En moins d’un mois, via leurs deux organisations régionales que sont l’Union européenne et le Conseil de l’Europe, les Européens ont réaffirmé avec force leur soutien plein et entier au peuple vénézuélien qui lutte contre l’arbitraire et l’oppression du régime de Nicolás Maduro, comme en témoigne l’attribution par le Parlement européen du prix Sakharov 2024 au binôme María Corina Machado – Edmundo González Urrutia.
Malgré un contexte géopolitique défavorable en raison d’une actualité internationale focalisée sur le conflit au Moyen-Orient, la guerre en Ukraine et les tensions en mer de Chine, les Européens n’oublient pas le combat difficile contre le régime chaviste que mènent l’opposition et la grande majorité des Vénézuéliens dans le but de restaurer l’État de droit[1]. En effet, le gouvernement Maduro se maintient au pouvoir par la force depuis plusieurs années déjà[2]. En outre, avec l’élection présidentielle truquée du 28 juillet 2024[3], un nouveau bras de fer s’est engagé entre un pouvoir illégitime et les démocrates qui luttent au péril de leur vie pour retrouver la liberté[4] et pour mettre un terme aux violations quotidiennes des droits humains : en près de trois mois de répression, les autorités ont annoncé qu’elles avaient procédé à 2 400 arrestations et on estime qu’au moins 25 manifestants ont été tués et que près de 1 700 manifestants sont encore emprisonnés, dont 80 enfants et adolescents accusés de terrorisme[5].
Ce soutien européen sans faille aux forces démocratiques vénézuéliennes s’est manifesté en quatre étapes.
Premièrement, plusieurs États de l’Union européenne ont appelé à la transparence et ont refusé de reconnaître la reconduction du président sortant Nicolás Maduro, sans preuve concrète de cette réélection le 28 juillet : par un communiqué de presse commun, sept États européens (Allemagne, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Pologne et Portugal) ont invité « les autorités vénézuéliennes à publier rapidement tous les procès-verbaux afin de garantir la transparence et l’intégrité du processus électoral » et ont condamné « fermement toute arrestation ou menace à [l’]encontre » des dirigeants de l’opposition[6]. En l’absence de publication des procès-verbaux des bureaux de vote, le Conseil de l’Union européenne leur a emboîté le pas en déclarant que « faute de preuve pour les soutenir, les résultats publiés le 2 août par le Conseil national électoral ne peuvent être reconnus »[7]. Enfin, par la voix de son Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, l’Union européenne a déclaré que « Edmundo González Urrutia semble être le vainqueur de l’élection présidentielle à une large majorité » et qu’elle continuera « à faciliter un dialogue » qui « conduise au rétablissement de la démocratie »[8].
Deuxièmement, le 19 septembre dernier, le Parlement européen a adopté une résolution, par 309 voix contre 12 abstentions, reconnaissant « Edmundo González Urrutia en tant que Président légitime et démocratiquement élu du pays » et reconnaissant « en outre María Corina Machado comme la cheffe de file des forces démocratiques au Venezuela, étant donné qu’en 2023, elle a été élue lors de la primaire de la Plataforma unitaria avec 92,35 % des voix »[9]. Pour échapper aux représailles du régime de Caracas, Edmundo González Urrutia a dû s’exiler en Espagne début septembre et María Corina Machado a été contrainte d’entrer dans la clandestinité dès le début du mois d’août[10]. Dans cette résolution riche et longue, les députés européens ont notamment :
- rappelé que le scrutin du 28 juillet dernier n’avait respecté aucun standard des sociétés démocratiques ;
- condamné fermement les fraudes au processus électoral et la répression de Caracas contre son peuple qui manifeste son mécontentement dans le calme ;
- salué le rôle joué par les gouvernements du Brésil, de la Colombie et du Mexique pour trouver un dénouement pacifique à la crise ;
- apporté leur soutien aux enquêtes menées par la CPI et l’ONU sur les exactions du régime chaviste.
