Il y a quatre ans, Boris Faure, ancien cadre du Parti socialiste, était agressé par M’jid El Guerrab, député LREM de la 9e circonscription des Français de l’étranger. Alors que le procès du parlementaire doit se tenir en octobre prochain1, Boris Faure revient pour La Revue Politique et Parlementaire sur la violence des faits.
Le 30 août 2017, en milieu d’après-midi, rue de Broca dans le 5e arrondissement de Paris, deux violents coups de casque me sont assenés à la tête par un député membre du groupe La République en Marche.
Le premier coup me fait tomber à terre où, à genoux, recroquevillé sous le choc, comme un animal blessé, je subis un nouvel assaut de mon agresseur… Basketteur, sportif, baraqué, il fait deux têtes de plus que moi et a une trentaine de kilos supplémentaires. Je mesure 1m68 et suis plus habitué à fréquenter les scènes musicales ou les librairies que les rings de boxe.
« Il allait le massacrer » racontera un des témoins, un vigile de la société Habitat, qui se sera interposé pour faire cesser l’agression.
Les deux coups de casque, donnés pour faire mal, ont été suffisamment violents pour m’envoyer à l’hôpital entre la vie et la mort. À Cochin d’abord où je suis rapidement transféré conscient mais affaibli. Puis à l’hôpital Beaujon, où je suis admis alors que je suis tombé dans le coma.
Un hématome sous-dural s’est formé. Terme technique qui signifie qu’une artère du cerveau s’est rompue… que le sang commence à se déverser puis à se condenser sous la boite crânienne faisant dangereusement pression sur le cerveau… Les dommages peuvent être irréversibles si l’opération n’est pas conduite rapidement. L’hématome a alors la taille d’une aubergine gonflée de sang, il occupe 20 à 25 % de l’enveloppe crânienne.
Je suis opéré dans la soirée du mercredi par les équipes de neurochirurgiens de Beaujon.
Si l’opération se passe bien, les médecins qui m’opèrent le disent cependant à mes proches : « Nous ne savons pas dans quel état il se réveillera ». Mon pronostic vital est engagé. La nuit sera longue pour les membres de ma famille et les amis qui attendent le verdict du réveil : je commence à ouvrir l’œil le lendemain en début d’après-midi. Mes propos sont incohérents, je tombe de sommeil et mon champ de vision est rétréci, mon œil gauche étant atteint… de mon oreille droite s’écoule un liquide purulent.
Au terme de trois jours en service de réanimation, je suis cependant capable de parler de manière plus intelligible. J’ai des douleurs intenses à la tête, une oreille quasi-sourde. Je ne peux m’exprimer plus de quelques minutes avant de retomber dans un lourd sommeil. J’ai des difficultés de concentration. Les images de l’agression commencent à me revenir distinctement. Comme dans un mauvais rêve fiévreux.
Je ferai sur mon lit d’hôpital ma déposition à la police venue à mon chevet à deux reprises.
J’ai le sentiment alors « de revenir de loin ». J’aurais pu mourir le crâne fracassé sur le trottoir d’une rue de Paris. Pourtant, mon supplice n’est pas terminé : c’est ma femme qui me le dira en me tendant mon téléphone portable « ne va pas tout de suite sur les réseaux sociaux, on y dit des horreurs ».
Je m’astreins à une cure de déconnexion de quelques jours, facilitée par la fatigue cérébrale. Et puis, n’y tenant plus, et alors que je suis revenu à mon domicile où je débute une longue convalescence de près de trois mois, je vais aller, enfin, jeter un œil sur le net.
L’affaire est déjà hyper-médiatisée.
Je découvre alors l’étendue de la « deuxième agression » en parcourant les réseaux sociaux et la presse en ligne.
« La deuxième agression » c’est celle de la diffamation. Les coups de boutoir que l’on ressent en découvrant les mensonges et les approximations sont symboliquement tout aussi violents que l’agression physique.
