Le rapport qui porte le titre de « Croire toujours en la France » répond à une commande du gouvernement de commenter les dix indices complémentaires concernant l’état de la richesse et l’état de la France. Il s’agit d’un exercice qui engage notre institution qui est d’ailleurs la seule assemblée à laquelle il est demandé d’établir un rapport sur l’état de la France.
Ce rapport a permis de travailler non pas au sein de la seule section de l’économie et de la finance, mais aussi et surtout avec l’ensemble des sept sections parmi toutes celles qui composent le CESE. Ce qui veut dire que les sujets d’environnement autant que les sujets d’éducation sans ignorer évidemment les questions d’agriculture, d’artificialisation des sols ont été traités. C’est un véritable travail collectif à l’image du collectif que forme notre assemblée.
Pour l’édition 2016, portée par la dynamique de la nouvelle mandature 2015-2020 qui a pour ambition de faire, d’une part, de cette assemblée consultative, une institution résolument moderne, ancrée dans la société civile et profondément démocratique, et d’autre part de favoriser la cohésion sociale et de réussir la transition, nous avons choisi de partir d’une feuille blanche, avec une méthode fondée sur la transversalité ainsi qu’une grille de lecture originale. Au final, nous proposons un rapport d’un format totalement repensé avec deux parties.
La première comporte les bases du diagnostic et nos préconisations. La seconde, quant à elle, reprend chacune des contributions de chacune des différentes sections sur les différents indicateurs.
Le diagnostic
Nous avons essayé de dépasser la seule analyse du produit intérieur brut (PIB), repère traditionnel d’analyse de la santé de l’économie pour établir un diagnostic pertinent sur l’état de la société française dans toutes ses dimensions économiques, sociales et environnementales. La rapidité et la diversité des mutations auxquelles notre pays est confronté, imposent de se doter d’une vision rigoureuse à 360 degrés faisant abstraction de trop d’idées reçues.
Pour établir ce diagnostic, nous avons choisi de nous baser sur dix nouveaux indicateurs de richesse retenus par le gouvernement et regroupés dans trois grandes thématiques qui correspondent, selon nous, aux enjeux majeurs de la société française. Il s’agit entre autres des enjeux de la cohésion sociale, de la préparation de l’avenir et, bien entendu, de la qualité de vie. À partir de là, nous avons essayé de répondre avec un diagnostic partagé sans complaisance à la fameuse question : comment va la France ?
Pour toutes ces raisons, il nous a semblé nécessaire d’aller au-delà de l’examen de la trajectoire réelle des indicateurs pour nous intéresser à leur perception par les Français. Ce double regard nous a permis de mettre en évidence un net décalage entre la situation économique de la France qui s’améliore légèrement et le ressenti qu’en ont les Français. Le moral des Français a chuté de 20 points en mai 2016 pour atteindre son niveau le plus bas depuis décembre 2014. Ce décalage est important et ne doit pas être pris à la légère, d’autant qu’il s’inscrit dans un contexte marqué par un fort pessimisme ambiant et de très réelles tensions. Ce pessimisme n’est pas une spécificité culturelle française parmi tant d’autres. Les enquêtes convergent.
La défiance des Français est d’abord l’expression d’une inquiétude sur le présent et l’avenir de leur pays ainsi qu’un questionnement sur leur destin collectif.
La cohésion sociale est appréhendée au moyen de quatre indicateurs : l’indice des inégalités de revenus, de la pauvreté en conditions de vie, du taux d’emploi, et, bien entendu, du taux de sortie précoce du système scolaire.
Inégalités de revenus
Depuis 2013, les inégalités de revenus sont en baisse. Ceci s’explique, d’une part, par la baisse des revenus médians des ménages ainsi que celle des taux de placement et, d’autre part, par la hausse sensible de la fiscalité sur les hauts revenus. La France, avec un indice de 4.3, ressort comme un pays ayant une distribution des revenus globalement moins inégalitaire. Elle se situe en deçà de la moyenne européenne (5.2), de l’Allemagne et du Royaume-Uni (5.1) et plus encore de l’Italie (5.8) ou de l’Espagne (6.8). Les raisons de cette baisse trouvent leurs origines dans les politiques sociales et fiscales mises en œuvre depuis 1945, lesquelles ont toujours favorisé l’accès quasi gratuit à de nombreux services publics.
Par ailleurs, l’analyse par genre fait ressortir les écarts significatifs entre hommes et femmes : les femmes gagnent en moyenne 18 % de moins que les hommes. Ce chiffre est comparable à la moyenne mondiale, il est légèrement inférieur à la moyenne européenne (19 %).