Troisièmement, le 30 septembre dernier, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe[11] a décerné le prix des Droits de l’Homme Václav Havel à María Corina Machado et l’a remis, en son absence, à sa fille Ana[12]. S’exprimant à distance sur le double écran de l’hémicycle parlementaire, la lauréate s’est dite « très touchée, honorée et pleine de reconnaissance » d’être la première personnalité latinoaméricaine à recevoir cette distinction. Elle a immédiatement dédié ce prix à ses compatriotes : « L’importance de ce prix est immense, pour moi bien entendu, mais, avant tout et surtout, pour toutes celles et ceux qui luttent aujourd’hui pour la cause de la liberté au Venezuela »[13]. Pour mémoire, le Prix Václav Havel, « récompense des actions exceptionnelles de la société civile pour la défense des droits de l’homme » : il a été accordé, pour la première fois en 2013, à Ales Bialiatski, dissident biélorusse toujours emprisonné par le régime oppressif d’Alexandre Loukachenko[14] ; l’année dernière, cette récompense a été octroyée à Osman Kavala, « défenseur turc des droits humains, philanthrope et activiste de la société civile, actuellement en prison »[15].
Quatrièmement, le 24 octobre dernier, le Parlement européen a attribué le prix Sakharov pour la liberté de l’esprit au duo d’opposants vénézuéliens, María Corina Machado et Edmundo González Urrutia « pour leur lutte courageuse en faveur du rétablissement de la liberté et de la démocratie au Venezuela »[16]. La remise du prix se déroulera le 18 décembre prochain lors de la session plénière du Parlement européen à Strasbourg. Pour mémoire, le prix Sakharov constitue la dignité la plus prestigieuse accordée par l’Union européenne aux personnes et groupes qui défendent les droits humains, la démocratie et l’État de droit : il a été attribué conjointement en 1988, pour sa première édition, au sud-africain Nelson Mandela et au dissident soviétique Anatoli Martchenko (à titre posthume) ; l’an dernier, il a été décerné à Mahsa Amini (à titre posthume) et au mouvement Femme, Vie, Liberté pour leur combat en faveur des droits des femmes en Iran.
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Dans le contexte géopolitique actuel, il est essentiel de montrer que l’Europe n’oublie pas la lutte pacifique, et néanmoins dangereuse, menée au Venezuela pour rétablir l’État de droit. L’attribution du prix Sakharov 2024 à María Corina Machado et Edmundo González Urrutia récompense, d’une part, ces deux figures de proue de l’opposition vénézuélienne qui incarnent l’espoir d’un horizon démocratique prochain. Cette distinction consacre, d’autre part, à travers eux, le courage et la détermination de tous les démocrates qui sont injustement retenus dans les geôles vénézuéliennes ou qui subissent d’autres persécutions dans un « climat de peur » et une « répression féroce »[17] instaurés par Nicolás Maduro et ses affidés.
Les marques de solidarité de l’Europe avec le peuple vénézuélien opprimé sont vitales pour aider ce dernier à conserver le moral dans une situation qui ressemble étrangement à une crise politique et économique sans fin. Cependant, à l’image de Václav Havel et d’Andreï Sakharov, María Corina Machado et Edmundo González Urrutia sont devenus des symboles de l’opposition au despotisme. Ils pourraient bien, comme leurs prédécesseurs, connaître un jour la joie de voir s’effondrer le régime oppressif qu’ils ont décidé d’affronter « jusqu’au bout »[18], un régime vacillant mais encore soutenu par ses alliés : Russie, Chine, Iran et Corée du Nord[19].
David Biroste
Docteur en droit, Vice-Président de l’association LatFran (latfran.org)
Photo : Compte X de M. C. Machado, 17 mai 2024 (CC BY)
* Les liens renvoyant vers les références citées dans cette étude ont tous été vérifiés le 24 octobre 2024.
