Le journaliste qui n’en finissait pas d’être « bientôt candidat » a enfin mis un terme au suspens… qui n’en était plus vraiment un à vrai dire. Dans la même journée, les Français ont eu droit à une déclaration de candidature léchée et audacieuse, et à une interview au journal de 20h complètement ratée.
Défaut de timing. Défaut de communication. Défaut de story-telling. Défaut de stratégie. Sans compter les polémiques inutiles, les provocations maladroites, les gestes inélégants. Fallait-il que l’attente d’une part des Français soit immense pour que, malgré ces ratés successifs, la côte de popularité d’Eric Zemmour connaisse une telle envolée. Si les qualités de l’intellectuel et sa phosphorescence médiatique sont indubitables, elles ne suffisent pas à expliquer l’ampleur du phénomène. Le réel, lui, le peut. Et c’était l’adjonction, dans sa déclaration de candidature, d’un constat lucide et d’images exprimant avec une violence rare la réalité du processus de décivilisation dans lequel la France est engagée qui explique cette envolée. Zemmour, avant tout le reste, est l’incarnation d’une vérité dévoilée, une vérité que la bien-pensance gauchisée, façon Hidalgo ou Montebourg, refuse de voir ; une vérité que les toutous d’un pouvoir idéaliste adepte de l’irénisme, façon Beaune ou Dupond-Moretti, sont incapables d’intellectualiser. Contrairement à ce que pense la classe bourgeoise élitaire et déracinée, la tiers-mondisation de la France, son ensauvagement, et le remplacement ethnique à l’œuvre dans certains quartiers ne sont pas les lubies d’un néo-maurrassien, mais la réalité filmée chaque jour par des journalistes indépendants, des citoyens exaspérés, des badauds médusés.
Dans sa déclaration de candidature, Zemmour fait du De Gaulle.
Pas celui de 1958, celui de 1940, celui d’une France qui a besoin d’être sauvée. Ambiance sombre. Micro vintage. Texte lu les yeux baissés sur une dizaine de feuillets superposés. L’âge d’or ? Les Trente glorieuses gaulliennes. L’âge de plomb ? Celui dont les gouvernements successifs depuis trente ans au moins sont responsables. Le message est apocalyptique, certes, mais il a le mérite d’être dépourvu de toute ambiguïté, de montrer qu’indubitablement, les mots correspondent aux images. Une déclaration de candidature qui n’est donc pas seulement adressée aux Français, mais aux autres candidats. Eric Zemmour leur dit : « Ce que je décris, c’est le quotidien de millions de Français. Refuser d’adhérer à mon constat, c’est refuser le réel. »
On aurait pu s’attendre à ce qu’Eric Zemmour enfonce ce même clou lors du journal de 20h, sur TF1. On aurait pu s’attendre à ce qu’il prenne la mesure de l’importance de cette phrase essentielle qu’il avait prononcée durant sa déclaration de candidature : « La question de la disparition de notre civilisation n’est pas la seule question qui nous harcèle même si elle les domine toutes. » Une phrase essentielle à plusieurs titres. Tout d’abord parce qu’elle place l’enjeu de cette campagne présidentielle à son juste niveau : celui d’une crise de civilisation inédite. Ensuite, et surtout, parce qu’une large part des Français n’en a toujours pas pris conscience. Les images, aussi violentes soient-elles, ne suffisent pas. Pour beaucoup, ce phénomène est parcellaire, conjoncturel, éloigné de chez eux, amplifié par certains médias et les réseaux sociaux – car près de leur petit village, autour du lac où ils se promènent le dimanche après-midi, rien de tel ne se produit jamais. Pas encore…
Eric Zemmour aurait dû profiter de ce moment particulier où il a été amené à s’adresser à tous les Français pour leur ouvrir les yeux.
Plutôt que de critiquer Gilles Bouleau, il aurait dû se servir de lui, l’instrumentaliser habilement, mettre en évidence le décalage entre la bonne parole présidentielle qu’il dispense lors de sa messe quotidienne à 20h et la véritable interprétation qu’il convient de faire. Mais surtout, ne pas le tacler. Ne pas clasher. On n’est pas présentateur du 20h par hasard ; il faut générer une forte dose de sympathie auprès des Français pour être à ce poste. Eric Zemmour, par ses remarques acides, a donné l’image d’un candidat aigri et revanchard. Erreur. Double erreur même. La première a consisté à croire qu’il devait dérouler son programme. Or, tout le monde s’en fout ! Il reste cinq mois pour en parler, et le meilleur moyen de le faire n’est pas forcément d’aligner des propositions au 20h. La seconde erreur a consisté à croire que la campagne présidentielle se limite à un exercice intellectuel. Or, plus que de l’intellect ou du corps, ce dont il s’agit dans une campagne, c’est de l’âme ! Une grandeur d’âme capable de transcender les failles, et surtout la sécheresse, de l’intellect. Eric Zemmour est complètement passé à côté.
Frédéric Saint Clair
Écrivain, politologue