Cet essai plonge dans les méandres complexes qui tissent les liens entre l’État-Nation et l’Entreprise-« Petite patrie », dévoilant des aspects à la fois anthropologiques et politiques. Il met en lumière la résonance entre ces entités, insistant avec vigueur sur la cruciale empreinte du leadership entrepreneurial, tout en sondant les dualités entre les ordres politique et économique. L’auteur explore habilement l’autonomie fluctuante des sphères politique et économique, sondant également les défis contemporains tels que l’essor de l’intelligence artificielle et la métamorphose du travail à distance. En esquissant le tableau saisissant d’une « économie de guerre », l’article martèle la nécessité d’un leadership authentique, façonné par la profondeur de la culture générale, afin d’orchestrer avec brio la mobilisation de la Nation et des entreprises.
Il s’agit d’un thème de réflexion fondamental, véritablement essentiel pour l’avenir du pays, qui combine de multiples questions actuelles parmi lesquelles celle de la souveraineté économique et implique de nombreux champs d’action comme celui de l’intelligence économique.
Il en résulte que la principale difficulté qui apparaît d’emblée dans le traitement de ce sujet réside dans le choix d’angles d’attaque pertinents, selon l’éclairage que l’on entend privilégier.
Le premier, de nature anthropologique, consiste à analyser les deux entités (Entreprise, Nation) en tant qu’universalités (c’est-à-dire qu’objets susceptibles d’une approche holistique) explicatives du monde.
Fondamentalement, les deux entités comportent une double nature selon qu’on envisage leur existence propre (elles existent par elles-mêmes) ou leurs relations extérieures (leurs interférences réciproques).
S’agissant des deux entités considérées « en soi », une problématique commune émerge d’emblée : le couple État / Nation figure en reflets réciproques du couple Entreprise / « Petite patrie », à ceci près que le premier s’affiche publiquement sur les marches de la scène politique, alors que le second est relégué dans l’ombre d’un technicisme nominaliste (et donc comptable) qui réduit l’entreprise à une pure dimension instrumentale. Pour être plus précis, si l’État apparaît (notamment en France), comme la représentation politique et fonctionnelle de la Nation, celle-ci revêt ses propres dimensions historiques, culturelles qui apportent une légitimation exogène à l’État, lequel peinerait à n’exister que « pour soi », c’est-à-dire par le seul monopole de la « violence légitime » fut-ce pour le « Bien commun ».
À cet égard, la légitimité « en soi » de l’entreprise est de même nature, mais quelque peu occultée, dans la mesure où sa justification sociale en tant que « communauté professionnelle », reflet de la « communauté politique » que constitue la Nation, exprimée à travers le concept de « petite patrie » est mise au rancart par une approche réductrice –celle des normes de présentation comptable IFRS- qui la réduit à une dimension purement instrumentale : créer de la valeur pour l’actionnaire.
De la même manière que la Nation n’existe que par le « désir de vivre ensemble », de partager un héritage (des « biens indivis » selon l’expression de Renan) et un avenir commun (« le désir de vivre ensemble »), il en va de même de l’entreprise, qui repose sur une vision, un projet, un récit qui peut alimenter une épopée, voire une légende…
L’entreprise dépourvue de son fondement épique, c’est l’État privé de roman national…
Tel est le véritable enjeu du leadership entrepreneurial, analogue à celui que le Général de Gaulle résumait, aux dépends du malheureux Président Albert Lebrun en 1940 : « Pour être un Chef d’État, encore eût-il fallu qu’il fut un chef, et qu’il y eut un État ! Pour être un chef d’entreprise, encore faut-il qu’il existe une communauté professionnelle, et qu’il en incarne le projet ! » En définitive, la Nation, et donc l’État-Nation, l’entreprise, et donc la « Petite Patrie » c’est, comme la nation, le mystère de l’Incarnation !
Si la Nation, comme les « Petites Patries », est portée par un sentiment d’appartenance partagé, par l’attachement à un « Bien Commun » accumulé au fil de l’Histoire et enrichi par la Culture, sa raison d’être réside dans le besoin de distinction, de séparation entre l’intérieur et l’extérieur, par la nécessité, pour se connaître, de se définir par rapport aux autres. S’agissant de l’État-Nation, cette relation existentielle revêt les formes inséparables, telles les deux faces de Janus, du commerce et de la guerre ; dans le cas de l’entreprise / Petite Patrie, les modalités de la relation vis-à-vis de l’extérieur se résume à la dualité concurrence / coopération, de telle sorte que le monde s’organise selon les principes d’une civilisation de l’échange, dans laquelle la valeur économique et culturelle se révèle à l’occasion du franchissement des frontières, d’où l’existence universelle des barrières douanières, érigées sur la base du modèle westphalien des États-Nations.
