Cinq ans après son déplacement au G20 en Argentine, Emmanuel Macron a renoué avec l’Amérique latine avec un déplacement au Brésil très médiatisé, du 25 au 29 mars dernier. Parmi les enjeux de sa visite : la lutte contre la déforestation, l’investissement français au Brésil et les questions internationales notamment la guerre en Ukraine ou encore l’accord Union européenne-Mercosur.
Plus de 10 ans après la visite d’État de François Hollande au Brésil, Emmanuel Macron veut imposer un nouveau souffle et montrer au sous-continent qu’il n’oublie pas cette région du monde très complexe sur le plan géopolitique et économique. Au-delà des photos et des blagues sur les réseaux sociaux, le président français est venu avec un agenda précis et une nouvelle ambition pour les relations franco-brésiliennes au point mort depuis l’ère Jair Bolsonaro. Pour rappel, l’ancien président et son gouvernement avait nommément pointé du doigt le président et son épouse. Emmanuel Macron ne trouvait pas d’écho sur la politique qu’il souhaite promouvoir pour l’Amazonie ; à savoir la protection de la biodiversité et la lutte contre la déforestation.
Toutes ces raisons, en plus de la pandémie de la COVID-19 et des tensions en France, peuvent expliquer en partie le retard de sa venue au Brésil.
Sourires, mains liées, tape sur l’épaule… Ce fut une visite digne d’une « bromance ». Après une rencontre à Paris en juin 2023, Lula et Macron se sont retrouvés au Brésil. « Une escapade plus romantique que ne l’est la diplomatie internationale », souligne The Guardian ; d’autres médias ont même comparé cette visite amicale à un mariage.
Emmanuel Macron accepte la comparaison sur Instagram au terme de sa visite : « Certains ont comparé les images de ma visite au Brésil à celles d’un mariage, je leur dis : c’en était un ! La France aime le Brésil et le Brésil aime la France ! »
Une visite préparée minutieusement
Une visite d’État dans un pays sud-américain comme le Brésil, il faut l’organiser en amont, surtout quand il y a plusieurs sujets et plusieurs escales. Pour Emmanuel Macron, le choix du Brésil pour sa visite d’État n’est pas anodin pour trois motifs importants.
Le premier : le Brésil est un pays qui a retrouvé une stabilité économique depuis le retour au pouvoir de Lula en 2023. C’est un véritable cœur d’activités pour des grandes entreprises françaises comme Carrefour, Dassault, Sanofi, Renault, Peugeot ou encore Thales. Il est important de rappeler que la France est le quatrième pays investisseur au Brésil avec plus de 40 milliards d’euros d’investissements directs. Du côté du gouvernement français, on déplore que l’investissement brésilien dans l’Hexagone ne soit pas toujours « gagnant-gagnant » pour la France « Le Brésil n’est pas à la hauteur en termes d’investissement en France (deux milliards d’euros) quand on voit la taille, l’expertise des conglomérats brésiliens », rapporte l’Élysée.
Le deuxième : La Guyane, collectivité d’outre-mer, partage une frontière avec le Brésil. C’est la plus grande frontière terrestre de la France, soit 730 km. Il partage également ce que Emmanuel Macron considère comme un bien commun « la forêt amazonienne », en proie aux incendies et à des activités illégales comme l’orpaillage. Le président Macron était invité en juillet dernier à Belém pour le sommet de l’Amazonie, un rendez-vous raté en raison de contraintes d’agenda selon l’Élysée.
Le troisième : Le Brésil préside le G20 en 2024, c’est aussi un acteur incontournable sur la scène internationale dans le secteur de l’agroalimentaire (production de soja, maïs, café, cacao, sucre…). Le Brésil tente de se positionner comme l’un des porte-parole des pays du Sud, autrement appelé le Sud Global et veut s’affirmer en médiateur des conflits en cours. De plus, Lula est un interlocuteur important dans le cadre des négociations pour le traité UE-Mercosur. Emmanuel Macron reviendra à Rio de Janeiro les 18 et 19 novembre à l’occasion dix-neuvième réunion du Groupe des vingt (G20).
