Avec la persistance des déficits sociaux, l’antienne des fusions revient à la mode. Après tout, pourquoi garder des caisses de petite taille ou une architecture comprenant régime de base et complémentaires qui doublonnent et augmentent les frais. Selon certains, tout fusionner permettrait de faire des économies en réduisant les coûts de structure. Cette approche comptable est dangereuse en raison de son caractère non qualitatif. Gros n’est pas forcément synonyme de meilleur rapport qualité/prix, les rendements d’échelle étant loin d’être linéaires, comme l’illustre la plus ou moins bonne gestion de la protection sociale.
Prenons l’exemple des régimes de retraites. La Banque de France dispose d’un petit régime avec à peine 17 000 retraités. Si l’on applique le critère de coût de fonctionnement, le fusionner avec le régime général et ses 15 millions de retraités aurait dû être une priorité depuis des décennies. Mais dans les faits, le régime de la Banque de France est excessivement rentable car il autofinance les retraites de ses employés sans faire appel aux contribuables (grâce à 14 milliards d’euros placés sur les marchés financiers) tout en reversant des excédents à l’Etat (2,6 milliards depuis 2020). Sa fusion, organisée par le précédent gouvernement, ne créera aucune valeur et au contraire, en détruira puisqu’elle conduira à réduire le montant des capitaux placés.
Il en va de même de plusieurs petits régimes de retraites – du Sénat (1 900 retraités) aux pharmaciens (33 000 retraités) – qui ont placé des capitaux créant une valeur bien supérieure à leurs frais de structure. Les frais de fonctionnement, s’ils ne sont pas rapportés à la création de valeur de l’institution, ne sont en aucun cas un indicateur valable. La même approche vaut si l’on regarde les régimes de retraite de plus grosse taille. Il est possible que les coûts de fonctionnement de l’Agirc-Arrco (15 millions de bénéficiaires) soient supérieurs à ceux du régime général de sécurité sociale (17 millions de retraités).
Mais il ne fait aucun doute que l’Agirc-Arrco est bien mieux géré que le régime général.
Contrairement au régime général, qui ne dispose d’aucun mécanisme d’équilibrage de ses comptes, l’Agirc-Arrco a des réserves qui rapportent de l’argent et n’a jamais recourt à l’emprunt pour financer les pensions. Sa pratique, conforme au fonctionnement normal d’un régime par répartition géré en bon père de famille, génère des économies substantielles pour la collectivité. Fusionner l’Agirc-Arrco dans le régime général de la sécurité sociale, en démantelant la gouvernance responsable mise en place par les partenaires sociaux, détruirait de la valeur bien au-delà des économies de frais de fonctionnement, si tant est que ces économies comptables soient au rendez-vous, l’histoire montrant qu’une part significative des fusions est destructrice de valeur.
La même logique vaut pour la santé. Certains spécialistes appellent fréquemment à l’absorption par la sécurité sociale des complémentaires santé de droit privé au motif que ces dernières auraient des frais de fonctionnement supérieurs à ceux du régime général. Cette approche est viciée. D’une part, les vrais coûts de gestion de l’assurance maladie publique sont artificiellement sous évalués. Ils excluent notamment la charge de la dette (4,7 milliards d’euros en 2023 pour l’essentiel liés à la maladie) et, d’autre part, ne tiennent pas compte des dynamiques de long terme.
En santé, les économies durables dépendent de la capacité à développer la prévention et la meilleure articulation entre les acteurs, domaines dans lesquels la sécurité sociale est à la traîne.
L’actualité nous en fournit une illustration avec la façon dont la sécu appréhende l’envol des dépenses d’arrêts maladie. La hausse des indemnités journalières serait liée aux abus, selon les experts de cet organisme, et notamment à la montée en puissance des plateformes de rendez-vous en ligne. La réalité est pourtant tout autre car le volume des arrêts de travail prescrits en ligne est marginal et ne peut donc pas être responsable de l’explosion des arrêts maladie (+34 % vs 2019). Depuis la Covid, le rythme de progression des indemnités maladie a triplé en France et évolue dans le même sens chez nos voisins. Un nombre significatif d’épidémiologistes pensent que la Covid génère une hausse structurelle des dépenses, en lien avec le développement de symptômes durables dans une partie de la population. S’ils ont raison, la priorité de l’assurance maladie devrait être le couple prévention et accompagnement et non la recherche d’économies hypothétiques ou marginales. En faisant le choix de laisser croire que l’envol des dépenses se résume aux abus et en occultant les dynamiques à l’œuvre, la sécurité sociale ne rend pas service à la santé publique montre qu’elle ne considère pas la diversité institutionnelle comme une richesse, alors que l’existence d’ acteurs indépendants est de nature à permettre une meilleure prise en charge de la prévention et de l’accompagnement.
Lorsqu’on recherche l’efficacité économique à long terme, les approches comptables à court terme sont souvent mauvaises conseillères.
Pour faire des économies durables, il faut des structures de décisions respectueuses du temps long. L’enjeu n’est pas d’organiser la chasse aux coûts de gestion sur des bases tronquées, mais d’améliorer durablement le rapport qualité/prix des prestations collectives, par exemple en capitalisant plus pour avoir plus de retraite à cotisation égale, ou en investissant dans la prévention, car d’un point de vue sanitaire comme financier prévenir vaut mieux que guérir. Le risque serait, au contraire, de confondre fusion et amélioration, et de détruire des particularismes créateurs de richesses.
Nicolas Marques
Directeur général de l’Institut économique Molinari