La dualité État / Nation versus Entreprise / Petite Patrie, c’est-à-dire ordre politique / ordre économique, engendre nécessairement un débat autour de l’articulation des deux modes d’organisation du monde.
Quant à la finalité et aux effets de leur combinaison, cette « disputatio » permanente peut être illustrée par l’opposition entre Richelieu et Montesquieu : pour le premier, dont la pensée fut reprise et implémentée par Colbert et la prolifique lignée de ses disciples, l’entreprise, en tant qu’instrument de production et de commerce, a pour objet de capter des richesses, essentiellement sous la forme d’encaisse de métaux précieux conformément aux principes mercantilistes, pour mettre cette ressource au service du Royaume, en confortant la puissance extérieure de l’État.
A contrario, pour Montesquieu, le « doux commerce » a pour effet, et peut avoir pour objet, de pacifier les relations internationales en créant, par les liens de l’intérêt et de la familiarité, mille fois plus d’occasions et de raisons d’échanger plutôt que de faire la guerre. In fine, ces deux approches demeurent également prégnantes dans la perception contemporaine des relations économiques internationales.
Fort logiquement, ce débat se conjugue intimement avec celui relatif à l’autonomie (ou à l’interdépendance) des sphères politique et économique.
Les fondements de la polémique résident dans la pensée d’Adam Smith, voire chez les précurseurs de l’École de Salamanque au XVI° siècle (Vitoria, de Soto, Caro, puis Molina et Suarez affiliés à l’université de Coïmbra) dont il convient de souligner la convergence des travaux sur l’économie et le marché (l’entreprise), mais aussi sur les relations internationales et la guerre (l’État-Nation).
En bref, l’idée d’un ordre naturel révélé par le marché alimente la thèse de l’autonomie de la sphère économique, amplifiée par les néo-classiques walrasiens qui, reléguant la strate productive hors du champ de leurs constructions théoriques, focalise sur l’échange le processus de création de valeur, préparant la voie à la financiarisation des années 1980 / 2020 portée par l’École de Chicago, autour de Milton Friedman.
Alors que la création du GATT est une initiative de la puissance dominante d’Après- Guerre, et donc demeure une institution inter-étatique, sa transformation en OMC avec la création d’un tribunal arbitral est le fruit de la mondialisation des échanges, qui au tournant du XXI° siècle, paraît obéir à une dynamique propre : cette illusion est rapidement démentie par les faits, la crise des relations sino-américaine et la mise au ban du monde occidental de l’Iran, puis de la Russie, dénotant l’intervention directe des États dans la sphère économique. Avec le retour de la protection des industries sensibles, la conception d’une sphère économique supranationale, c’est-à-dire contrôlée de fait par le soft-power américain, se trouve fondamentalement remise en cause. Depuis lors, de multiples interventions étatiques dans l’économie américaine, sur le modèle du célèbre « Inflation Reduction Act » ainsi que des « trains de sanctions » successifs à l’encontre de puissances et d’organisations hostiles (Russie, Iran, groupes terroristes) ont montré les limites de l’autonomie de la sphère économique, idéologie libérale durement ébranlée par l’affrontement entre l’Empire universel américain et l’Empire du Milieu millénaire, compliqué par la résurgence de néo-impérialismes revivifiés par les bévues occidentales : Russe, Perse et Ottoman.
Le deuxième angle d’attaque qui mérite d’être exploré s’inscrit dans une perspective de philosophie politique en termes de légitimation du pouvoir, ou plutôt des pouvoirs, dans l’État-Nation, comme dans l’entreprise.
Le premier moment coïncide avec le mouvement des Lumières, inspirateur du libéralisme politique et, simultanément, catalyseur du capitalisme naissant : entre 1700 et 1950, cette période a été régie par une « nouvelle donne », en profonde rupture avec l’ordre traditionnel.
Pour résumer le basculement qui s’est produit en Occident au XVIII° siècle, annoncé par Baruch Spinoza dès le milieu du XVII° siècle, l’ordre politique et social traditionnel, caractérisé par la verticalité du Pouvoir légitimé par la Révélation, s’est trouvé progressivement affaibli par un ordre horizontal, régi par la Raison, que Thomas d’Aquin s’était efforcé, dès le XIII° siècle, de réconcilier avec la Foi (la Raison, don divin du Créateur, par lequel celui-ci manifeste son dessein de réunir l’Homme, créé à son image, dans la « Cité de Dieu » évoquée par Augustin d’Hippone). Cf. l’encyclique de Léon XIII « Rerum Novarum ».