[1] L’État de droit (rule of law en anglais ou Rechtsstaat en allemand), à la différence d’un État légal, est un pays dans lequel les gouvernants sont soumis au droit comme les autres citoyens, les institutions respectent la hiérarchie des normes, la séparation des pouvoirs est assurée et l’accès à la justice est garanti par une cour qui protège les droits fondamentaux des individus. En ce sens, les notions d’État de droit et de démocratie sont intimement liées : Commission européenne pour la démocratie par le droit, Rapport sur la prééminence du droit, Étude n° 512/2009, Venise, 25-26 mars 2011 ; Dominique Rousseau, « Mon plaidoyer pour l’État de droit », Libération, 17 août 2017.
[2] Javier Corrales, « Autocratic Legalism in Venezuela », in Dossier « The Authoritarian Resurgence », Journal of Democracy, Vol. 26 n° 2, avril 2015, p. 37 ; Humberto Briceño León, « Despotismo constituyente Venezuela 2017 », Revista de derecho publico, janvier-juin 2017, n° 149-150, p 181 ; Michel De Grandi, « Au Venezuela, le coup d’Etat de Nicolas Maduro », Les Échos, 31 juillet 2017 ; Francine Jácome, « Los militares en la politica y la economia de Venezuela », Nueva Sociedad, n° 274, mars-avril 2018 ; Florantonia Singer, « La ONU acusa al Gobierno de Maduro de crimenes contra la humanidad », El País, 16 septembre 2020 ; Moisés Naím et Francisco Toro, « Venezuela’s Endless Crisis. A Mafia State Slides Toward Anarchy », 28 septembre 2021 ; Stéphanie Maupas, « Venezuela : la CPI ouvre une enquête sur des allégations de crimes contre l’humanité », RFI, 4 novembre 2021 ; Patrick Martin-Genier, « Focus sur le Venezuela : une terrible dictature », Revue politique et parlementaires, 3 août 2023 ; Human Rights Council, Report of the independent international fact-finding mission on the Bolivarian Republic of Venezuela, 18 septembre 2023.
[3] Louise Moussu, « Venezuela : à l’approche des élections, la répression politique se poursuit », Libération, 18 juin 2024 ; Julie Turkewitz, « What Happened to Venezuela’s Democracy? », The New York Times, 30 juillet 2024 ; The Carter Center, « Carter Center Statement on Venezuela Election », 30 juillet 2024 : « Le processus électoral vénézuélien n’a respecté les normes internationales d’intégrité électorale à aucune de ses étapes et a violé de nombreuses dispositions de ses propres lois nationales » ; Samantha Schmidt, Steven Rich, Ana Vanessa Herrero et María Luisa Paúl, « Maduro lost election, tallies collected by Venezuela’s opposition show », The Washington Post, 4 août 2024 ; Florantonia Singer, « La ONU concluye que las elecciones en Venezuela no cumplieron las medidas “de integridad y transparencia” », El País América., 14 août 2024 : « Le processus de gestion des résultats par le CNE n’a pas respecté les mesures fondamentales de transparence et d’intégrité qui sont essentielles pour la tenue d’élections crédibles. » ; « Venezuela : 10 pays d’Amérique latine s’opposent à la validation de la réélection de Maduro », France 24 (avec AFP), 23 août 2024.
[4] L’État de droit (rule of law en anglais ou Rechtsstaat en allemand), à la différence d’un État légal, est un pays dans lequel les gouvernants sont soumis au droit comme les autres citoyens, les institutions respectent la hiérarchie des normes, la séparation des pouvoirs est assurée et l’accès à la justice est garanti par une cour qui protège les droits fondamentaux des individus. En ce sens, État de droit et démocratie sont intimement liés : Commission européenne pour la démocratie par le droit, Rapport sur la prééminence du droit, Étude n° 512/2009, Venise, 25-26 mars 2011 ; Dominique Rousseau, « Mon plaidoyer pour l’État de droit », Libération, 17 août 2017.