Mon agresseur n’a pas perdu de temps après m’avoir ouvert le crâne. Post Facebook puis entretiens à la presse, M’jid El Guerrab s’active quelques heures seulement après les coups et alors que je suis entre la vie et la mort à l’hôpital. Il bâtit un récit fallacieux, digne d’un mauvais roman de gare, en tentant de justifier son geste : chef du service presse de la Caisse des dépôts et consignation avant d’être élu député au mois de juin 2017, il sait comment fonctionnent les médias. Il exerce dans le domaine de la communication depuis plusieurs années. Certains journalistes publieront ses déclarations sans filtre, ni travail de vérification. Un journaliste du Point qui lui tend complaisamment le micro me reprochera même de ne pas avoir répondu à ses sms… alors que je demeure inconscient à l’hôpital. J’aurais donc attendu mon agresseur à côté de son domicile, traité mon agresseur de « sale arabe », puis je l’aurais agressé en lui tordant le poignet, ce qui expliquerait ses coups « pour se défendre »… de la pure diffamation.
Mais dans un combat de rue, comme dans un combat médiatique, c’est souvent le premier qui frappe qui fait le plus mal… Hélas.
Il me faudra attendre de rétablir les faits, à travers une conférence de presse conduite par mon avocat, Maître Patrick Klugman, et associant mon épouse, puis à travers mes interventions médiatiques sur France Inter puis BFM quelques semaines après. Léa Salamé et Ruth Elkrief me donneront ainsi l’occasion de m’exprimer devant la France entière :
Je n’ai eu aucun geste déplacé. Trois témoins directs en attestent. Pas de propos injurieux. Les témoins m’ont vu traverser tranquillement la rue pour saluer M’jid El Guerrab. Évidemment aucune insulte raciste, moi qui milite contre le racisme depuis que j’ai 18 ans. Les témoins de l’agression me décriront comme calme, la conversation animée sans être violente. Ce jour-là M’jid El Guerrab revient sur les mois qui se sont écoulés. Nous parlons de sa campagne. J’évoque ce que je considère comme du communautarisme. Et les coups pleuvent. Une conversation de deux minutes à peine. Autant dire que les coups de casque restent encore, aujourd’hui, totalement incompréhensibles, totalement hallucinants quand on y songe. J’aurais pu mourir pour un différend politique assez ordinaire sous fond de rivalité exacerbée entre le Parti socialiste et la République en Marche.
Quand M’jid El Guerrab vient s’inscrire dans la Fédération que je dirige, au mois d’août 2016, dans l’objectif de briguer l’investiture socialiste sur la 9e circonscription des Français de l’étranger (qui réunit les Français d’Afrique du nord et d’Afrique de l’ouest), j’ai le tort, à ses yeux, de ne pas le soutenir alors que nous nous connaissons depuis environ trois ans et avons des relations de bonne camaraderie. En tant que responsable de la Fédération, j’ai obtenu de haute lutte du Parti socialiste l’organisation d’une Primaire de désignation pour que ce soit les militants de la circonscription, qui, par leur vote, choisissent celui qui les représentera à l’élection législative. La Primaire aura un résultat clair, Didier Le Bret l’emportera et sera investi candidat du PS. M’jid El Guerrab choisira de se présenter finalement sous l’étiquette de la République en Marche après avoir claqué la porte du Parti socialiste avec fracas…
Une situation « classique » où le déçu du résultat de la Primaire choisit d’aller voir ailleurs… Avec bonheur pour lui en ce qui concerne le résultat électoral puisque M’jid El Guerrab est élu député en juin 2017, et que le candidat du PS est malheureusement éliminé dès le premier tour.
Difficile d’imaginer donc que le vainqueur de cette élection, trois mois après sa victoire, puisse encore en vouloir au représentant d’une fédération avec qui il n’a plus de contacts depuis de longues semaines. Difficile de croire même que les tensions politiques de la campagne aient réellement laissé des traces alors que les derniers échanges écrits que j’ai avec M’jid El Guerrab début juin sont pour lui souhaiter une bonne fin de campagne et pour lui signifier que « la politique c’est pas la guerre ».
Et pourtant, deux violents coups de casque témoigneront que la violence en politique peut exister, même si je considère cette agression du domaine du fait divers plus que du fait politique.
Quatre années se sont écoulées depuis l’agression. Au moment où j’écris ces lignes, la Justice, telle la tortue de la Fable, a parcouru son chemin sans se presser mais avec constance. L’instruction est close. M’jid El Guerrab est poursuivi pour violence volontaire avec arme par destination. Le procès en correctionnelle est prévu le 14 octobre 2021.