Précisément, le champ d’application naturel de l’ordre horizontal régi par la Raison, c’est celui de l’économie politique, de telle sorte qu’à l’issue de deux siècles de gestation, l’entreprise capitaliste organisée selon les « lois » de Fayol et ses « principes de management » devient le modèle de référence de l’État moderne : la rationalisation des choix budgétaires (RCB) et les « budgets base zéro » viennent en écho du programme « Training Within Industry » de la Seconde Guerre Mondiale et de l’immédiat Après-Guerre.
Le retour aux fondamentaux : après un demi-siècle de « management excel », les limites de l’hyper-rationalisme sont apparues, tant au niveau de l’État technocratique de plus en plus coupé de la Nation, qu’à celui de l’entreprise dissociée de sa « Petite Patrie » traditionnelle par de multiples plans de restructuration.
Le retour de la verticalité dans l’ordre politique et social, tout comme dans l’entreprise, s’opère par le biais de la réaffirmation d’une valeur universelle, l’écologie et la protection de l’environnement, avec une telle puissance que même les grands porteurs de la foi traditionnelle, qu’il s’agisse du Vatican (avec l’encyclique du Pape François « Laudato Si ») ou du Parti communiste chinois qui se préoccupe désormais de l’avenir de la planète (et de la pollution qui rend irrespirable l’atmosphère de Pékin), se rallient spectaculairement, du moins en paroles, à cette noble cause. À cet égard, la posture défensive des productivistes, face aux perspectives de taxonomie européenne est si profondément ancrée que le recours à l’énergie nucléaire n’a pu obtenir qu’un statut transitoire dans l’évaluation de l’alignement sur les objectifs de l’Union pour 2050 et que personne n’évoque l’idée qu’au fond, la sobriété de toute nature (énergétique, etc…) est aussi le meilleur moyen d’optimiser la combinaison des facteurs de production, en d’autres termes d’accroître la « productivité globale des facteurs ». Le temps de l’ « expansion » est décidément bien révolu !
À l’occasion de cette résurgence de la « raison d’être » des uns et des autres, se dessine un curieux glissement, particulièrement éclairant quant aux relations entre l’Entreprise / Petite Patrie et l’État-Nation. Tandis que l’État s’affirme « business friendly » et désireux de réduire les impôts de production qui pèsent sur la compétitivité extérieure de notre industrie, se mettent en place, plus ou moins spontanément la « responsabilité sociale de l’entreprise » (ou « sociétale », néologisme découlant de la minoration du terme « social ») et les critères « environnemental, social et de gouvernance » (ESG) qui feront bientôt l’objet d’un reporting analogue à celui relatif à la présentation comptable du bilan et des résultats. Tout se passe donc comme si les deux parties tendaient à se relégitimer réciproquement en affichant la prise en compte des objectifs et des contraintes de l’autre versant de la falaise socio-économico-politique.
Chocs endogènes, chocs exogènes : « les hommes font l’Histoire, mais ils ne savent pas l’Histoire qu’ils font ». Karl Marx.
Les chocs endogènes : les « communautés imaginées » de Benedict Anderson (1983). L’ouvrage sus-évoqué a profondément marqué, dans les deux dernières décennies du XX° siècle, la discipline sociologique sur la question des phénomènes communautaires inaugurée par Durkheim et Tönnies distinguant, à partir de la division du travail, communauté et société, la première fondée sur l’affectif identitaire, la seconde sur les complémentarités fonctionnelles. Anderson rebat drastiquement les cartes en démontrant que dans l’ère de la communication de masse inaugurée par Gutenberg, l’identification communautaire ne repose plus sur des relations affectives réelles, mais sur la représentation médiatique qui en est proposée à l’opinion, de telle sorte que la Nation, par exemple, n’est pas pure fiction, puisqu’elle comporte des formes de solidarité réelle : le service militaire, la sécurité sociale, mais que pour l’essentiel, il ne s’agit que de liens virtuels découlant d’un processus de représentation. Il ne s’agit donc pas d’une « communauté imaginaire », mais d’une « communauté imaginée » qui légitime une organisation sociale et politique. Deux phénomènes récents viennent à l’appui de cette approche, au niveau de l’entreprise autant qu’à celui de l’État-Nation.
Le premier phénomène de masse qui s’est propagé en quelques mois à l’occasion des périodes de confinement sanitaire, est celui du travail à distance, qui produit des effets encore mal évalués : la distanciation des liens professionnels, le délitement de la culture d’entreprise c’est-à-dire, pourrait-on dire, de la « culture d’équipage », chère à Kessel et à Saint-Exupéry.