Pauvreté en conditions de vie
La pauvreté en conditions de vie a pour objectif de définir un seuil de pauvreté au sein de la population, de le quantifier et d’en suivre son évolution. Depuis une dizaine d’années, en France, elle varie globalement entre 12,2 % et 13,3 %. Elle est faible chez les plus de 65 ans (7,1 %) tandis qu’elle affecte 18,6 % des jeunes dont l’âge est compris entre 18-29 ans. La moyenne européenne est de 19,6 %. Nous devançons l’Italie (24 %), le Royaume-Uni (17,4 %), et l’Espagne (16,9 %). Nous sommes proches de l’Allemagne (11,7 %) et de la Belgique (11,6 %). Alors que la Suisse et la Suède sont à 4 %.
Aucune analyse par genre n’a pu être obtenue dans les délais impartis. Les prochains rapports annuels sur l’état de la France devront traiter ce sujet important.
Taux d’emploi
Le taux d’emploi défini comme le rapport entre le nombre de personnes en emploi et l’ensemble de la population en âge de travailler, varie considérablement en fonction du niveau d’études.
En 2014, dans l’Europe à 28, pour le groupe d’âge de 25-64 ans, ce taux pour les titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur était de 83,8 %. Il est de 73,4 % pour les personnes ayant achevé l’enseignement secondaire et de 52,6 % pour les personnes ayant achevé l’enseignement primaire ou secondaire inférieur.
La France se situe près de cette moyenne européenne, un peu au-dessus pour le niveau primaire et collège (53,3 %) et pour l’enseignement supérieur (83,8 %), un peu en dessous pour la fin du secondaire (72,5 %).
Depuis 2009, en France, l’indice du taux d’emploi pour les tranches d’âge comprises entre 50-64 ans est de 47 % alors que celui des pays nordiques, des Pays-Bas, de l’Allemagne et du Royaume-Uni frôle ou dépasse les 60 %. Celui des 15-24 ans se dégrade aussi légèrement (28,3 %). Ce qui nous éloigne des pays nordiques, des Pays-Bas, de l’Allemagne et du Royaume-Uni où ce taux dépasse toujours 40 %. Même si ce taux est globalement stable, cependant, il ne fournit pas assez d’informations sur la qualité et la précarité des emplois.
En revanche, lorsque l’on considère le taux d’emploi des 25-54 ans (80,4 %) quel que soit le niveau d’études, la France dépasse assez nettement (près de 3 points) la moyenne européenne qui est de 77,5 %.
Tout comme les inégalités de revenus, l’indicateur du taux d’emploi met également en évidence des logiques du genre. En France, le taux d’emploi des femmes est assez modeste : à 60,9 %, il ne dépasse que d’un peu plus d’un point la moyenne européenne et se situe plus de 12 points en dessous du taux d’emploi des femmes suédoises. Cependant, en France, entre 2004 et 2014, celui des hommes a baissé de 1.7 point alors que celui des femmes a augmenté de 2.7 points.
Le taux de sous-emploi en 2014 est resté stable pour les hommes à 3,5 % et a diminué de 0.3 point pour les femmes pour s’établir à 9,5 %. Cette disparité s’explique par le fait que les femmes sont quatre fois plus nombreuses à travailler à temps partiel que les hommes et que près du tiers des personnes travaillant à temps partiel souhaitent travailler plus.
En 2014, en France, dans l’ensemble, le taux d’emploi des 15 à 64 ans était de 64,3 % tandis que la moyenne en Europe était de 63,9 %. Donc, la situation de l’emploi reste en effet, pour la France, une des principales défaillances de la période même si nous améliorons nos chiffres du chômage. Au niveau européen, notre pays ne fait pas mieux. Il occupe la treizième place sur les vingt-huit pays.
Sortie du système scolaire
Dans notre pays, le taux de sortie précoce du système scolaire, en 2013, est de 9,5 % pour une moyenne de 15 % dans les pays membres de l’OCDE et de 12 % en Europe alors que l’objectif fixé par la stratégie UE 2020 est de 10 %. En France, deux facteurs majeurs expliquent cette hausse :
- près d’un Français sur dix âgé de 18 à 24 ne poursuit ni études ni formation,
- un quart des échecs scolaires de cette tranche d’âge est imputable aux origines socio-économiques.
Il existe une forte corrélation entre le taux d’emploi et le niveau d’études. Selon l’Insee, plus le diplôme est élevé, plus le taux de chômage est bas. C’est ainsi que, en 2014, les jeunes sont au chômage :
- pour 53 %, de ceux sortis sans diplôme ou avec le brevet des collèges,
- pour 24,1 %, avec le baccalauréat, le CAP ou le BEP,
- pour 11,5 %, avec un diplôme d’enseignement supérieur.