La logique de l’affrontement est certes consubstantielle à la politique. Michel Foucault, renversant la citation célèbre de Clausewitz, l’affirme : « la politique est la poursuite de la guerre par d’autres moyens ». Le débat d’idées et l’échange d’arguments rationnels ne prémunissent pas des manœuvres et autres coups bas destinés à humilier l’adversaire et à précipiter sa perte.
Les affrontements fratricides sont nombreux en politique. À la base comme au sommet.
Mais les coups ne sont qu’électoraux, politiques, symboliques. M’jid El Guerrab est diplômé comme moi de Sciences-Po Aix. Il s’inscrit dans une culture méditerranéenne que j’ai également en partage. Je l’ai symboliquement invité chez moi à l’époque où nous travaillions tous deux pour la ministre de la Francophonie Yamina Benguigui. M’jid est un bon copain, un bon camarade. Les coups les plus douloureux sont bien sûr ceux portés par les « frères » (et sœurs) de la veille. La « bonne camaraderie » ne protège pas de la vacherie. L’homme est un loup pour l’homme politique.
Le « désir mimétique » de posséder le pouvoir que l’autre détient engendre ces « rivalités mimétiques » qu’évoque René Girard. Le grand anthropologue français disparu à l’été 2017 parle du « caractère redoutable, dangereux et inquiétant » de l’imitation et des rivalités violentes qu’elle engendre. Seuls de solides interdits sont capables de réguler ces courants violents qui irriguent nos sociétés humaines dont la société politique n’est qu’un sous-ensemble. Ce 30 août 2017 un interdit a cédé. Caïn a terrassé Abel. L’inversion des valeurs a transformé un casque, destiné à protéger de l’accident, en une arme redoutable destinée à fracasser le cerveau de l’ami devenu adversaire. Étais-je été la première victime d’un macronisme violent et dévoyé ? J’ai été soutenu par de nombreux militants En Marche. Mon comité de soutien compte des personnes de tous horizons, de nationalités variées, de convictions politiques diverses. Je ne ferai aucune généralisation. Me bornant à penser que la transgression menée par Emmanuel Macron envers François Hollande, lui qui aura tué son père en politique sans vergogne, aura trouvé, symboliquement, une résonance tragique ce 30 août 2017 dans la rue Broca, la rue des ogres et des sorcières chère à Pierre Gripari.
Est-on rentré depuis dans l’ère de la la politique casquée ? Où face au pouvoir pulsionnel chacun doit savoir se protéger ou s’armer d’un casque ? Vit-on une époque où chacun doit frapper fort pour sa survie politique ? Une époque où la raison raisonnante bat de l’aile ? Je ne suis pas psychanalyste ni docteur en Science politique. Mais on peut voir peut-être dans le geste du député El Guerrab le désir momentané d’une puissance sans borne ?
Inutile de convoquer Freud pour se demander si « le surmoi » des politiques n’est pas aussi entamé par le populisme et la défiance du peuple et incapable de canaliser durablement le besoin pulsionnel de « tuer l’autre » qui est en germe dans l’affrontement politique.
Si la photo de mon crâne couturé a ému l’opinion (partagée sur Twitter, cette photo a compté environ 180 000 vues), c’est parce que la violence physique brutale dont elle témoigne reste parfaitement exceptionnelle au sein de « la classe politique ». La famille politique française ce n’est ni les Atrides ni les Atréides. Au final cette violence physique sera sanctionnée par la Justice, sans aucun doute. Mais la Justice reste faible par rapport à la violence des réseaux sociaux, à la diffamation ordinaire, à la boue numérique qui se déverse parfois sans frein. L’affaire Mila et les premiers jugements contre ceux qui ont appelé à la violence en ligne le prouvent : chaque internaute peut se transformer en monstre car les écrans décomplexent, les réseaux sociaux désinhibent.
Alors bien sûr même dans une démocratie numérique avancée il y a les beaux gestes qu’il faut, comme sur un terrain de foot, saluer comme il se doit. Ces élus et militants capables de dépasser les attaches partisanes pour se mettre aux services de projets d’intérêt général. « L’esprit républicain » existe même quand la politique est casquée. C’est l’ombre protectrice de la République qui est seule capable de prémunir les élus des sectarismes partisans, des rayons brulants de l’ambition sans borne et des accès de violence tragiques.
Boris Faure
- Reporté au 7 avril 2022 à l’heure de la publication de cet article ↩