C’est le 5 décembre prochain, à l’occasion du prochain Conseil « Justice et Affaires intérieures » de l’UE, que le Conseil européen devrait re-statuer sur l’adhésion de la Roumanie à l’espace Schengen.
Enfin, si l’Autriche et son populiste de Chancelier Karl Nehammer se ravise !
Le double refus de l’Autriche et des Pays-Bas, le 8 décembre 2022, bloquant l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’espace Schengen aura très sensiblement perturbé la stabilité et l’unité de l’Union européenne, alors même que c’est de sa cohésion dans son espace oriental que dépend précisément la sécurité européenne.
L’espace de libre circulation des marchandises, services, capitaux et des personnes réunies, désormais, depuis 1995, 23 des 27 états de l’UE, dont le dernier en date, depuis janvier 2023, la Croatie, auxquels s’ajoutent la Suisse, le Norvège, l’Islande et le Liechtenstein.
Ne nous y trompons pas, en effet, les arguments erratiques brandis par le chancelier autrichien, en décembre 2022, lors du dernier Conseil européen consacré à l’expansion de l’Espace Schengen, n’auront, in fine, fait qu’aggraver les clivages entre Européens. Le danger est bien réel, que le manque de cohésion entre les 450 millions de citoyens européens ne viennent conforter – à l’aune des prochaines élections européennes, du 9 juin prochain – un sentiment latent d’euroscepticisme, renforcé par des forces politiques conservatrices et d’extrême droite, désormais au pouvoir ou en soutien de coalition gouvernementale ultra-conservatrice en Italie, Slovaquie, Hongrie, Finlande, Suède, Pays-bas et alors que les partis populistes d’extrême-droite (Vox en Espagne, AfD, en Allemagne, RN, en France…) sont aux portes du pouvoir.
Alors que le Conseil européen des 14 et 15 décembre prochains devrait, par ailleurs, conforter les bénéfices mutuels de la capacité européenne d’investissement, notamment en matière de réindustrialisation continentale, les ornières dans lesquelles la décision autrichienne – vis-à-vis de la Roumanie – et la décision néerlandaise – à l’égard de la Bulgarie – a contraint l’intégration et approfondissement européen, en sont, des freins évidents.
Rappelons aussi que l’actuel Chancelier autrichien, en fonction depuis décembre 2021, est désormais, en bien mauvaise posture pour maintenir sa place, à l’aune de la perspective du retour en grâce, de son prédécesseur, Sebastian Kurz, pourtant issu de sa propre formation politique, le parti populaire autrichien (ÖVP – Österreichische Volkspartei).
L’ÖVP semble, d’ailleurs, consolider son assise politique, à l’approche des prochaines élections législatives, en Autriche, en octobre 2024.
Dès lors, nul doute que Karl Kammener ou Sebastian Kurtz, en brandissant la menace de leur véto à l’encontre de Bucarest et Sofia, retarde la mise en place, tant d’un espace unique économique européen, qu’un espace de migration cohérent, indispensable à renforcer. Cette réalité est d’autant plus vitale pour l’UE, alors que les 13 500 km de frontières terrestres et maritimes continentales européennes, sont sous très forte tension migratoire, notamment depuis le pic de 2015 et les très récentes instrumentalisations aux frontières extérieures de l’UE, entre la Biélorussie et la Lituanie, l’Italie et la Tunisie et la Turquie et la Grèce et Bulgarie.
En d’autres termes, la cohésion de notre politique migratoire, d’accueil et d’asile, via l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), nonobstant l’accroissement conséquent de son budget annuel (900 millions d’euros) et ses désormais 10 000 membres est ainsi intrinsèquement liée à celle de l’extension de l’Espace Schengen.
L’argument ostensiblement brandi, par Karl Kammener, lors de la précédente réunion du Conseil « Justice et Affaires Intérieures », quant à l’existence d’une pseudo filière migratoire traversant la Roumanie s’est pourtant révélée fallacieuse !
N’en déplaise… Comme est venu l’infirmer, l’agence Frontex, qui, a, à contrario, mis en exergue les efforts de Bucarest dans la maîtrise des flux migratoires, ainsi que la mise en place plus rapide et plus efficace des procédures de demandes d’asile et de retour, à l’instar des projets pilotes que la Commission européenne a décidé de mener en Bulgarie et Roumanie. D’ailleurs, le même rapport rappelle que Vienne a réduit considérablement le nombre de migrants accueillis en Autriche (74 000 en 2022 contre 43 000 en 2023, soit une baisse de 43% en 2023).
Ainsi, en retardant l’adhésion de la Roumanie à l’Espace Schengen, le Chancelier autrichien, prend le risque de fragiliser les fondements mêmes de l’Union, pour son propre intérêt. Certains diront pour sa propre survie politique personnelle.
Pourtant, l’Autriche devrait confirmer sa politique critique vis-à-vis de Sofia et Bucarest. Il en va de même, notamment en ce qui concerne la politique du « derisking » (atténuation des risques) par rapport à la Russie. Vienne a cherché à bloquer la restriction des relations économiques avec Moscou. Les changements politiques ayant amené Robert Fico, au pouvoir à Bratislava, en octobre dernier, ainsi que la victoire du parti de Victor Orban, l’Union civique hongroise (Fidesz) à l’occasion des dernières élections législatives, d’avril 2022, semble ainsi confirmer une convergence ultra-conservatrice et illibérale, que la présidence hongroise, du Conseil de l’UE, à l’occasion du 2ème semestre 2024, devrait hélas confirmer.
Faut-il ainsi ne voir dans la décision du Chancelier autrichien de bloquer l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie, tout en acceptant celle de la Croatie, que sa seule volonté de se maintenir au pouvoir ?
Emmanuel DUPUY,
Président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE),
Enseignant en géopolitique au sein de l’Université Catholique de Lille, l’Institut Supérieur de Gestion (ISG) et l’EDC – Paris Business School.