Que nous disent ces quatre premiers indicateurs pour appréhender la cohésion sociale ? Nos scores sont dans la moyenne européenne, plutôt stables sur de longues périodes. Et pourtant, le sentiment de perte de cohésion sociale existe dans notre pays.
La cohésion sociale se trouve fragilisée par le manque de confiance en l’avenir, le climat d’insécurité de plus en plus alarmant, le chômage de masse, la précarisation des emplois et bien entendu les problématiques liées à l’accès au logement et au numérique.
L’extrémisme progresse comme un réflexe de repli sur soi : l’impact des récents attentats n’a pas, au-delà des prises de parole politiques, entraîné une inversion de la tendance.
Tout comme la cohésion sociale, la préparation de l’avenir s’avère d’une impérieuse nécessité dans un contexte où les tensions sont fortes.
S’agissant de la préparation de l’avenir, elle est également appréhendée au moyen de quatre autres indicateurs à savoir l’indicateur de l’effort de recherche, de l’endettement, de l’empreinte carbone, enfin de l’artificialisation des sols.
Effort de recherche
La crise que nous traversons traduit les difficultés de notre société à s’adapter aux profondes mutations dans lesquelles elle est engagée. L’effort de recherche est un marqueur déterminant et significatif pour la transition, notamment l’amélioration de la compétitivité et de la richesse nationale. Il peut également contribuer à relever les défis sociétaux auxquels notre pays est confronté à savoir :
Le numérique : cette transformation génère des opportunités qu’il convient de saisir et de nombreux risques, en particulier de disparitions d’entreprises et de destructions d’emplois qui ne seront pas nécessairement compensées par des créations nouvelles. Il s’agit d’anticiper et de repenser les formations actuelles et futures pour que les compétences professionnelles correspondent aux besoins des entreprises, aux attentes des salariés et aux nouvelles formes d’économie.
La transition énergétique : elle doit réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) en minimisant le recours aux ressources fossiles tout en répondant aux besoins sociaux, en résorbant les inégalités sociales et en permettant la réindustrialisation de la France.
Enfin, le rapport entre science-technologies et société : il implique que l’association des salariés et la société civile à la co-construction de notre stratégie d’innovation doit être recherchée. Il doit s’accompagner d’un renforcement de la culture scientifique et technique de l’ensemble des citoyens, y compris dans le champ des sciences humaines et sociales.
Entre 1999 et 2013, la part de notre PIB dans les publications scientifiques a chuté de 15,1 %. Nos demandes de brevets européens ont diminué de 8,3 % en 1994 et de 6,4 % en 2012.
En 2014, seulement 2,26 % de notre PIB sont affectés à l’effort de recherche. Cette part doit être dépassée, puisqu’elle est, non seulement inférieure à l’objectif de 3 % de la stratégie de Lisbonne de 2002, ainsi qu’à celui de la stratégie « Europe 2020 », mais aussi et surtout inférieure à l’effort de recherche effectué par l’Allemagne, l’Autriche et les pays scandinaves.
En revanche, l’effort financier consenti au titre des aides fiscales, à l’instar du crédit d’impôt-recherche (CIR), constitue un important levier d’incitation à l’innovation (6,2 milliards d’euros en 2014).
En tout état de cause, atteindre l’objectif de 3 % à l’horizon 2020 suppose une augmentation annuelle de l’effort de recherche dix fois plus rapide qu’aujourd’hui, à savoir un rythme de 0.12 point par an contre un rythme actuel d’environ 0.1 point.
Endettement
L’endettement est nécessaire au financement de l’économie. Il constitue l’un des moyens efficaces de préparer l’avenir sous réserve de respecter trois conditions essentielles : faire le bon choix des projets et des politiques publiques à financer, s’assurer de la soutenabilité durable de la dette, enfin, conserver les bonnes conditions de financement. Le recours à la dette doit permettre de financer tous types d’investissements et de développements, matériels ou immatériels (recherche-innovation-formation…). Mais, elle doit rester soutenable tant en coûts récurrents (intérêts) qu’en capacité de remboursement.
Cependant, dans une récente note, France Stratégie rappelait que : « des niveaux d’endettement, public comme privé, constituent un frein parfois substantiel à la croissance, notamment lorsque l’endettement est simultanément important dans différents secteurs (ménages, entreprises, banques, sphère publique).
Que nous disent les indicateurs disponibles sur l’endettement dans notre pays ?