Le socle commun France – Brésil : l’Amazonie
Durant sa visite très commentée au Brésil, Emmanuel Macron a décoré Raoni Metuktire, cacique du peuple kayapo devenu l’icône planétaire de la défense de l’Amazonie. Une cérémonie en présence du président brésilien Lula Da Silva sur l’île de Combu, près de Belém, ville du nord du Brésil. Un véritable symbole pour la France qui s’est engagée à protéger la forêt amazonienne mais aussi les peuples autochtones. « Je considère Lula comme mon frère, Macron comme mon fils » a déclaré Raoni en marge de cette décoration1
Depuis les années 2000, Raoni trouve écho en Europe pour faire passer son message concernant la protection de la forêt amazonienne notamment chez les présidents français. Cet ambassadeur du combat pour la protection de la forêt amazonienne et au-delà de celui de la protection de l’environnement de tout peuple indigène a rencontré, à plusieurs reprises, Emmanuel Macron lors de ses déplacements. Le cacique Raoni avait été reçu par le chef de l’État au Palais de l’Élysée le 4 juin 2023, en mai 2019, et avait également été convié au sommet du G7 à Biarritz sous présidence française au mois d’août de la même année.
Parmi les projets annoncés, Lula et Macron souhaitent lancer un programme d’investissement pour l’Amazonie. L’objectif ? Lever « un milliard d’euros d’investissements publics et privés sur les quatre prochaines années » pour la forêt amazonienne. Un programme qui vise à s’engager dans la « conservation et la gestion durable des forêts » avec une « valorisation économique » des territoires, en intégrant les « peuples autochtones et les communautés locales au cœur des prises de décision »2
Cette annonce à Belém s’inscrit dans les engagements souhaités par le gouvernement avec les Accords de Paris, mais aussi en vue de la COP30 qui se déroulera dans cette ville du nord du Brésil.
Des divergences sur l’Ukraine et l’accord UE-Mercosur
Au forum économique à São Paulo, on peut retenir un message fort envoyé par Emmanuel Macron concernant l’accord commercial conclu entre l’Union européenne et les pays du Mercosur en 20193.« Finissons-en avec le Mercosur d’il y a 20 ans. Bâtissons un nouvel accord qui soit à la lumière de nos objectifs, de notre réalité. C’est-à-dire un accord commercial qui soit responsable d’un point de vue de développement, de climat et de biodiversité » a-t-il lancé, réaffirmant le souhait que l’accord ne doit pas être signé dans l’état actuel. La France veut un accord avec l’intégration de la réciprocité des normes et la mise en place de clauses miroirs. C’est un point de divergence important entre la France et le Brésil : il y a « des inquiétudes quant aux pratiques environnementales dans le secteur agricole brésilien, affirmant que sa course à la productivité nuit à l’environnement »4
Derrière ces déclarations, il y a la question de la souveraineté alimentaire et celle de la concurrence car les normes pour l’agriculture entre les deux pays ne sont pas les mêmes. Sur ces points-là, Emmanuel Macron souhaite trouver un allié avec Lula pour lancer un nouvel accord. Malgré les multiples réunions, les négociations pour le traité UE-Mercosur qui n’ont pas aboutit jusqu’à présent. De son côté, Lula doit créer sa politique avec les lobbies du secteur agroalimentaire brésilien qui ne souhaitent pas avoir plus de normes pour l’exportation et qui mettent la pression sur leur gouvernement. « C’est démocratique de ne pas être d’accord. Mais je n’ai pas à discuter avec M. Macron parce que ce n’est pas un accord bilatéral » a expliqué Lula devant un parterre d’homme d’affaires brésilien.
Autre point de divergence : la question de la guerre en Ukraine. « Nous, on est contre la guerre et nous avons évité de prendre partie car on veut revenir à la table des négociations. », a rappelé Lula laissant dans le flou la position que le Brésil va adopter dans les prochains mois ; mais, il refuse toute escalade dans cette guerre. Ce dernier, à l’époque candidat, avait condamné l’invasion russe tout en tenant l’OTAN pour responsable5
Aujourd’hui, le président Lula fait partie des rares présidents en Amérique latine à avoir reçu des officiels russes : c’est le cas du ministre russe des Affaires étrangères Sergei Lavrov à plusieurs reprises ; une position critiquée par Washington qui accuse Brasília de se faire « l’écho de la propagande russe » sur le conflit.