[5] Alice Campaignolle, « Nicolas Maduro menace le Venezuela d’un bain de sang s’il perd le pouvoir », Le Figaro, 26 juillet 2024 ; Patrick Martin-Genier, « Venezuela : la victoire d’un peuple opprimé », Revue politique et parlementaires, 5 août 2024 ; ONU info, « Venezuela : des experts de l’ONU appellent à la fin de la répression post-électorale », 12 août 2024 ; Angeline Montoya, « La gauche sud-américaine à l’épreuve de la crise au Venezuela », Le Monde, 17 août 2024 ; Anne-Dominique Correa, « Au Venezuela, le pouvoir accentue la répression contre les dirigeants de l’opposition entrés en clandestinité », Le Monde, 23 août 2024 ; ONU info, « Venezuela : des enquêteurs de l’ONU dénoncent une répression sans précédent », 17 septembre 2024.
[6] « Italie, France et d’autres pays européens demandent au Venezuela la publication des documents électoraux », Le Figaro (avec AFP), 3 août 2024.
[7] « Venezuela : l’UE ne reconnaît pas la victoire de Maduro, le pape demande ʺla véritéʺ », RFI (avec AFP), 5 août 2024.
[8] Conseil de l’Union européenne, « Venezuela : déclaration du haut représentant, au nom de l’UE, sur l’évolution récente de la situation à l’issue de l’élection », Communiqué de presse, 24 août 2024.
[9] Parlement européen (2024-2029), Résolution du Parlement européen n° 2024/2810(RSP) sur la situation au Venezuela, 19 septembre 2024.
[10] Sandrine Morel, « Venezuela : l’ex-candidat à la présidence Edmundo Gonzalez Urrutia réfugié en Espagne », Le Monde, 9 septembre 2024. Les deux leaders de l’opposition sont visés par une enquête diligentée par le procureur général pour « usurpation de fonctions, diffusion de fausses informations, incitation à la désobéissance aux lois, incitation à l’insurrection, association de malfaiteurs ».
[11] Créé par le traité de Londres en 1949, le Conseil de l’Europe est une organisation régionale qui regroupe aujourd’hui 46 États européens et paneuropéens afin de contribuer à la diffusion et au respect des droits humains. En 1950, il adopte la Convention européenne des droits de l’homme et, en 1959, il se dote de la Cour européenne des droits de l’homme qui siège à Strasbourg.
[12] « Le Prix Václav Havel 2024 décerné à la personnalité politique et défenseuse des droits vénézuélienne, María Corina Machado », Communiqué de presse, Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, 30 septembre 2024.
[13] À visionner sur le site du Conseil de l’Europe (timeline : 1h23mn53s).
[14] « Ales Bialiatski (Bélarus), Prix des Droits de l’Homme Václav Havel 2013 », Communiqué de presse, Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, 30 septembre 2023 ; Galina Petrowskaja, « Vaclav Havel prize », DW, 30 septembre 2023.
[15] « Le Prix Václav Havel 2023 décerné à Osman Kavala, défenseur turc des droits humains actuellement en prison », Communiqué de presse, Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, 9 octobre 2023.
[16] « María Corina Machado et Edmundo González Urrutia lauréats du Prix Sakharov 2024 », Communiqué de presse, Parlement européen, 24 octobre 2024.
[17] Selon les propres termes des observateurs de l’ONU.
[18] « Hasta al final » est le slogan de la campagne présidentielle de 2024 et désormais le cri de ralliement d’une opposition démocratique réprimée mais déterminée à obtenir la victoire.
[19] Pascal Drouhaud, « Le continent sud-américain et la prolifération nucléaire », Revue Défense Nationale, Juin 2024, n° 871, p. 146 ; Paul Cabanis, « Maduro, du socialisme à la dictature », Arte (Kraken Films), 23 juillet 2024.