La dette publique française s’est à nouveau fortement accrue avec la récession de 2009 et se situait à 95,7 % du PIB fin 2015, soit 2 097 milliards d’euros. Ces évolutions sont directement liées au niveau du déficit des administrations publiques et plus particulièrement du solde budgétaire primaire (solde hors paiements d’intérêts de la dette). Le niveau moyen de la dette publique au sens de Maastricht dans l’UE est plus faible qu’en France (87 % en 2014) contre une moyenne en zone euro relativement proche de 92 %.
L’endettement consolidé par les sociétés non financières françaises a augmenté continûment de 2005 à 2012, passant de 68 % à 83 % du PIB. En 2013 (dernière année disponible), il a entamé une légère décrue à 81 % du PIB. Ce qui implique que, pour réaliser leurs investissements, les sociétés non financières continuent de recourir à des financements extérieurs dont l’endettement.
L’endettement consolidé par les sociétés non financières est proche de la moyenne européenne située à environ 81 % du PIB en 2013. Il est plus élevé qu’en Allemagne (48 %) ou qu’en Italie (77 %), cependant moins important qu’en Espagne (98 %), Finlande (84 %) ou en Suède (107 %).
L’endettement des ménages a crû fortement depuis : il a atteint 57,2 % du PIB fin 2014 contre 33 % en 2000 dans un contexte où les ménages se sont fortement endettés pour financer leurs acquisitions immobilières. Le niveau d’endettement des ménages français est modéré comparativement aux autres pays européens. Il est comparable à celui des Allemands (54 %) et deux fois inférieur à celui des ménages au Danemark (133 % en 2014) ou des Pays-Bas (116 % en 2013).
Les entreprises et les ménages français recourent de moins en moins à l’emprunt. Cela s’explique par l’instabilité des taux (même s’ils sont bas de manière globale) et une absence de visibilité à long terme.
Empreinte carbone
L’intérêt de l’indicateur « empreinte carbone » doit être souligné. Il traduit bien la volonté de dépasser ceux fondés sur le seul produit intérieur brut pour faire émerger une nouvelle série d’indicateurs qualitatifs, capables d’aider à orienter l’action sur le long terme.
Les travaux antérieurs du CESE s’étaient prononcés en faveur de l’empreinte carbone qui tient compte à la fois des émissions sur notre territoire et celles dues à nos importations. Leur décompte reste pour partie théorique et souffre de nombreuses imprécisions puisqu’il ne donne pas assez d’informations afin d’appréhender de manière différenciée les émissions de gaz à effet de serre associées aux importations, celles de la production nationale ou celles en provenance des ménages conformément aux objectifs nationaux de diminution des émissions de GES inscrits dans la loi, à l’horizon 2030 et surtout à l’horizon 2050 (facteur 4).
Dans un contexte de changement climatique, l’empreinte carbone a suscité de nombreux débats lors de la 21e conférence des parties (COP21) où son rôle critique pour le futur de la planète apparaissait comme un facteur crucial. Malheureusement, en France, nous ne disposons que de peu de références complètes (1990, 2010 et 2012), qui sont d’ailleurs trop peu nombreuses pour mesurer de façon précise les progrès accomplis. Ce qui met en évidence la problématique de l’actualité de l’empreinte carbone complète présentée par le SIG en 2016. Décideurs et citoyens visualiseraient sans doute davantage que la question actuelle n’est compatible ni avec le « facteur 4 », ni avec ceux de la loi relative à la transition énergétique, puisque l’indicateur montre une empreinte carbone plutôt stable ou en légère baisse pendant que la délocalisation d’une partie de notre appareil industriel se poursuit.
Artificialisation des sols
Dans un autre registre, peut-être moins immédiatement perceptible mais tout aussi fondamental, la question de l’artificialisation des sols (la transformation non réversible des terres agricoles) ne doit pas être éludée.
En cinquante ans, nos surfaces artificialisées sont passées de 2,5 à 5 millions d’hectares et elles continuent de s’étendre à 60 000 hectares par an en moyenne. Il s’agit d’un véritable enjeu qui impacte d’une part sur nos équilibres économiques, la place et le rôle de notre agriculture, et d’autre part sur nos équilibres naturels (ruissellement des eaux, érosion des sols, perte de la capacité de stockage de carbone, fragmentation des habitats naturels) et des écosystèmes affectant la biodiversité. Entre 2006 et 2014, près de la moitié du demi-million d’hectares de terres artificialisées en métropole a été consommée par les maisons individuelles.
Dans l’UE, l’artificialisation de sols a doublé plus vite que la population. La France se situe à un niveau d’artificialisation plus élevé (5,8 % selon la définition Eurostat) que la moyenne européenne (4,6 %). Ce qui révèle les incidences néfastes de l’imperméabilité des sols (l’augmentation du risque d’inondation et de pénurie d’eau), du réchauffement climatique, de la diversité biologique ainsi que ses conséquences sur l’agriculture lorsque les terres agricoles fertiles sont impactées.
