Le 24 février 2022, la Russie a lancé une offensive militaire contre l’Ukraine. Pour la Revue Politique et Parlementaire, Thomas Flichy de La Neuville fait régulièrement un point de conjoncture sur la situation.
En Ukraine, les combats se concentrent actuellement à Kherson, espace stratégique pour les deux adversaires en présence. Fortifiée dès 1736 par la Russie, puis dotée d’un fort en 1778, Kherson est la clef de voute du contrôle du Dniepr face aux Ottomans. Sa population est historiquement très mêlée : en 1897, l’on y comptait 50 % de grands Russes, 30 % de Juifs et 20 % d’Ukrainiens. La ville fut occupée quelques mois par les Français en 1919 afin d’appuyer les armées blanches face aux Bolcheviks.
Aujourd’hui, si Kherson venait à être reprise par l’Ukraine, plus aucune force russe ne pourrait demeurer sur la partie Ouest du Dniepr.
Son contrôle est par conséquent un enjeu majeur pour les deux parties : les Ukrainiens ont bombardé le pont Antonovsky à de multiples reprises jusqu’à le rendre impraticable pour les véhicules. Ce dernier était le seul moyen de franchissement du Dniepr dans un rayon de 50 km et permettait aux forces russes situées à l’ouest du fleuve d’acheminer des troupes et du matériel militaire sur le front au sud du pays. Il offrait également une solution de repli en cas d’attaque ukrainienne sur Kherson.
Aujourd’hui, un pont temporaire a été établi près du barrage de la centrale électrique de Novaya Kakhovka, le seul permettant de relier les deux rives du Dniepr dans la région de Kherson. Le barrage ayant été endommagé par des frappes ukrainiennes, les Russes ont réussi à construire un pont temporaire à la mi-septembre, offrant ainsi une alternative pour la logistique militaire russe. Le territoire de Kherson est composé de steppes avec très peu de relief sur lesquelles il est facile de faire avancer la cavalerie. Cependant à l’automne le terrain peut devenir très boueux et impraticable pour l’artillerie lourde, qui se voit obligée de passer par les routes bitumées. Kherson contrôle un oblast stratégique sur le plan agricole : 2 millions d’hectares de terres très productives. C’est enfin une porte d’entrée vers la Crimée, située à 273 kilomètres de la ville.
Depuis le 29 septembre 2022, l’armée ukrainienne se concentre sur la reprise de Kherson. En face d’eux, l’artillerie russe cible l’infanterie, ce à quoi l’Ukraine riposte en détruisant des positions de tir russes.
La 49earmée – qui a pour mission de tenir Kherson – dispose de ses deux brigades d’artillerie. On est en présence d’un réseau de défense de 14 unités de manœuvre de 800 à 1 500 hommes qui tiennent un front de 150 km, soit une dizaine de kilomètres pour un millier d’hommes. Si la Russie se retirait de Kherson au moment où les moyens de renseignement américain fournissent une avance décisive aux unités ukrainiennes, l’effet psychologique serait lourd sur l’armée russe. Dans la prise de force entre la Russie et les Etats-Unis en Ukraine, l’armée russe – qui a usé l’essentiel de ses forces spéciales lors de l’offensive de Kiev se démodernise, alors que l’armée ukrainienne bénéficie d’un flux quasiment intarissable de modernisation technologique.
Face à des soldats de moins en moins bien formés, l’écart technologique est en train de faire la différence. Kherson fait finalement figure de Stalingrad dans cette guerre. L’on ne saurait oublier que cette bataille décisive mit fin au mythe de l’invincibilité allemande et ouvrit le cycle de la retraite-défaite du Reich. Outre ses effets psychologiques, la chute de Kherson permettrait à l’armée ukrainienne d’ouvrir la route de la Crimée. Les conséquences sur le plan intérieur russe seraient alors incalculables.
Thomas Flichy de La Neuville
Directeur du Master Geopolitics & Business de Rennes School of Business
Cet article synthétise les travaux du master de géopolitique de Rennes School of Business.