La condamnation en première instance de Marine Le Pen à une peine d’inéligibilité de plusieurs années pour détournement de fonds publics européens ouvre la perspective de l’absence du RN au second tour de la présidentielle. Même si les intentions de vote en faveur de Jordan Bardella sont aujourd’hui au même niveau que celles de la présidente du mouvement, la dynamique favorable au RN pourrait bien s’enrayer.
Marine Le Pen est la leader incontestée de sa famille politique et plus largement de l’ensemble de l’extrême droite française depuis plus de deux décennies, même si elle a officiellement passé la main à la tête du parti RN à l’un de ses proches, Jordan Bardella, en 2021.
Fille de Jean-Marie Le Pen, dirigeant historique et ancien président du FN, fondé par des anciens Waffen-SS et des sympathisants néonazis, qui l’avait pourtant désignée en tant qu’héritière, elle est parvenue à se distancier progressivement de son héritage familial et politique. Elle a changé le nom du parti en 2018, revisité l’ensemble de son narratif et modifié ses valeurs extrêmement conservatrices pour épouser un populisme social – son programme économique n’a parfois rien à envier à l’extrême gauche – et pleinement surfer sur les tendances majoritaires. Ainsi, elle se positionne comme pro-avortement, s’est tenue à une neutralité bienveillante lors de la légalisation du mariage gay ou dernièrement se refuse à toute consigne sur le débat sociétal du moment portant sur l’aide à mourir par exemple. Elle a aujourd’hui choisi clairement une position très pro-israélienne et d’engagement dans la lutte contre l’antisémitisme, ce qui lui vaut le revirement historique d’une partie de la communauté juive, et tient ses députés d’une main de fer pour éviter tout débordement lié à leur formation d’origine. Hormis sa vocalité sur les enjeux liés à l’immigration, l’Islam, la sécurité et la préférence nationale, ses totems, elle navigue à vue avec talent comme tout leader populiste.
Cette stratégie d’élargissement de sa base électorale et d’institutionnalisation de son parti ne lui aura pas permis pour l’instant de briser son plafond de verre en acquérant les derniers 10 ou 20 % de votes ou nouant les alliances politiques nécessaires pour remporter les élections nationales. En outre, la « coalition des antis », qui l’a mis en échec à toutes les dernières élections dans des modes de scrutin majoritaires à deux tours, peut encore se reformer avec efficacité. Mais la faiblesse actuelle des autres partis et la dynamique qu’elle a su impulser après sa défaite (relative) aux élections législatives de 2024 la mettait dans une position qui n’avait jamais été aussi favorable de victoire en 2027.
La seule certitude aujourd’hui est que sa condamnation met fin à cette dynamique et compromet sérieusement les chances de l’extrême droite de remporter le second tour de l’élection présidentielle.
Une condamnation changeant la dynamique de la prochaine élection présidentielle
Depuis 2017, Marine Le Pen était assurée d’être présente au second tour, la bataille des autres candidats se jouant pour le second ticket qualificatif.
Elle sort très affaiblie de sa condamnation en première instance. Même dans le cas où la Cour de cassation décidait en dernier ressort de ne pas maintenir la peine d’inéligibilité, il y a de très grandes probabilités que sa condamnation à plusieurs années de prison pour détournement de fonds publics européens soit confirmée et/ou qu’elle se retrouve candidate dans un environnement politique radicalement différent.
Après un moment de flottement des médias et des responsables politiques sur le discours à tenir s’agissant de cette potentielle atteinte à la démocratie que représenteraient cette procédure et la décision judiciaire, l’échec du rassemblement organisé le week-end suivant la condamnation « contre l’atteinte à la démocratie » a démontré que la population ne suivait pas les responsables du RN sur cette rhétorique. Les bons scores présentés par les sondages d’opinion ayant testé Jordan Bardella en tant que candidat pour le premier tour de l’élection présidentielle ont également eu un fort effet boomerang au sein du parti et plus largement de ses sympathisants, en démontrant l’existence d’un candidat alternatif à Marine Le Pen comme candidat crédible pour l’élection présidentielle.
Or son bras droit, actuel président du parti et roi des réseaux sociaux, n’a pas la même surface ou légitimité. Si les dernières projections sur le premier tour de la présidentielle de 2027 ne montrent pas un fort décalage entre les deux leaders, il y a loin de la coupe aux lèvres pour tenir la longueur d’une campagne de notoriété visant à asseoir sa crédibilité politique et d’une campagne dans le cadre de l’élection présentielle. Il devra déjà affronter et/ou réunir sa propre famille politique, qui n’a pas à son égard la même fidélité et loyauté qu’envers la cheffe historique du RN, mais également chez les dirigeants d’autres organisations d’extrême droite. Sans compter que nul ne peut prédire la réaction de Marine Le Pen devant son poulain s’il venait à être en position de l’emporter, qu’elle pourrait soutenir comme la corde soutient le pendu…
Dans un contexte de fragmentation en blocs politiques dont aucun ne peut gagner seul et en pleine recomposition, la vie politique française pourrait donc connaitre un nouveau tournant avec aucun des deux finalistes de l’élection présidentielle de 2017 et 2022 en situation de l’emporter en 2027. La situation internationale pourrait également modifier le cours de l’histoire politique française écrite avant l’élection américaine et l’affaiblissement voire l’empêchement de la favorite pour diriger le pays.
Thaima Samman
Avocate
Jean-Pierre Malbec
Avocat
Cet article a été publié dans le magazine Allemand Freiheit Macht Politik (FMP) en allemand et en anglais.
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