L’incertitude quant au résultat de la prochaine élection législative en France provoque actuellement une période de volatilité accrue sur les marchés financiers. En effet, la réaction négative des investisseurs après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale s’est reflétée à la fois sur le marché des actions et des obligations.
D’une part, on assiste à une baisse de l’indice CAC 40 qui culminait à des niveaux historiques et qui a effacé, en quelques jours seulement, la plupart des gains accumulés depuis le début de l’année. D’autre part, on observe un ajustement brutal de la prime de risque sur la dette française, qui s’exprime par l’élargissement de l’écart entre les rendements obligataires français et allemands, c’est-à-dire le très scruté « spread » entre l’OAT et le Bund.
Là où le bât blesse c’est que la France doit encore lever 120 milliards d’euros supplémentaires, d’ici la fin de l’année pour boucler son programme de financement 2024. En outre, après les élections anticipées, le futur nouveau Premier ministre et son gouvernement devront gérer un pays où la dette s’élève à 110 % du PIB et ou le déficit budgétaire dépasse 5 %. Enfin, ils devront également présenter le budget 2025 dès le mois d’octobre.
Or, force est de constater qu’aucun des programmes proposés par les grandes formations politiques ne suit les récentes recommandations du FMI concernant la nécessaire réduction des dépenses publiques de l’ordre de 0.5% du PIB par an.
Cette sanction des investisseurs pose la question de la vulnérabilité de la France, jusqu’alors traitée avec beaucoup de bienveillance par les marchés, face à de possibles attaques spéculatives. Car, depuis la récente décision de Standard and Poor’s de dégrader la note du pays, la France était devenue un point d’attention pour les investisseurs dans la zone euro. La réaction des marchés financiers après l’annonce de la dissolution cristallise ce phénomène.
En fait, nous sommes face à une défiance des marchés, qui misent sur les Etats-Unis, plutôt que sur l’Europe. En effet, le contraste est frappant entre le S&P 500 et le Nasdaq américains qui ont récemment atteint de nouveaux sommets, et la réaction actuelle concernant les indices en Europe. Clairement, les investisseurs doutent de la capacité de l’Union européenne à renouer avec la croissance, alors que l’économie est toujours aussi forte aux Etats-Unis notamment portée par l’IRA, la loi sur la fabrication des puces électroniques (« CHIPS Act »), ou encore la loi sur les infrastructures (« Infrastructure Act »).
Les observateurs attentifs des marchés savent que la nervosité, voire la surréaction, des investisseurs face à l’incertitude d’une décision politique est une réalité empirique qui se vérifie souvent.
C’est d’autant plus vrai quand il s’agit d’une démocratie réputée stable et bien établie, comme la France.
D’ailleurs, la théorie économique s’est depuis longtemps attachée à analyser les phénomènes d’incertitude. Dès 1921, l’économiste américain Frank Knight établissait d’ailleurs la distinction entre un risque (c’est à dire un événement futur auquel on peut donner une probabilité d’occurrence) et une incertitude, pour laquelle on ne peut pas donner de probabilité. En revanche, s’il est correctement évalué par les investisseurs, le risque devient alors créateur de valeur.
Si le champ des scénarios politiques possibles en France est bien identifié, la probabilité de chaque évènement est par nature subjective et le résultat de l’élection par nature imprévisible. Dans l’hypothèse où aucune majorité ne devait se dégager après les élections, une situation politique bloquée ou désordonnée persistera au moins un an, car la Constitution contraint le président de la République à attendre 12 mois, avant de pouvoir convoquer un nouveau scrutin anticipé.
L’absence de clarté politique pourrait alors prolonger la période de volatilité sur les marchés et entraîner des révisions à la baisse des prévisions économiques pour la France.
Dans ce scenario, la hausse de la prime de risque de la France serait inéluctable et reflèterait à la fois les dérives budgétaires, l’impasse politique, et donc l’absence de réformes structurelles. Et ce, même si Emmanuel Macron a qualifié de « mensonges » les rumeurs selon lesquelles il envisage de démissionner.
Cependant, le pire n’est sans doute pas à craindre. En tout cas, pas dans l’immédiat. En effet, les investisseurs sont sans trop exposés à la dette souveraine française pour souhaiter, voire provoquer un défaut. Ensuite, le montant de l’épargne immobilisée et par conséquent taxable pour rembourser la dette de la France est colossal. Enfin et surtout, la BCE veille au grain.
Le principal (et peut être le seul) bénéfice de la zone euro pour la France est de lui permettre de jouer le « passager clandestin » et de profiter à la fois de la force de frappe de la BCE et de la notation « triple A » allemande, en terme de coût de financement.
Certains craignent que la réduction des interventions sur les marchés de la Banque centrale européenne (« BCE »), après la fin de son programme d’assouplissement quantitatif exacerbe l’augmentation de la prime de risque pour la France. Mais, si la situation devient problématique, nul doute que la BCE saura montrer ses muscles et user du « whatever it takes » qui a déjà fait ses preuves en 2012. La réalité est que la puissance de feu de la BCE qui peut, à sa guise, acheter massivement des titres obligataires français pour calmer les marchés, éloigne la possibilité d’une crise financière majeure à court terme, à la fois en France et pour la zone euro.
En revanche, à moyen et long terme, la contrainte exercée par la politique budgétaire de la France sur la politique monétaire de la BCE en l’obligeant à participer au financement des dépenses publiques (achat d’obligations), risque de stimuler à nouveau l’inflation. Cela conduirait à une dévaluation de l’euro. En théorie économique, c’est la fameuse situation dite de « dominance budgétaire » (ou « fiscal dominance ») où les banques centrales utilisent leurs pouvoirs monétaires pour soutenir les prix des titres d’État et pour fixer les taux d’intérêt à des niveaux bas, afin de réduire les coûts du service de la dette souveraine.
Donc, la France doit réussir ses réformes de structure et réduire son déficit. On note d’ailleurs que les pays périphériques ont réussi à faire preuve de d’avantage de discipline, notamment le Portugal, ce qui montre que rien n’est impossible quand on fait preuve de volonté politique. Peut-on se montrer optimiste ? La seule certitude c’est qu’un programme de campagne n’est jamais appliqué par ceux qui sont élus. Les marges de manœuvre étant limitées, espérons que le cadre européen pourra servir de force de rappel et contraindre nos futurs dirigeants à appliquer le principe de réalité en ajournant les promesses fallacieuses, face aux exigences du monde extérieur. Si ce n’est pas le cas, alors les marchés règleront le sort de la France.
Guillaume du Cheyron
Spécialiste de la Finance d’Entreprise
Président de G2C Corporate Finance
Senior Advisor chez Kingsrock