Là aussi, disons-le, peu d’enthousiasme. La France n’investit pas suffisamment, n’anticipe pas les évolutions en cours. L’effort de recherche est insuffisant à l’aune de nos concurrents. L’importance de notre dette globale et l’absence de confiance dans un avenir soutenable contribuent à freiner les volontés d’investissements indispensables. La problématique carbone est prise en compte mais des freins existent et les décisions de mise en œuvre tardent. Nous consommons notre « ressource sol » sans réflexion d’ensemble en matière d’aménagement du territoire et d’urbanisme.
En somme, la France prépare mal son avenir.
La qualité de la vie est la dernière ligne du diagnostic. Elle est mise en évidence au moyen de deux indicateurs, notamment l’espérance de vie en bonne santé et la satisfaction dans la vie qui constituent pour notre assemblée une avancée réelle.
Espérance de vie en bonne santé
L’espérance de vie en bonne santé mesure le nombre d’années pendant lesquelles une personne peut compter vivre en bonne santé, sans limitation d’activité dans les gestes de la vie quotidienne.
En 2013, dans l’UE, elle est estimée à 61,4 ans pour les hommes et 61,5 ans pour les femmes, ce qui représentait respectivement environ 79 % et 74 % de l’espérance de vie totale.
En 2012, en France métropolitaine, elle est estimée à 63,8 ans pour les femmes (+ deux ans en vingt ans) et à 62,6 pour les hommes (+ trois ans en vingt ans). Ce résultat est comparable à la moyenne européenne, proche de celle de l’Allemagne et du Royaume-Uni), Cependant, elle est relativement inférieure à celle des pays scandinaves.
Satisfaction dans la vie
L’indice de satisfaction dans la vie est le plus passionnant. L’intégration de cet indicateur dans le rapport annuel du CESE sur l’état de la France n’est donc ni fortuit ni incongru. Il vise à agréger nos subjectivités individuelles pour capter l’humeur de notre pays. Les Français sont sans doute les champions du pessimisme et ils le disent très bien à travers cette enquête et les commentaires que nous avons collationnés au CESE.
En 2013, le niveau de satisfaction perçu en moyenne par les Français est de 7 sur une échelle de 0 à 10. Ce qui nous situe légèrement en deçà de la moyenne européenne qui est de 7,1. Nous devançons l’Espagne (6,9) et l’Italie (6,7). Cependant, nous sommes devancés par le Royaume-Uni et l’Allemagne (7,3).
Sans surprise, les critères de difficultés matérielles – niveau de vie, chômage et santé – sont discriminants dans l’impression de satisfaction déclarée. La faible qualité des liens sociaux est relevée par 14 % de Français. L’analyse par genre est peu différenciante, tout comme celle par lieu de résidence. Dans l’absolu, il y a des pays plus difficiles que le nôtre.
Les fortes différences entre les catégories sociales concourent à un sentiment général plutôt mitigé quand il n’est pas franchement pessimiste.
Ce pessimisme ne doit pas être pris à la légère. Sous-consommation, sous-investissement, les impacts économiques d’un déficit de confiance font largement consensus de même que ses effets délétères sur l’action collective, sur le dialogue social et sociétal, sur le débat public créent un sentiment de pessimisme ambiant et de manque de confiance de nos concitoyen.nes envers leurs représentant.es.
Les préconisations
Le pessimisme français n’est pas pour nous, en tant que corps intermédiaire, l’expression d’une résignation, mais en appelle à l’action. L’analyse croisée des dix indicateurs du CESE énonce des priorités pour l’action publique ici et maintenant. Ces priorités s’inscrivent dans deux directions : retrouver le chemin de la confiance et reconstruire une communauté de destin.
Pour retrouver le chemin de la confiance dans un pays qui doute de son avenir, qui additionne les peurs, les déclassements individuels, les relégations collectives, dans un pays où la défiance des acteurs économiques reste élevée ; c’est à ces doutes, à ces peurs que doit répondre aujourd’hui l’action publique.
Chômage de masse et décrochage scolaire
Notre diagnostic montre qu’il est urgent de traiter en priorité absolue deux grandes défaillances françaises : le chômage de masse et le décrochage scolaire.
