Les affrontements, samedi dernier, à Ste Soline, entre les forces de l’ordre et certains manifestants – qui ont tant choqué les « voyeurs honnêtes » que sont les chaînes d’info – obéissent pourtant à une logique anarchiste classique : casser les symboles du pouvoir, et au premier chef les agents des forces de l’ordre qui l’incarnent physiquement. Cette violence, qui effraie tant les commentateurs-télé depuis quelques semaines [et que nous sommes, nous invités, aussitôt sommés de condamner], est au contraire jugée « naturelle » par ceux qui l’emploient, et même « légitime », pour employer un terme à la mode.
« Violence légitime », nous voici au cœur du débat. C’est, on le sait, au sociologue allemand Max Weber que l’on doit la thèse (énoncée dans deux conférences de 1917 et 1919) du « monopole de la violence (ou force) physique légitime de l’Etat » – monopole, quand on suit le texte de l’auteur, qui est avant tout une « revendication » étatique.
Interrogeons-nous. De deux choses l’une : ou la violence est une vertu (ou une nécessité humaine), et dans ce cas, elle peut être « légitime » (au moins dans certaines circonstances et pour certains auteurs), ou au contraire elle est un mal, relatif ou absolu, dans les communautés humaines (au moins civilisées), et dans cette hypothèse, il ne saurait y avoir de violences « légitimes ». En effet, que la violence soit exercée par un individu ou par une institution, elle devient, de par sa mauvaise nature, inacceptable.
Il existe aujourd’hui, sous-jacent, un autre débat, autour de la notion de « violences policières ». Pour l’Institution-police, cette notion qui, à ses yeux, la mettrait globalement en question, n’est pas recevable. Et pourtant, elle l’est !
Il existe bel et bien Des violences policières comme il existe Des violences conjugales, familiales, scolaires, etc.
En parlant de « violences policières » – une appellation légitime » -, l’on n’affirme pas une « violence systémique », l’on indique seulement qu’il existe Des policiers violents comme il existe Des conjoints ou Des élèves violents – ni plus ni moins -, des individus qui, par conséquent, commettant des faits répréhensibles, sont punissables par la loi.
Depuis quelques jours, confrontées à une série de ce qu’on appelait naguère des « bavures », la hiérarchie policière semble avoir décidé de parler moins de « violence » légitime que de « force » légitime.
C’est un progrès sémantique (s’il était confirmé dans les jours à venir), mais c’est encore insuffisant. Ne faudrait-il pas en effet tout simplement parler de « force légale » pour signifier que, dans certaines circonstances (notamment de légitime défense), les agents des forces de l’ordre sont autorisés, dans le cadre des lois et règlements naturellement, à faire usage de la force contre leurs agresseurs, dès lors, naturellement encore, que la riposte reste proportionnée à l’attaque : en somme « la loi, toute la loi, mais rien que la loi ». Si, bien entendu, cette proportionnalité n’était pas respectée, il y aurait alors abus de la force, et poursuites possibles contre les contrevenants.
Concluons ainsi : la thèse du « monopole de la violence physique légitime de l’Etat » nous semble correspondre à une vision de l’Etat qui n’a plus cours (ou ne devrait plus avoir cours), celle d’un Etat dominateur, souverain, fort peu démocratique par conséquent, qui ignore le consensus et le dialogue y conduisant, d’un Etat de « sujets » alors qu’en démocratie il n’y a que des citoyens, invités à chaque instant à poursuivre des relations apaisées.
La démocratie ne saurait vivre sous l’empire des « violences légitimes », d’où qu’elles viennent. Evidemment, lorsqu’un régime théoriquement démocratique, tombe sous le coup de l’autoritarisme, peuvent surgir des résistants et de nouveaux apôtres de violences « légitimes ». Mais ceci est un autre sujet.
Michel Fize
Sociologue et politologue
Auteur de Colères (Ed. Amazon, 2023)
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