Jacky Isabello, fondateur de l’agence Coriolink analyse la communication du gouvernement ces dernières semaines.
L’opinion publique française se demande dans quel état d’esprit erre le gouvernement alors que le chuchotement de l’éventualité d’un troisième confinement se fait désormais aboiement. Evité de peu, une fois de plus, après que le Premier ministre Jean Castex a donné un tour supplémentaire à l’énorme vis des impératifs catégoriques sanitaires qui plombent le moral et l’économie sans tout à fait porter le coup fatal aux satanés jumeaux, virus et variants.
Contrairement aux commentaires distillés ici ou là, la communication du gouvernement ne tâtonne pas. Certes, elle l’a fait par le passé, plusieurs fois, n’y revenons pas. Or depuis plusieurs semaines, reconnaissons-lui cette vertu, l’exécutif déroule habilement un plan de communication. Quel est-il ?
Première étape : two steps flow of communication
Le Tout-Paris, chaque journaliste croisant élus et politiques reconnaitra ce point, dispose de l’information orale suivante depuis près de trois semaines : « les fêtes ont relancé la propagation du virus. Les variants sont difficiles à contrôler. Reconfinement probable du pays au moment des vacances de février avec un allongement de la période des congés scolaires ».
Appréhendant que la France souffrait d’un impérieux besoin d’accolades durant les congés de fin d’année, craignant un soulèvement généralisé, le gouvernement anticipa le rebond épidémique du mois de janvier. Concédant cette bataille perdue sur le virus, il s’agissait sans jérémiade, à l’endroit des 66 millions de procureurs qui maugréent comme Jourdain s’exerce à la prose, de préparer froidement la réponse aux rebonds désormais admis de la pandémie. L’un des plus terrifiants rebonds décrits sous la forme d’une invasion d’ennemis venus de l’étranger. Porteurs du même patronyme Variant, ils différent par leur gentilé en guise de prénom : anglais, sud-africain, brésilien…
Il s’agit d’une technique de communication, « two steps flow of communication ». Datant des années 1940 nous la décrirons ainsi. Pour toucher un large public final, infectons d’abord les leaders d’opinion. En l’état, certains journalistes et médias et les commentateurs. Ils ont été destinataires sous la forme de la confidence, dès le début du mois de janvier, des détails d’un plan méthodiquement annoncé depuis quelques jours par des voix écoutées du chef de l’Etat : Premier ministre, ministre de la Santé, président du Conseil scientifique, porte-parole du gouvernement. Les leaders d’opinion œuvraient au préalable à la préparation de l’opinion publique. Chaque lecteur, auditeur, téléspectateur d’une presse digne de ce nom peut dès lors en témoigner.
Deuxième étape : révélations progressives d’informations réfléchies
Pour s’éviter les images télévisées d’une France sautant tel le cabri sur sa chaise en hurlant ou en refusant tout simplement l’annonce d’un confinement mis en œuvre par surprise et sans préparation, nos dirigeants se souvinrent d’une simple recette de cuisine. Une grenouille doit se faire cuire en démarrant à feu doux et non être jetée dans un bain bouillonnant. A cet égard, des informations sur ce confinement furent distillées avec pointillisme sur plusieurs semaines dans les médias par des officiels du gouvernement. Faisant doucement monter la température autour de l’idée qu’un reconfinement constituerait l’ultime choix des dirigeants puisque la pire solution pour tous les Français.
Troisième étape : créer artificiellement la divergence des opinions chez les Français
Est-ce suffisant ? Comme aiment à le rappeler les philosophes, un champ de rationalité devait être produit par dialogisme, en français vulgarisé, susciter le dialogue entre deux France. Celle alléguant que le gouvernement était entré en religion, dans le champ que la théologie désigne par le terme de casuistique, c’est-à-dire l’étude des cas de conscience difficile à trancher. Et, une autre France, reprochant à nos dirigeants de souffrir de scotomisation, qui qualifie en psychopathologie les cas de déni de réalité. Ce dialogue, arguments contre arguments, est dorénavant installé.
Quel est le résultat de cette stratégie de communication ? Chacun de nous le constate, la recette suivie consciencieusement, et connue depuis plusieurs semaines, conduit au scénario initial : l’impératif d’un nouveau confinement serait accepté puisque tout aurait été tenté. Preuve en est que l’exception annoncée cette semaine, sous la forme d’un renforcement des règles (fermeture des frontières et des grands centres commerciaux notamment) confirme la règle en tant que perspective du 3e confinement. Etonnamment mais révélateur de la manière dont on peut manipuler les foules, chacun admit d’un grand « ouf » de soulagement les annonces du Premier ministre. Les nouvelles restrictions laissent encore quelques miettes de liberté. Les esprits français acceptent cette sentence, plus favorable que le néant du confinement.
La communication de crise politique a suivi son chemin processionnaire avec une orthopraxie quasi-religieuse. C’est dans ce cas qu’elle est la plus efficace, lorsqu’elle brille par sa discrétion. De casuistique il n’en est point, de scotomisation pas davantage.
La France, Froggies, puisque c’est ainsi que nous appellent nos amis anglais écœurés par notre goût pour ce petit batracien, présente une parfaite cuisson de son seuil d’acceptation à l’annonce imminente, ou pas, de plusieurs semaines d’isolement, afin d’œuvrer au service national de lutte contre les perfides jumeaux, virus et variants.
Jacky Isabello
Fondateur de l’agence de communication CORIOLINK