Ce rôle d’équilibriste que joue le Brésil peut être décisif pour trouver une solution à la guerre en Ukraine. Dans une posture de chef de file des non-alignés, le Brésil, à la différence de la France, ne souhaite pas aider militairement l’Ukraine et considère que son pays est « très loin de l’Ukraine ». Une manière d’éviter les sujets qui fâchent et les déclarations qui pourraient mal être interprétées.
Concernant l’Amérique du Sud, on observe la constitution d’un front commun, c’est le souhait d’une élection libre au Venezuela le 28 juillet prochain. Les dirigeants français et brésilien ont critiqué l’exclusion de l’opposante Corina Yoris. « Nous condamnons très fermement l’exclusion d’une candidate sérieuse et crédible de ce processus », a déclaré Emmanuel Macron, insistant sur l’importance d’avoir une élection transparente et libre où l’opposition peut s’exprimer6
Les sous-marins, un partenariat stratégique
Lors de sa visite d’État, Emmanuel Macron était accompagné d’une délégation composée d’industriels, de responsables politiques et de journalistes. Un des moments clefs du voyage présidentiel était celui de la séquence « sous-marin », symbole de la relation entre la France et le Brésil ces dernières années.
En déplacement sur le chantier naval d’Itaguaí pour la mise à l’eau du troisième d’une série de quatre sous-marins de conception française à propulsion conventionnelle, le président ne cachait pas son sourire devant la livraison à la Marine brésilienne du Tonelero, un sous-marin « Scorpène » de conception française construit par ICN, coentreprise entre Novotor (ex-Obdebrecht, géant du BTP brésilien) et Naval Group (industrie navale de défense français)7
Ce sous-marin s’inscrit dans un accord d’environ 6,7 milliard d’euros, qui date de 2008 sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Ce partenariat stratégique inédit entre Paris et Brasília doit aboutir à la construction par le Brésil de son premier sous-marin à propulsion nucléaire, l’Álvaro Alberto.
Avec cette possible acquisition, le Brésil deviendrait le premier pays à disposer de cette technologie, après les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU.
Mais, si la France a assuré le Brésil d’être à ses côtés, elle a fait part de sa réticence sur les questions de transfert de technologies nucléaire en raison du défi de la non-prolifération des armes atomiques8
Le Brésil s’équipe de sous-marins pour protéger ce que le pays considère comme l’« Amazonie bleue », son immense zone économique exclusive (soit 8 500 km de côtes) par laquelle transite plus de 95 % de son commerce extérieur et où est extrait environ 95 % de son pétrole.
Un coup de com’ ou du concret ?
Si on se réfère aux photos publiées sur les réseaux sociaux, on peut se demander si cette visite avait un intérêt concret au-delà de la signature d’un nouveau contrat et du lancement d’un nouveau programme d’investissement pour l’Amazonie. L’intérêt de cette visite pour Emmanuel Macron réside surtout dans l’ouverture d’une « nouvelle page » après plusieurs années « parfois difficiles sur le plan politique et diplomatique »9 Les images diffusées sont parfois en décalage avec une visite d’État classique et surtout la réalité du terrain, autant du côté brésilien que du côté de la Guyane. Les questions sécuritaires et économiques restent parmi les enjeux les plus importants.
Cette donnée est importante : il a fallu attendre plus de 5 ans pour que le président Macron se rende à nouveau en Amérique latin, et plus de 10 ans pour une visite d’État d’un président français au Brésil.
Depuis 2017, l’Élysée porte un intérêt très limité à la région, mais le président français montre une volonté d’endosser le rôle de médiateur – porteur de projet sur des questions comme la préservation de la biodiversité ou encore les négociations entre le gouvernement vénézuélien et l’opposition à l’occasion du Forum sur la Paix à Paris en novembre 2023.
Le bilan de la présence d’Emmanuel Macron en Guyane, puis au Brésil, reste globalement positif pour les relations « France-Brésil » malgré certaines divergences comme la question de la guerre en Ukraine. Alors qu’Emmanuel Macron affiche un soutien sans faille à Kiev, Lula s’est démarqué depuis le début du conflit et refuse d’isoler la Russie, préférant une position « neutre ».
