Voici un an pile qu’Emmanuel Macron était réélu à la présidence de la République. Mais ce fut une réélection en trompe-l’œil. En effet comme lors de son élection de 2017, la majorité de l’électorat a voté contre Marine Le Pen plus que pour lui.
Au surplus voici un an, on a vécu l’élection présidentielle qui a le moins mobilisé depuis 1969. Ainsi le taux d’abstention au second tour des élections présidentielles s’est élevé à 28 % en 2022, talonnant le record des élections présidentielles de 1969, où 31 % des électeurs français n’étaient pas allés voter (Pompidou ne faisant qu’une bouchée de Poher). En 2022 les bulletins blancs et nuls ont aussi atteint des sommets. Ainsi plus de trois millions de personnes ont voté blanc ou nul, dimanche 24 avril, lors du second tour de la présidentielle. L’expression d’une défiance citoyenne grandissante et d’un rejet du duel Macron-Le Pen. Mais dans ce rejet, orchestré par « la bien-pensance » socialo-libérale, c’est Marine Le Pen qui en a le plus fait les frais. Bien que son score (41,5 %) ait largement dépassé celui de son père de 2002 et le sien de 2017.
Nous sommes persuadés que sur les quelques 58,5 % réalisés par E. Macron, une grande majorité a procédé à un vote anti Le Pen plutôt qu’une adhésion au bilan du sortant.
En effet l’électorat n’a pu oublier les dégâts de la crise des Gilets jaunes si mal gérée (ou alors par les enveloppes accordées !) et la gestion si chaotique de la crise de la Covid. En revanche le conflit russo-ukrainien n’a pas joué car on s’est aperçu assez rapidement que la voix de la France était plus proche de celle d’un castrat que d’un ténor.
Alors le second mandat d’E. Macron a débuté sous les pires auspices économiques qui soient, conséquences du conflit en Ukraine pour l’essentiel. Et puis est venue cette réforme des retraites qui avait été annoncée durant la campagne présidentielle. Elle instaure notamment : recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans d’ici 2030, durée de cotisation portée à 43 ans dès 2027, petites pensions, fin des régimes spéciaux… Rappelons que cette réforme est passée uniquement grâce aux règles constitutionnelles du parlementarisme rationnalisé (49-3, 47-1) et que cela s’est fait à 9 voix près (plus petit score depuis 1958). On sait la forte contestation sociale que cette réforme a engendré et engendre toujours. Si le gouvernement Borne s’est montré d’une maladresse voire d’une inefficience rare, on ne peut pas dire que le chef de l’Etat se soit montré à la hauteur de ce qu’exigeait le débat et surtout la fonction. Nous avons déjà eu l’occasion de montrer dans ses colonnes qu’E. Macron participe largement d’une dégradation de la fonction présidentielle impulsée par N. Sarkozy. Comportement hautain, petites phrases, discours inappropriés, tous les ingrédients pour arriver à un rejet populaire immense. Ainsi après la promulgation de la réforme des retraites, la cote de popularité d’Emmanuel Macron a chuté pour atteindre son niveau le plus bas à 26 %, un quart des Français se déclarant résignés, selon un sondage BVA pour RTL publié ce vendredi (21/04). Alors certains avocats du diable diront que Chirac et Hollande avaient atteint des scores similaires.
Il est vrai qu’Hollande fut fin 2016 à 22 % et Chirac à 25 % en 2005. Mais aucun des deux ne suscita un tel rejet, une telle haine.
Aucun esprit sérieux ne peut contester que ce soit la personne de l’actuel président qui est honnie par une large partie des gens. Pantins à son effigie brûlés, dessins et insultes en tous genres fleurissent dans tous les cortèges. Mercredi dernier, à l’occasion d’un déplacement du chef de l’État à Sélestat en Alsace, trois personnes ont proféré des insultes et ont fait des bras d’honneur en direction du président de la République. Ils ont été poursuivis par le Procureur de Colmar. Selon l’article 33 du code pénal « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait » visant un agent public, constitue un outrage et peut être sanctionné d’un an de prison et 15.000 euros d’amende. Ces personnes seront jugées en septembre prochain. Rappelons que le délit d’offense au chef de l’Etat a été supprimé en 2013. Lors de sa visite dans l’Hérault, quelques jours plus tard, il est encore accueilli avec moult invectives et des « casserolades » (le préfet avait pourtant bien imprudemment interdit celles-ci).