Mais au-delà de ses effets dévastateurs sur la fertilisation croisée, la conduite de projet et l’innovation, le développement du travail à distance soulève la difficile question de l’égalité de traitement entre métiers « distanciables » ou non, c’est-à-dire vis-à-vis de ceux qui, dans la même entreprise, impliquent la présence physique des salariés sur leur lieu de travail. Dès lors, à la communauté professionnelle pourrait succéder la barrière des métiers, c’est-à-dire la fin de l’ « affectio societatis ».
Ce qui complique l’appréciation du phénomène de distanciation du travail du double point de vue physique et moral, c’est sa conjonction avec l’irruption, ou plutôt l’intensification de l’intelligence artificielle dans les processus productifs.
Le cadre général de cette « révolution industrielle » (la cinquième, après la vapeur, l’électricité, l’informatique, les nanotechnologies… sans oublier l’imprimerie, les énergies fossiles, le nucléaire…) est supposé appréhendé : l’automatisation du traitement des données et l’optimisation des process qui en résulte, une nouvelle étape dans la robotisation de la production industrielle et des services, un impact non mesuré, mais certain, sur les fonctions tertiaires, une transformation de l’enseignement, des soins médicaux, de l’administration publique…
La question de fond, inexplorée à ce jour, porte sur la combinaison de la distanciation (le télé-travail) et de l’intelligence artificielle, qui devrait conduire à un besoin d’intermédiation accrue vis-à-vis du public des clients et des usagers. Qu’il s’agisse du secteur assurantiel et bancaire, des plateformes aéroportuaires et ferroviaires, de la grande distribution, des systèmes financiers publics (fiscalité, retraite), la tendance dominante consiste plutôt à externaliser vers le « consommateur » (au sens large) une large partie du service, avec un minimum d’accompagnement qualifié.
Le segment critique de la dématérialisation et de la distanciation réside probablement dans le développement de l’expertise et du savoir-être, c’est-à-dire dans l’acquisition d’une culture de la médiation (qui ne peut consister uniquement dans le sourire de l’hôtesse) qui suppose la recherche d’une véritable plus-value.
Un précédent improbable éclaire cette problématique : celui de la crise des gardiens d’immeubles, notamment en copropriété. Au début du XXI° siècle, les représentants de la profession ont obtenu, pour nombre de leurs ressortissants, le droit de résider ailleurs que sur leur lieu de travail. Vingt ans plus tard, en dépit de la réglementation, leur nombre était en constante diminution, tandis que la population des gardiens assermentés, si utile en termes de sécurité, avait complètement disparu.
Les chocs exogènes : de la guerre économique à l’ « économie de guerre ».
Les facteurs géopolitiques impactent tout autant les entreprises que les États, du fait précisément de l’interconnection des économies et de la mondialisation des échanges. Ainsi, les tensions entre la Russie et l’Occident, entre les États-Unis et la Chine affectent profondément les fondamentaux de l’économie mondiale, s’agissant du coût de l’énergie, de la fragilisation des flux logistiques et des pénuries passagères, plus ou moins durables, sur certains produits alimentaires, de la flambée du coût des minerais et de certains métaux rares. Comme après les deux chocs pétroliers des années quatre-vingt, la vague d’inflation et la hausse des taux d’intérêt traduisent fondamentalement les dissensions internes sur la répartition de la « facture géopolitique » entre les consommateurs, les producteurs, les entreprises elles-mêmes qui, selon leur position dans la chaîne de valeurs, tirent plus ou moins bien « leur épingle du jeu ».
La guerre économique est la forme exacerbée de la concurrence et à ce titre, elle s’est développée depuis un demi-siècle dans l’ensemble du champ de la production et des échanges, suscitant la croissance des métiers d’intelligence économique, de cyber-sécurité et de veille stratégique.
Il n’en demeure pas moins que cette pratique, en principe multidirectionnelle, s’est focalisée sur des priorités de compétition interétatique, s’agissant des activités de documentation ouverte ou clandestine, d’évaluation de risques-pays, de protection de données et de brevets : l’ADIT illustre la prise en compte de cette dimension stratégique du renseignement économique, qui figure désormais au premier rang des objectifs des services de renseignement occidentaux, dont l’activité s’étend indifféremment aux économies alliées concurrentes, autant qu’ à celles des puissances « hostiles », comme la Russie ou la Chine. En matière d’intelligence économique, les principales «communautés du renseignement » ne fonctionnent que dans des cadres strictement nationaux, associant les agences privées aux divers services étatiques travaillant sur la collecte des données et leur interprétation.
