Depuis ce mercredi 30 octobre, les réseaux sociaux et les microcosmes économiques tant français que marocains ne tarissent pas de bons mots pour qualifier cette visite d’historique, de fraternelle et de renouveau.
Il est vrai que la longue histoire des relations entre la France et le Maroc a connu des périodes de glaciations, notamment sous Mitterrand, mais aussi de belles périodes tempérées comme celle de Chirac qui se tutoyaient avec Feu Sa Majesté Hassan II, tels de vieux amis. Ni Hollande, ni Sarkozy n’ont pu tenir cette qualité de relation bilatérale. Cette ère post-chiraquienne marqua le début d’une lente dégradation des relations entre les deux pays à l’image du roman de Balzac La femme de trente ans. L’arrivée du Président Macron au pouvoir lors du premier quinquennat aura marqué ce déclin diplomatique en ne programmant pas de voyage officiel au Royaume, comme le voudrait la tradition.
Cette situation délicate n’aura cessé de se détériorer suite à diverses actions-réactions entre les deux pays, jusqu’au rappel en janvier 2023 de l’Ambassadeur du Maroc, qui n’a été remplacé que 11 mois plus tard. Pour les 800 000 expatriés marocains en France (Statista), soit 1.17 % de la population, ce fut une période de doutes. Il en fut de même pour les 53 500 français installés au Maroc (MEAE) soit 0.14 % de la population du Royaume. Ce revirement tout récent soulage les deux groupes, l’enthousiasme – plus que proportionnel – en est l’illustration.
Pourtant, force est de constater que ces années de froid diplomatique ont généré des dommages difficilement réversibles sur la position de la France vis-à-vis du Maroc.
Alors que cette dernière occupait systématiquement la première place comme fournisseur et client du Maroc, récemment, l’Espagne l’a détrônée en devenant le premier partenaire économique: en 2020 elle importait 19,6 % des exportations marocaines contre 18.6 % pour la France. Même constat pour l’exportation à destination du Maroc où l’Espagne caracolait en tête avec 14.1 % du total contre 10.1 % pour la France, descendue en seconde position (Direction Générale du Trésor- France).
Le délicat sujet de la reconnaissance par la France du Sahara marocain aura été un des principaux facteurs de tension, qui a trouvé cette semaine une issue favorable.
Bien que ce fût une bataille d’arrière garde au vu de tous les efforts de modernisation de cette région et des investissements colossaux réalisés par Rabat, le Président Macron a enfin finalisé son choix politique en faveur du Royaume. Toutefois, ce choix arrive bien tard. En 2022, l’Espagne avait ouvert une porte aux propositions marocaines, et en 2020, les Etats-Unis avaient déjà reconnu cette souveraineté, comme beaucoup de pays d’Afrique et des Etats Arabes, ainsi que d’autres plus éloignés comme le Brésil.
Des chercheurs ont réfléchi sur la latence décisionnelle. C’est ce que décrit Herbert A. Simon avec sa rationalité limitée (« Administrative Behavior: A Study of Decision-Making Processes in Administrative Organizations »1947) où il estime que les décideurs vont toujours se contenter de décisions satisfaisantes plutôt qu’optimales par manque d’information, et préférer l’absence de décisions, quitte à freiner tout processus d’améliorations ou de corrections. Dans « The Effective Executive » (1967), Peter Drucker explique que prendre des décisions est essentiel pour avancer, même avec des informations incomplètes. Il affirme que les dirigeants efficaces doivent accepter l’incertitude et privilégier la prise de décision plutôt que l’attente de solutions parfaites, car l’immobilisme peut coûter bien plus cher. Sun Tzu dans son Art de la Guerre écrivait quant à lui : « Un général qui hésite et ne sait pas se décider ne peut espérer de succès ».
Toujours sur un registre économique, ces années de tension ont ouvert la porte à un nouvel entrant, la Chine, cantonnée jusque là à la fourniture de biens de consommation.
L’an passé, le dragon de l’Orient a représenté 10.6 % des importations du Maroc, elles ont pratiquement augmenté de 50 % en 5 ans (Office des Changes Maroc) et ce, malgré un déficit commercial conséquent. Elle se place en 3e position des fournisseurs du Royaume, et réduit l’écart d’une année sur l’autre, en étendant son offre compétitive aux services et aux gros travaux structurants du pays. Jusqu’à ces dernières années, le Maroc était resté à l’écart de l’appétit du géant asiatique pour l’Afrique. Le recul économique de la France sur cette période y serait-il pour quelque chose ? « Le marché à horreur du vide » (pour paraphraser Aristote).
Sur le plan financier, on observe un retrait des banques françaises du circuit marocain.
En avril 2022, le Crédit Agricole a cédé sa participation majoritaire dans le Crédit du Maroc, suivi, à l’été 2024, par la vente de la Société Générale Marocaine de Banque à un consortium financier marocain. Plusieurs interprétations peuvent être avancées pour expliquer ce phénomène, probablement lié en premier lieu à la maturité financière que le Maroc a acquise au cours de ces dernières décennies.
Autre dommage, plus culturel : la montée en puissance de l’utilisation récente de la langue anglaise au détriment du français. En effet, les enseignements supérieurs ont tendance à se focaliser aujourd’hui sur l’emploi de la langue de Shakespeare plus en phase avec l’internationalisation du Maroc. Bien que le français reste encore largement la seconde langue la plus utilisée, cette nouvelle concurrence émane vraisemblablement de la diminution d’une présence culturelle, qui pourrait-être due à une image ternie de la France ces dernières années.
Pour conclure sur une note plus heureuse en phase avec cette période d’euphorie, il est important de noter que depuis 2023, la France est le premier investisseur du Maroc avec plus de 600 millions d’euros selon l’Office des Changes marocain. À noter aussi que la France compte 1 300 entreprises travaillant sur le territoire marocain générant environ 150 000 emplois directs. La France est le premier pourvoyeur de tourisme au Maroc avec 4.88 millions de visiteurs français en 2023 selon l’Office National Marocain du Tourisme. On peut se réjouir enfin que la France soit toujours la première destination des étudiants marocains avec 45 000 âmes pour l’année scolaire 2022-2023.
Des blessures subsisteront de ces périodes de tensions, et seul le temps pourra les apaiser.
Il est aussi évident que le Maroc en aura tiré beaucoup de maturité et d’autonomie, et tous s’accordent à dire qu’il était temps de mettre un terme à cette spirale négative… Puisse cet éloignement servir de contre-exemple concernant la préservation des acquis économiques et culturels de la France à l’étranger, notamment en Afrique.
Patrick Soumet
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