Alors face à ce tumulte, Emmanuel Macron tente de relancer son second quinquennat après la promulgation de la réforme des retraites. Ainsi il s’est adressé aux Français le 17 avril dernier. S’il a justifié la réforme, il a dit « regretter » qu’un « consensus » n’ait « pu être trouvé ». Puis il a décliné « trois grands chantiers » : le travail, la justice et le progrès pour mieux vivre. Ce n’est ni plus ni moins que son programme de 2017 revisité et celui de 2022 réchauffé. Tout en maintenant E. Borne à Matignon, il énonce qu’un premier bilan sera fait le 14 juillet prochain. Soit 100 jours. Napoléon les débuta en triomphateur mais déchanta au bout du compte ! On sait pertinemment que ces 100 jours ne profitent qu’au président nouvellement (ré)élu. Ni le Premier ministre, ni le gouvernement ne peuvent se prévaloir de ce tempo. Or, ces 100 jours, E. Macron suite à sa réélection est totalement passé à côté. Or ne sait-il pas, comme nous le dit si joliment Barbara, « Que tout le temps qui passe, Ne se rattrape guère, Que tout le temps perdu, Ne se rattrape plus ».
Selon certains experts de la macronie, cette réforme des retraites serait l’acte majeur du mandat. Et maintenant alors ?
Selon nous le quadriennat qui s’ouvre aujourd’hui se déroulera presque pour rien.
Pour deux raisons essentielles. D’abord car la majorité relative est très fragilisée. Ensuite la défiance populaire qui vise le locataire de l’Elysée nous apparait insurmontable. On ne peut reprocher à ce dernier d’être idiot. Il sait pertinemment que ses propos du 17 avril ont fait pschitt. Donc il a tenté de revoir la donne dans un entretien au Parisien le dimanche 23 avril. A l’approche du premier anniversaire de sa réélection, Emmanuel Macron fait le bilan et esquisse la suite de son mandat. Il concède ne pas s’être assez « mouillé » sur la réforme des retraites (quid de Mme Borne ?!!). Il veut revenir dans le débat public, s’y engager et surtout clarifier davantage les choses, à l’aune de toutes les imprécisions qui ont fait polémiques avec cette réforme. Quant à ces « petites phrases » qui lui sont reprochées, il les assume. Et pourtant tant de ces dernières furent indignes d’un président.
Il précise : « Je vais être honnête, les prix alimentaires, ça va être dur jusqu’à la fin de l’été » (on s’en doutait !). Alors que le 22 mars il avait affirmé vouloir plusieurs textes sur l’immigration, il change (encore) de cap et annonce : « Je veux une loi efficace et juste, en un seul texte tenant cet équilibre ». Si la généralisation du SNU est mise en stand-by (voilà une réforme ni vitale ni urgente), il annonce « un grand projet de restauration écologique de nos écoles » (bien des communes s’y sont déjà mises avec succès). Alors que tant le président du Sénat que celle de l’Assemblée ont, plus ou moins, estimé le sujet non prioritaire (et ils ont raison), le chef de l’Etat annonce que « plusieurs questions » sont en « réflexion » sur le fonctionnement des institutions. Et de préciser « je soumets plusieurs questions à la réflexion », a-t-il détaillé, en partie sur « la souveraineté populaire ». « Faut-il ouvrir ou pas le champ du référendum, du référendum d’initiative partagée (RIP), faut-il plus de proportionnelle à l’Assemblée, faut-il aller vers un règlement des assemblées qui évite le blocage sans aller à la situation qu’on a connue ? », s’interroge-t-il. « Je ne suis pas favorable à la suppression du poste de Premier ministre », a en revanche tranché le chef de l’Etat. Ce président souffrirait-il d’amnésie ? Son premier mandat a été l’objet d’un projet de révision en ce sens qui n’a débouché sur rien. Si l’on osait on lui dirait qu’il met à côté de la plaque. En effet les Français ne sont absolument pas passionnés par les débats de ce type.