L’implication de l’Occident, principalement des États-Unis, dans deux conflits ouverts en Ukraine et au Moyen-Orient, ainsi que les tensions autour de Taiwan ont alimenté un discours public autour du thème de l’ « économie de guerre » selon une dramaturgie déjà utilisée, dans un passé récent, à l’occasion de la crise sanitaire. Encore convient-il des’interroger sur le contenu réel de ce concept. Si l’on se réfère aux précédents des deux guerres mondiales, l’ « économie de guerre » revêtait un contenu des plus concrets : les jeunes hommes au front, les jeunes femmes dans les usines ou dans les champs ; les usines d’armement tournaient à fond pour produire des munitions, des armes et surtout, les vecteurs devenus essentiels : chars d’assaut et véhicules logistiques, aéronefs et navires de toute sorte (porte-avions, sous-marins, croiseurs de bataille…) ainsi que les sous-systèmes associés (radars, sonars, cryptage et décryptement…). Au-delà, l’ « économie de guerre » comporte des aspects fondamentaux qui revêtent des dimensions durables : des privations dans des secteurs jugés non-prioritaires (l’alimentation, l’immobilier, les déplacements privés…) et surtout, une croissance rapide de la dette publique, couverte sur le champ (Royaume-Uni) ou de façon différée (France) par l’alourdissement plus ou moins temporaire de la fiscalité.
À cet égard, nous pouvons considérer que la France se trouve déjà en « économie de guerre », indépendamment de l’impact de la loi de programmation militaire qui découle, pour l’essentiel, de contraintes de long terme : la modernisation de la dissuasion nucléaire, le développement de systèmes d’armes aériens et terrestres structurants, le déploiement de capacités spatiales et cyber.
À l’exception des productions munitionnaires et des fabricants d’artillerie conventionnelle, les conséquences réelles du passage en « économie de guerre » sont, finalement, de peu d’effets, et l’opinion ne s’en est guère émue. Ainsi se trouve posée, dans la Nation et dans l’entreprise, la question du leadership, condition déterminante de l’adhésion collective à la parole publique.
La réaffirmation du besoin de leadership dans la revitalisation des « communautés imaginées ».
La communication politique, en tant que discipline autonome confiée à des experts relativement indifférents aux choix essentiels, est en passe de tuer la politique.
La même tendance est perceptible dans la vie des communautés professionnelles que sont les entreprises. Quelle est la faille des recettes appliquées dans ces deux facettes, politique et professionnelle, de l’organisation sociale : c’est le ton dépourvu d’authenticité de l’expression préfabriquée. Un seul remède existe : la redécouverte de la culture générale, seule école du leadership. (« seule école du commandement » écrivait Charles de Gaulle).
« Gouverner, c’est faire croire ! » – Nicolas Machiavel.
En effet, le raffermissement de la Nation et la mobilisation des entreprises passe par la réinvention d’un discours visionnaire, ancré dans la réalité et reposant sur le « parler vrai », mais resituant dans une perspective historique les temps que nous vivons : c’est une grave erreur de certains cercles dirigeants de penser que le corps social, dans son ensemble, ne serait pas sensible aux références culturelles, pour autant qu’elles éclairent utilement la situation et les perspectives d’avenir et que dans le discours, elles viennent fort à propos. C’est cette dimension épique qu’il s’agit de réintroduire, avec tact et nuance, dans le leadership entrepreneurial pour enrayer les ferments de démotivation qui tendent à poindre comme le contrecoup, dans les grandes organisations, du relâchement des disciplines traditionnelles survenu à l’occasion de la crise sanitaire.
Ce besoin d’un récit collectif autour de la mission, du rôle social, de la culture d’équipage se retrouve plus encore dans la sphère publique et, au niveau le plus élevé, dans l’adresse politique à la Nation.
Il ne peut être entendu qu’à l’occasion d’une refondation de l’État convaincante, qui permette de recentrer drastiquement l’État central sur ses missions régaliennes en affirmant – vieille antienne des Girondins- que les pouvoirs territoriaux (en pratique, les régions, héritières des provinces d’Ancien Régime) participent pleinement de la légitimité nationale en prenant à leur charge toutes les politiques territorialisées et en obtenant, en contrepartie, l’exercice d’un pouvoir normatif délégué, tourné vers la déclinaison régionale des objectifs nationaux ; résultat qui aurait pu découler du référendum de 1969, si son naufrage sur les écueils d’une tentative de réforme institutionnelle avait pu être évité.
« On ne conduit le peuple qu’en lui montrant un avenir : un chef est un marchand d’espérance ! » – Napoléon Bonaparte
André Yché
Président du Conseil de Surveillance