La proposition du Premier ministre de supprimer deux jours fériés – le lundi de Pâques et le 8 mai – pour améliorer la productivité et générer 4 milliards d’euros de recettes publiques, a provoqué un tollé immédiat. De tous bords, les critiques fusent : provocation, atteinte à l’histoire, remise en cause de nos traditions, ou encore mesure d’austérité déguisée. Mais au-delà des réactions épidermiques, il faut s’interroger : peut-on encore demander un effort collectif aux Français sans leur offrir de sens collectif en retour ?
Le problème de la proposition gouvernementale réside moins dans son principe — car il n’est peut-être pas illégitime d’amener nos compatriotes à travailler davantage — que dans son vide symbolique le plus total. Travailler plus, d’accord. Mais pour quoi ? Pour qui ? À quelles fins ? L’exécutif n’a, jusqu’à présent, offert aucune réponse à ces questions. Résultat : la société se braque.
Le choix du 8 mai concentre les tensions. Cette date ne fut pas toujours fériée — elle ne l’est que depuis 1981 de manière permanente — et les cérémonies qu’elle inspire attirent, il faut bien l’admettre, peu de monde en dehors des autorités civiles et militaires. Mais elle reste une journée de mémoire, profondément ancrée dans notre récit national, notamment dans une époque où les fractures mémorielles et les tensions identitaires ressurgissent. La commémoration et la mémoire n’imposent pas que ce jour soit férié. Il ne saurait d’ailleurs être question du moindre effacement. Surtout dans une période de grand trouble stratégique.
Car pendant que nous débattons du calendrier, le monde se réarme. La guerre est revenue sur le sol européen. L’Ukraine résiste. L’ordre international vacille. Les régimes autoritaires avancent. La France, elle aussi, doit faire face à une montée des menaces, à la nécessité de renforcer ses moyens, ses stocks, ses équipements, ses recrutements. Notre sécurité est redevenue un enjeu existentiel.
Alors pourquoi ne pas assumer pleinement cette réalité ? Et pourquoi ne pas transformer une mesure mal comprise en un acte fédérateur ? Si l’objectif est de générer 4 milliards d’euros de recettes pour l’État par deux jours de travail supplémentaires, affectons-les clairement à ce qui en a cruellement besoin : la défense nationale !
Et si, au lieu de supprimer le 8 mai et le lundi de Pâques en tant que jours fériés, nous les rebaptisions « Jours de la Défense » ? Porteurs d’un sens nouveaux, jours de travail pour les uns, jours de commémoration pour les autres, ces deux jours deviendraient ceux d’une Nation qui reconnaît l’effort de ceux qui la protègent.
Il existe de multiples façons de mobiliser les Français. Il y aurait ceux qui travaillent, bien sûr. Pour les autres, jeunes, moins jeunes et non actifs, ce pourrait être des jours de cohésion, de pédagogie, de mobilisation civile. Par exemple, des jours pour accueillir les jeunes dans les régiments, pour ouvrir les bases aux citoyens, pour débattre à l’école, dans les mairies, sur le sens de la sécurité collective. Un jour pour se souvenir et pour se projeter entre générations « d’anciens » et d’élèves ou d’étudiants. Un jour pour comprendre que la liberté n’est jamais acquise, et que la paix a un prix.
Par cette mobilisation d’un genre inédit, chaque Français contribuerait, par son travail ou à sa mobilisation, à la résilience de la Nation. Le message serait fort, le signal clair.
Ce choix présenterait de multiples avantages. Il donnerait du sens à l’effort demandé, en le rendant tangible et utile. Il renforcerait le lien entre l’armée et la Nation, dans un moment où ce lien est précieux. Il rappellerait que la défense n’est pas l’affaire des seuls militaires, mais de la Nation entière. Il signifierait à ceux qui menacent nos intérêts : « Ne vous fiez pas aux apparences, la France est debout, consciente et unie ! ».
Monsieur le Premier ministre, la productivité, ce n’est pas simplement faire travailler les Français un peu plus. C’est leur donner l’occasion de se mobiliser pour une cause juste, d’apporter leur contribution à une œuvre commune. L’histoire de la France est faite de ces moments où l’effort partagé devient facteur d’unité. Ne gâchons pas cette opportunité avec une mesure purement comptable et dénuée de contenu.
Oui, la France doit se réarmer. Oui, les finances publiques sont contraintes. Mais si nous voulons être crédibles et réussir à tous nous mobiliser, nous devons d’abord parler le langage du sens. Celui de la défense du bien commun et de ce qui est essentiel, la liberté. De cela, nous sommes tous responsables.
Général d’armée aérienne (CR) Stéphane Abrial
Alexandre Malafaye
Président de Synopia