Surtout pas en ces temps de crise économique où l’essentiel des soucis se situent au niveau du caddy que les gens peinent à remplir et des fins de mois qui sont de plus en plus difficiles à boucler.
Alors bien entendu, comme de coutume, l’interview s’achève sur la peur. Alors qu’on l’interroge sur son impopularité, le président juge que « Marine Le Pen arrivera [au pouvoir] si on ne sait pas répondre aux défis du pays et si on installe une habitude du mensonge ou du déni du réel ». C’est une technique assez médiocre pour un chef d’Etat en exercice. Mais il est vrai que selon un sondage Elabe si le premier tour de la présidentielle avait lieu aujourd’hui avec les mêmes candidats qu’en 2022, Marine Le Pen arriverait nettement en tête (31 %) devant Emmanuel Macron (23 %) et Jean-Luc Mélenchon (18.5 %). Et au second tour Marine Le Pen battrait l’actuel président avec 55 % des voix contre 45 % pour l’actuel président. Même si ce ne sont que des sondages et que la prochaine élection présidentielle se situe en 2027, cette projection est déjà très révélatrice. Les Français ont presque déjà condamné Emmanuel Macron. D’autant qu’il ne pourra se représenter. On a des noms de candidats potentiels plus ou moins déjà en lice pour la plupart à droite ou au centre (MM. Philippe, Bertrand, Wauquiez, Bayrou), d’autres qui y songent certainement (en se rasant ou pas, MM. Darmanin, Le Maire).
Peut-être que d’ici là, E. Macron fera un remaniement. Imaginons que, même si elle fait un « bon travail » selon lui, au bout des fameux 100 jours il ne se soit rien passé de concret (ce sera le cas à notre sens), Mme Borne sera priée de retourner à ses chères études. Déjà des successeurs sont prêts (G. Darmanin, M. Valls). On évoque même le nom d’un ancien président ! Cette dernière hypothèse serait assez inouïe. Il va de soi aussi qu’un certain nombre de ministres pourraient être remerciés. On ne donnera pas les noms car chacun les reconnaitra !
Le président a aussi évoqué le référendum. Il ne l’exclut pas mais il assure qu’il ne va « pas se lancer aujourd’hui » dans une telle entreprise. Vu sa cote de popularité cela relèverait, peu ou prou, du suicide politique ! Cela étant le Général est bien parti dans ces circonstances en 1969 !
Emmanuel Macron a oublié le scénario de la dissolution. Il s’en garderait bien conscient du raz-de-marée mariniste qui en découlerait immanquablement. Et la une cohabitation dans ce contexte ne manquerait pas de sel !!
Pour conclure disons clairement les choses. Lorsqu’un an à peine après sa réélection, alors qu’une crise économique et sociale gronde, un président est obligé de revoir sa copie, de se repositionner, c’est qu’il y a un problème grave. Il se sait impopulaire comme aucun autre de ses prédécesseurs, après un an de mandat, ne l’a été. Face à cela, au lieu de se replier un peu sur son Aventin élyséen, de se faire oublier, il va au contact « à portée de gifle » (comme il le dit lui-même). Comme du corps social, E. Macron fait une interprétation toute personnelle du fonctionnement de nos institutions. Il revient au président de la République de fixer les grands caps de la politique de la Nation et au Gouvernement (le Premier ministre en tête) de les mettre en œuvre avec, en principe, le soutien d’une majorité. C’est sur ce schéma là que notre pays a toujours le mieux fonctionné.
Peut-être après tout que le chef de l’Etat pense déjà à l’après 2027 ? Cela peut même être un objectif ! Mais avant il se dessine devant lui comme un chemin de croix… Jupiter il est temps de rentrer à nouveau dans ce corps !
Rien ne rehausse l’autorité mieux que le silence (C. de Gaulle).
Raphael Piastra
Maitre de Conférences en droit public des Universités
Photo : Alexandros Michailidis/Shutterstock.com