Sur les enjeux du décrochage scolaire, même si le taux de sorties précoces du système scolaire a légèrement diminué ces dernières années, il reste particulièrement élevé et alarmant. Il s’agit là, selon l’OCDE, d’une défaillance majeure. Une attention particulière devra être portée à un meilleur accompagnement des jeunes, du collège à la terminale, dans la construction de leur parcours d’orientation. Il s’agira de détecter, très tôt en cours de scolarité, les risques de décrochage afin de les traiter au mieux, en s’appuyant sur les moyens supplémentaires qui doivent être dédiés à l’enseignement primaire, la scolarisation des enfants en maternelle dès deux ans si nécessaire et la prise en charge des classes hétérogènes.
Pour le CESE, le chômage de masse et la marginalisation d’une partie de la jeunesse restent les véritables failles de notre système et doivent être une priorité pour l’action publique. Car, ils rendent compte à la fois du sentiment de pessimisme et de la résignation du politique.
Action à l’emploi
S’agissant de l’action à l’emploi, nous proposons trois orientations claires : un ciblage des politiques adaptées aux populations les plus exposées, un investissement renforcé dans la formation des demandeurs d’emploi et la réorientation réelle des dispositifs de formation professionnelle. C’est un impératif de prévenir les risques de déclassement et d’exclusion du marché du travail notamment les mutations accélérées que connaissent aujourd’hui de très nombreux métiers : technologiques, transitions numériques et écologiques. La réponse passe par une montée en qualification de l’appareil de formation professionnelle. Le passage d’une obligation de financement de la formation à une obligation de former et de développer les compétences des salariés répond à cet objectif, comme l’obligation d’un bilan régulier des parcours professionnels au sein des entreprises.
Sur ces deux enjeux majeurs, la réponse passe aujourd’hui par un traitement personnalisé et à très grande échelle de tous ceux qui sont impactés par cette défaillance. Et, plus celle-ci se pérennise, plus ils sont nombreux.
Faut-il rappeler que la France compte deux millions de jeunes de 16 à 25 (sans diplôme, sans qualification et sans emploi), qui ne poursuivent pas d’études au-delà de la scolarité obligatoire et sont aujourd’hui les plus exposés au risque du chômage et à la pauvreté. Ce qui impose une lutte préventive contre les échecs en premier cycle universitaire et de faciliter l’accès des bacheliers professionnels aux filières technologiques et professionnelles.
Les seniors de plus de 50 ans sont, quant à eux, de plus en plus nombreux à continuer à travailler ou à rechercher un travail et plus souvent menacés par le chômage de longue durée.
Préserver quelques singularités
Mais, si notre diagnostic met en exergue les défaillances françaises, il met aussi a contrario en évidence les bonnes singularités que nous avons le droit de revendiquer et le devoir de préserver. Dans les comparaisons internationales, la France ressort comme un pays ayant une distribution de revenus globalement moins inégalitaire que la moyenne. C’est le cas des politiques distributives et fiscales qui permettent de lutter efficacement contre l’accroissement des inégalités. Elles sont l’expression d’un choix collectif en faveur d’un haut niveau de mutualisation des dépenses essentielles. La lutte contre l’accroissement des inégalités de revenus s’impose même si la France reste encore un pays ayant une politique de distribution moins inégalitaire de revenus. La France devra mieux faire en luttant efficacement contre le dumping social et fiscal tant au plan national, européen qu’au plan mondial.
Par ailleurs, si le taux de pauvreté en conditions de vie est très inférieur en France par rapport à la moyenne européenne, de réelles disparités existent notamment en matière de santé, d’éducation, d’accès au crédit et au logement. Ces disparités doivent être prises au sérieux et traitées avec efficacité. Le CESE préconise, à cet égard, de mieux cibler les publics les plus fragiles, dont les jeunes et les familles monoparentales et de renforcer la lutte contre l’isolement et la solitude subie. L’importance des contrats temporaires et de l’intérim dans le marché de l’emploi implique aussi de réduire cette précarité, et son impact sur l’accès au crédit et au logement, notamment pour les jeunes.
La préservation de la qualité, de l’accessibilité et de l’efficacité des services publics constitue également un facteur important d’harmonisation des conditions de vie.
Contrer l’artificialisation des sols
Pour contrer l’artificialisation excessive des sols, il faut lutter contre le mitage des territoires au moyen d’une politique volontariste en matière d’habitat et d’urbanisme commercial. Ce qui implique de rénover, de revitaliser et de densifier les centres-villes et centres-bourgs et de privilégier la rénovation de l’habitat ancien et des bâtiments commerciaux existants.
