes âgées, vol. 1/2, novembre 2011, 193 p. ; vol. 2/2, juillet 2013, 166 p. Disponibles sur https://halshs.archives- ouvertes.fr/ ↩
- La statistique publique ne peut repérer que les Ehpa (Établissements d’hébergement pour personnes âgées) dont les Ehpad (Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) font parties, notamment sur la base du fichier Finess (Fichier national des établissements sanitaires et sociaux). ↩
- Vingt-huit partenaires, gérant un ou plusieurs habitats intermédiaires, ont coopéré à cette recherche. Pour autant, notre échantillon n’est pas représentatif puisque la population totale des résidents des habitats intermédiaires n’est pas connue. Il a néanmoins permis d’apporter une première connaissance de la population qui choisit ces formules résidentielles et de comparer les résidents des différents types d’habitat. ↩
- Ces résidences sont généralement les plus onéreuses, surtout les charges associées aux nombreux services. Dans son principe initial, les charges reposent sur la totalité des résidents (qu’ils fassent usage ou non des services) ou sur les propriétaires des logements quand ces derniers sont vides. Ce principe pourrait évoluer suite au décret du 26 octobre 2016 fixant les catégories de services non individualisables pouvant être fournis par le syndicat de copropriétaires, pouvant amener à une réflexion sur les services qui doivent être communs ou individualisés. ↩
- Il existe déjà des formes de contrôle des services proposés au sein des habitats intermédiaires, puisque les organismes d’aide à la personne qui y interviennent sont détenteurs de l’agrément délivré par la Direccte et visé par les services du conseil départemental. ↩
- Cf. Laurent Nowik, « Habitats intermédiaires : de quoi parle-t-on ? », in L. Nowik et A. Thalineau (dir.), Quel « chez soi » pour bien vieillir ? Les habitats pour personnes âgées en question, Presses Universitaires de Rennes, 2014, p. 23-46. ↩
- La notion d’intermédiarité est à comprendre ainsi, alors qu’elle pourrait laisser penser que les résidents ne sont que de passage entre les deux pôles évoqués : au cours de la « vieillesse », on passerait du logement ordinaire au logement intermédiaire pour terminer dans une maison de retraite médicalisée. Cette représentation ne correspond pas aux souhaits des personnes qui vivent dans les habitats intermédiaires. En recueillant l’avis des premiers concernés, il en ressort que les retraités qui vivent dans un habitat intermédiaire n’envisagent pas une mobilité résidentielle ultérieure. Au contraire, ils disent, toujours et encore, vouloir demeurer le plus longtemps possible dans leur habitat, jusqu’au terme de leur existence. Pour certains, l’entrée dans l’habitat intermédiaire est d’ailleurs une stratégie pour échapper à un éventuel « placement » en institution ↩
- Et l’Anah évalue à près de deux millions le nombre de personnes âgées de plus de 60 ans qui auraient besoin d’une adaptation de leur logement. D’après le Centre d’analyse stratégique du Premier ministre (CAS), « L’adaptation du parc de logements au vieillissement et à la dépendance », In La note d’analyse, n° 245, octobre 2011. ↩
- Monique Membrado et Alice Rouyer (dir.), Habiter et vieillir. Vers de nouvelles demeures. Toulouse, Érès, 2013, 278 p. ↩
- Anne Labit, « Habiter et vieillir en citoyens actifs. Regards croisés France-Suède ». In Retraite et Société, 2013, n° 65, p. 101-120. ↩
- Le schéma ne veut pas laisser penser que les habitats intermédiaires occupent un espace résidentiel plus important que les deux autres formes d’habitat. En allongeant de gauche à droite et de bas en haut l’ellipse symbolisant les habitats intermédiaires, nous voulons seulement insister sur leur grande diversité, contrairement aux deux autres formes. ↩
- Cela serait incohérent puisque les résidents des habitats intermédiaires sont propriétaires ou locataires (donc détenteur d’un bail). Interdirait-on aussi à des personnes « trop » dépendantes de rester dans leur logement ordinaire signant ainsi la fin de la politique du maintien à domicile ? ↩
- Concernant les tarifs, nous renvoyons le lecteur à l’annexe 5 de notre rapport intermédiaire de recherche sur les habitats intermédiaires qui présente en détail quatorze terrains d’observation, avec les services et les tarifs proposés (cf. note n°1, vol. 1/2). Les formules où un bailleur social est impliqué sont généralement comprises entre 350 et 800 euros par mois. Autour de 800 euros, les premières résidences avec services du secteur privé sont aussi présentes, mais, à ce prix, l’offre de services peut s’avérer moins importante que dans une résidence autonomie. ↩
- Des projets d’habitats intergénérationnels ont développé ce dialogue avec les usagers pour définir certains aménagements et des règles de vie entre voisins, par exemple le quartier intergénérationnel « Val Sully » de la commune de Saint-Apollinaire qui, avec ses espaces partagés, constitue un habitat proche du concept d’habitat intermédiaire : les critères 1 et 3 vus précédemment sont réunis ; il serait aussi possible de proposer ce dialogue pour constituer des habitats intermédiaires. ↩