La Constitution de 1958, en mettant le Chef de l’Etat au-dessus des partis, a oublié de préciser qu’il doit de ce fait être aussi au-dessus des partis-pris.
49-3, référendum, dissolution de l’Assemblée nationale : nous vivons un moment extraordinaire de la Vème République et de sa formidable Constitution qui apportait enfin une réponse à Prévost-Paradol qui observait, en 1848, que si la Révolution avait fondé une société nouvelle, cette société-là cherchait encore son mode de gouvernement. Le texte de 1958 a supporté 24 modifications qui l’ont fait répondre et s’adapter aux évolutions de la société et du paysage politique. Peut-être y a-t-il perdu un peu de sa robustesse, mais il est toujours là : il a donné effectivement son mode de gouvernement à la société qui s’est construite, d’aventure en aventure, depuis 1789.
Celui-là même qui dénonçait un coup d’Etat permanent convenait, quand il accédait à la magistrature suprême, que cette loi fondamentale qui n’avait pas été faite pour lui, avait taillé un costume qui lui seyait bien. Ses successeurs ont ajusté le costume, avec plus ou moins de goût et le texte de 1958 a ainsi donné effectivement à la France son mode de gouvernement (et tant pis si Prévost-Paradol n’y trouverait ni son libéralisme ni sa représentation proportionnelle) !
Hypothèse de 49-3, hypothèse de dissolution et mirage du référendum, à ce moment de refondation tout l’arsenal lourd de la Constitution est mobilisé, l’imaginaire l’est aussi avec un CNR pour “Bâtir du consensus, remettre les Françaises et les Français au cœur des grandes décisions, agir sur le terrain : c’est ce que nous voulons tous pour notre pays”1.
Des excès d’extravagance puis de normalité et de verticalité ont fait prendre conscience, avec le secours de quelques mouvements débordant les Institutions et corps intermédiaires, que, oui, il fallait remettre les Françaises et les Français au cœur des grandes décisions.
Le paysage est cependant grandement brouillé parce que l’objectif de refondation est miné par l’urgence mise à réformer. Il faut aller vite, agir par réformes sectorielles sans même voir, ou dire, les conséquences de telle réforme sur l’entier système. Réformer sans dire le projet de société pour ne parler que de questions comptables (tout en alimentant la dette publique). Il faut toujours plus d’Etat, toujours plus d’administration et toujours affirmer la prévalence du politique… jusqu’à ce que le Marché politique supplante la régulation démocratique ?
Mobiliser toute la mystique de la Vème République ressemble à un affolement. Si le 49-3 est constitutionnel il n’est pas, il n’est plus, opportun. Envisager un référendum est démocratique, tellement démocratique qu’il faut s’attendre à ce que l’on ne réponde pas à la question posée mais à celui qui la pose. Il reste la dissolution de l’Assemblée, décision courageuse… qui traduirait l’incapacité de l’exécutif à inventer puis danser un nouveau quadrille bipolairepour2 trouver les accords nécessaires même -et surtout !- s’il faut pour cela laisser un peu de son idéologie en étant au-dessus des partis-pris ! Rester campé sur les promesses, toute d’idéologie, qui nourrissent les programmes de campagne, c’est oublier qu’une fois élu il n’y a pas de mandat impératif mais un mandat représentatif. Le mandat impératif c’est la représentation de ses seuls électeurs, le mandat représentatif oblige, lui, à représenter la nation, il met l’élu, effectivement au-dessus des partis, l’oblige à écouter pour non pas se dédire mais amender ses engagements électoraux qui ne peuvent pas être des règles de gouvernement. La stratégie pour l’élection doit laisser place à la tactique de gouvernement et les armes lourdes de la Constitution ne sont pas des armes tactiques.
A ce moment de précipitation sinon d’affolement, il faut avoir présent à l’esprit que les chefs de l’État ne sont plus, depuis longtemps, des monarques républicains 3 comme le fut le fondateur de cette Vème République. Ils ne disposent plus de cette double légitimité qui faisait d’un Chef de l’État un monarque républicain : la légitimité de l’homme providentiel et celle du suffrage universel. Ils n’ont plus que la seule légitimité du suffrage universel, ils n’ont pas celle qui était attachée à l’homme providentiel qui, fort de son histoire, donnait à voir aussi un avenir. Agiter aujourd’hui tous les leviers de l’ultra-présidentialisation de l’action gouvernementale, c’est prendre le risque de rouler sans ceinture de sécurité, sans airbag ni antipatinage dans le brouillard sur une route mal balisée. Est-ce la bonne météo pour tenter l’aventure et brusquer la Constitution, alors que les Institutions sont fragilisées autant par l’affaiblissement de la citoyenneté que par des partis chacun ancrés dans ses certitudes ? Est-ce le bon moment quand à l’Assemblé nationale s’opposent une majorité relative et des oppositions qui donnent tout son sens à l’appellation, oubliée, de Chambre basse ?
Alors, si c’est une tentation gaullienne qui inspire la manœuvre, il faut aussi penser à pendre un billet pour Baden-Baden !
Michel Monier
Membre du Think tank CRAPS (Cercle de recherche et d’analyse de la protection sociale)