Il s’agit en priorité de :
- définir des objectifs nationaux de réduction de la consommation des sols agricoles et de les décliner sur le plan local,
- veiller à la cohérence des décisions d’urbanisme en zones rurales et périurbaines en privilégiant l’échelle des bassins de vie,
- organiser en amont la conception des projets tels que l’information et la concertation avec les diverses parties prenantes,
- améliorer la connaissance de la biodiversité concernée par les projets d’infrastructures tout en évaluant d’une part leur impact sur la préservation des milieux naturels et protégés, d’autre part en s’assurant de la compatibilité des infrastructures nouvelles avec les orientations nationales afin de préserver et de remettre en état des continuités écologiques.
Le pessimisme français est donc un refus. C’est celui d’une certaine impuissance française, mais aussi l’expression d’une inquiétude face à l’avenir et d’un doute sur les atouts de la France dans un monde plus ouvert, plus complexe et plus incertain de sa capacité à proposer à tous une même communauté de destin.
Pour reconstruire ce sentiment d’appartenance dans une société qui se fracture aujourd’hui dangereusement entre les nomades et les déboussolés, nous suggérons deux pistes d’actions.
Investir pour préparer l’avenir
La première piste, c’est d’investir massivement dans la préparation de l’avenir. Puisque la France n’est pas à la hauteur de cette ambition. Pour le CESE, l’intensification de l’effort de recherche publique comme privée doit atteindre les 3 % du PIB et doit être une priorité compte tenu de l’ampleur des défis à relever : révolution numérique, transition énergétique, compétitivité de notre économie. Ce qui nécessite, dès à présent, un effort supplémentaire de 16 milliards d’euros par an.
La compétitivité à long terme des entreprises et la lutte contre le chômage de masse nécessitent de favoriser les investissements qui développent l’emploi et la valeur ajoutée ainsi que la montée en compétences et en qualification.
Mieux préparer l’avenir, c’est aussi mieux soutenir et mieux orienter les stratégies d’investissements privés et publics par le renforcement des fonds propres et la préservation de la capacité d’investissement des entreprises, l’amélioration de l’accès aux financements bancaires des PME, le fléchage de l’épargne vers des investissements à long terme. Le Conseil recommande par ailleurs de limiter l’instabilité des dispositifs législatifs et réglementaires qui sont sources d’incompréhension notamment en matière de fiscalité, un meilleur fléchage de l’épargne des Français vers des investissements de long terme, en particulier dans les infrastructures, l’éducation, la santé et la transition énergétique.
Investir dans l’avenir, c’est aussi cultiver nos atouts notamment l’esprit d’entreprendre, la créativité et l’universalisme français. Des atouts qui restent plus que jamais pertinents dans le monde, qui donnent vraiment envie de s’enthousiasmer : pourquoi pas, rêvons de retrouver le sourire.
Par ailleurs, pour le CESE, les enjeux du vieillissement de la population supposent d’engager rapidement une action ambitieuse qui dépasse le cadre de la santé. Il convient d’agir sur l’ensemble des déterminants de la santé en prenant pleinement en compte la dimension multifactorielle de l’amélioration de l’espérance de vie (environnement, travail, lien social, niveau socioculturel) afin d’agir sur la prévalence des incapacités à travers une approche interministérielle plus fine à des étapes de la vie.
Renforcer les politiques d’égalité des chances
La deuxième piste, c’est la promotion du renforcement des politiques d’égalité des chances aussi bien dans le système éducatif que dans le monde du travail pour anticiper et accompagner les ruptures technologiques comme les transitions numérique et écologique. Toutes les études ont d’ailleurs démontré que les inégalités socio-économiques sont l’une des premières causes des inégalités de chance dont l’impact négatif est accentué chez les enfants issus de l’immigration.
Face à ce constat, il est essentiel pour le CESE, d’agir depuis l’enseignement primaire en formant les équipes éducatives afin qu’elles luttent efficacement contre toute forme de discriminations ; d’apporter une réponse rapide et personnalisée à chaque jeune de plus de 16 ans sorti du système éducatif sans diplôme ni certification.
Conclusion
Bien que relativement synthétique au regard de l’importance des sujets traités, ce rapport dresse un tableau complet de la France et avance des pistes d’actions qui méritent d’être approfondies et d’être susceptibles de servir de socles à certain nombre de réformes.
Le constat est quelque peu paradoxal entre des chiffres qui sont plutôt stables sur une longue durée bien sûr et les indices de types qualitatifs. La macroéconomie nous situe dans une moyenne raisonnable en Europe. Il y a l’inflexion de telles ou telles courbes qu’on a observées au cours des derniers mois mais, globalement, le bilan en chiffres n’est pas du tout catastrophique. D’après de nombreuses études, la situation du pays cesse de se dégrader : taux d’emploi en légère progression marqué par un recul du nombre d’inscrits à Pôle Emploi toute catégorie confondue ; déficits publics en phase de stabilisation ; amélioration relative des comptes des entreprises. Et pourtant, les interrogations sur le caractère durable de cette amélioration sont très nombreuses.