Néanmoins, on peut constater un engagement commun : celui de la préservation de l’Amazonie que partage le Brésil et la France avec la Guyane. Voyons donc si cette visite et les échanges seront suivis d’actions concrètes sur le terrain pour lutter contre le changement climatique et la pauvreté. Lula et Macron se retrouveront lors du G20 en novembre prochain : un rendez-vous international très attendu qui pourrait se faire en présence du président russe Vladimir Poutine, une des volontés de Lula.
Guillaume Asskari,
Journaliste, spécialiste de l’Amérique latine
Membre de l’association LatFran (latfran.org)
- France Info, 27 mars 2024 : https://www.francetvinfo.fr/monde/bresil/reportage-j-avais-pris-l-engagement-de-venir-dans-ta-foret-emmanuel-macron-a-remis-la-legion-d-honneur-a-raoni-en-amazonie_6450268.html. ↩
- « Feuille de route sur la bioéconomie et la protection des forêts tropicales », site elysee.fr, 26 mars 2024 : https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2024/03/26/feuille-de-route-sur-la-bioeconomie-et-la-protection-des-forets-tropicales. ↩
- Crée au mois de mars 1991, le Mercosur constitue un marché commun régional, regroupant les économies du Brésil, de l’Argentine, de l’Uruguay, du Paraguay et bientôt de la Bolivie qui a été acceptée en décembre 2023 (le Venezuela a été suspendu en 2017 après l’élection frauduleuse du Parlement). D’autres pays y ont le statut d’États associés : Chili, Colombie, Équateur, Pérou. ↩
- « Acordo entre UE e Mercosul é “péssimo”, diz Macron na Fiesp », Poder 360, 27 mars 2024 :https://www.poder360.com.br/internacional/acordo-entre-ue-e-mercosul-e-pessimo-diz-macron-na-fiesp/. ↩
- Bruno Meyerfeld, « Lula et la gauche brésilienne cultivent l’ambiguïté sur la guerre en Ukraine », Le Monde, 2 mai 2022 : https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/05/02/lula-et-la-gauche-bresilienne-cultivent-l-ambiguite-sur-la-guerre-en-ukraine_6124394_3232.html ↩
- Tiago Tortella, « Eleições na Venezuela: María Corina Machado agradece posicionamentos de Lula e Macron », CNN Brasil, 29 mars 2024 : https://www.cnnbrasil.com.br/internacional/eleicoes-na-venezuela-maria-corina-machado-agradece-posicionamentos-de-lula-e-macron/ ↩
- Mathilde Chatin, « Le Brésil et le sous-marin à propulsion nucléaire : dissuasion, développement et autonomie technologique », Les Champs de Mars, 2018/1, n° 30, pp. 285-293 : https://www.cairn.info/revue-les-champs-de-mars-2018-1-page-285.htm. ↩
- Valérie Leroux, « Entre partenariat de défense et traité UE-Mercosur, accord et désaccords de Macron et Lula », TV5 Monde, 27 mars 2024 : https://information.tv5monde.com/international/entre-partenariat-de-defense-et-traite-ue-mercosur-accord-et-desaccords-de-macron-et. ; Matias Arraez, « Relations France Brésil. Pascal Drouhaud : ʺEmmanuel Macron veut garder Lula dans le camp du raisonnableʺ », Public Sénat, 27 mars 2024 : https://www.publicsenat.fr/actualites/international/relations-france-bresil-emmanuel-macron-veut-garder-lula-dans-le-camp-du-raisonnable ; Traité de non-prolifération des armes nucléaires, adopté le 1er juillet 1968, entré en vigueur le 5 mars 1970, Bureau des affaires de désarmement de l’ONU (https://treaties.unoda.org/t/npt). ↩
- Jean Terzian, « Macron salue une « nouvelle page » des relations France-Brésil », Challenges (avec Reuters), 28 mars 2024 : https://www.challenges.fr/top-news/macron-salue-une-nouvelle-page-des-relations-france-bresil-cite-defense-et-espace_888447. ↩