L’impuissance française est bien sûr le chômage de masse. Il faut absolument éviter que ce chômage de masse dérape dans la mise à l’écart d’une partie de la population. Les problèmes de chômage doivent être traités urgemment et indépendamment des politiques économiques qui sont menées. Il faut traiter le chômage de masse à travers des populations ciblées, ce que met en évidence le rapport. Les jeunes et les seniors doivent être accompagnés. Il faut régler les problèmes des gens ici et maintenant. Certains signaux font craindre un risque de décrochage. C’est terrifiant de voir qu’une partie de la jeunesse française est exclue de l’école et qu’elle va nourrir un sentiment d’impuissance. Il faut traiter les gamins qui en sortent exclus. Il faut les prendre en main.
La France investit mal ou pas assez dans son système éducatif, on l’a vu sur les décrochages scolaires qui sont malheureusement nombreux. Oui nous l’avons dit ; c’est sans doute l’une des phrases fortes de ce rapport : « Préparons notre avenir, investissons dans ce qui mécaniquement redonnera la confiance aux jeunes, redonnera l’espoir, redonnera la cohésion et ceci devra contribuer à réduire ce pessimisme qui n’est pas d’ailleurs une fatalité. Sur ce plan, on a un gros travail. Il faut des discours visionnaires, il faut des projets politiques. C’est urgent ».
Cependant, les indices de types qualitatifs sont au contraire moins bons. Ils sont axés sur les mécaniques d’absence de cohésion sociale. Les Français se plaignent en termes de qualité de vie même si les fondamentaux chiffrés de conditions de vie ne sont pas mauvais. Il y a une somme de contradictions dans ce constat : la réalité observable et la réalité telle que ressentie par nos concitoyens.
Des singularités françaises doivent être préservées. Parce que c’est la force de la société française. C’est une société moins inégalitaire que les autres. Ce sont de vraies singularités françaises qu’il faut protéger. Mais, il y a des inégalités qui sont en train de s’accroître. Il faut effectivement éviter que la France ressemble aux autres. Il faut garder cette cohésion sociale qui est en train de se fragiliser. C’est la problématique de la préservation de la beauté française. Bernard Maris, dans son livre posthume Et si on aimait la France, disait « que serait la France sans sa beauté ». Oui, il faut protéger la beauté par rapport à l’envahissement aujourd’hui : la prolifération du mitage des territoires ; chose que le rapport met en évidence.
Chaque année, on perd des terres agricoles à cause des politiques urbaines non maîtrisées. L’artificialisation des sols gagne chaque année plusieurs dizaines de milliers d’hectares. La France gère mal ses ressources en sols, c’est de la terre perdue.
Effectivement le climat n’est pas bon. Chacun peut le constater aujourd’hui. Mais, l’enquête sur laquelle se base ce rapport, le confirme.
Il y a un climat de défiance, de pessimisme de la société qui va au-delà de la réalité objective. C’est pourquoi, dans ce rapport, le CESE préconise de traiter les causes de la défiance.
Il y a des causes objectives ; ce n’est pas qu’un phénomène culturel (un comportement français à l’heure par définition) comme l’affirme le gouvernement, dans le commentaire de ces mêmes indicateurs. Sans doute, mais il faut aller au-delà. Nous disons qu’il y a des défaillances françaises qui sont récurrentes. Si elles ne sont pas traitées, et si on ne donne pas envie et espoir, on ne règlera pas durablement le problème.
La réinvention d’une communauté de destin comme le dit bien ce rapport, est primordiale. Puisque la France n’investit pas dans son futur, c’est un drame aujourd’hui. La France, non seulement n’investit pas dans son futur, mais aussi et surtout, elle le prépare mal. C’est une responsabilité énorme par rapport aux générations qui nous succéderont qu’il s’agisse des forces de recherches. L’actualité récente l’a démontré avec le « coup de gueule » des prix Nobel.
Il reviendra ensuite aux décideurs politiques de faire les choix et de décider. Espérons que l’année 2017 nous permettra d’entendre des propositions à travers les multiples campagnes électorales qui vont se dérouler. Là aussi une prise de parole forte, des projets qui soient enthousiasmants. « Chacun doit aimer son pays, c’est notre cas. Croire toujours en la France, et pourquoi ne pas l’aimer ! »
Pierre-Antoine Gailly
Membre du Conseil économique, social et environnemental
Co-auteur du rapport « Croire toujours en la France »
Photo : O. Boucherat/Fotagora, Wikipédia