Défenseur des forêts primaires, Francis Hallé a reçu, le jeudi 26 janvier, le prix du Grand Orient de France (GODF) dans le cadre des chantiers de la République. Botaniste et biologiste, il s’engage, avec conviction, en faveur du retour de ces forêts qui ne sont ni exploitées ni défrichées par l’humain. Pour la Revue Politique et Parlementaire, Francis Hallé répond aux questions de Mathilde Aubinaud.
Revue Politique et Parlementaire – Georges Serignac et les membres du conseil de l’Ordre vous ont remis le prix du GODF. Que récompense-t-il ?
Francis Hallé – Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une récompense puisque le GODF me connaît à peine ; à mon sens ce prix matérialise plutôt la décision de Georges Serignac d’inclure dorénavant l’écologie parmi les sujets de l’actualité contemporaine que l’Ordre souhaite faire progresser. Il a déclaré que l’Ordre devrait faire en sorte que le public adopte une position positive et courageuse vis-à-vis du dérèglement climatique et de l’effondrement de la diversité biologique.
RPP – En quoi le projet de forêt primaire s’apparente-t-il à une forme d’utopie ?
Francis Hallé – Ce projet a pour caractère majeur d’impliquer le temps long. D’ici que la forêt primaire soit devenue réalité, bien des évènements peuvent se faire jour, des feux de forêt, l’arrivée massive de parasites, de pathogènes ou de plantes invasives. Nous pourrons avoir à faire à des actes de malveillance ou de sabotage, ou à des mutations politiques au niveau européen, mais l’utopie ne justifie nullement l’inaction et il faut plutôt y voir une stimulation.
RPP – De quelle manière les forêts primaires participent-elles de la transition écologique ?
Francis Hallé – Les menaces écologiques actuelles se résument en 5 points : élévation des températures, diminution de l’humidité atmosphérique et de la pluviométrie annuelle, baisse des réserves phréatiques, perte de la fertilité des sols cultivés et diminution de la biodiversité sous les effets combinés de pratiques agronomiques inappropriées et de la chasse.
Une forêt primaire est une réponse adaptée : elle diminue les températures, augmente la pluviométrie et l’humidité de l’air ; les pivots verticaux des arbres alimentent les nappes phréatiques en eau pure, la présence des arbres garantit la fertilité des sols à condition que l’on laisse leurs bois tombés se décomposer à terre.
Enfin la forêt primaire nourrit, protège et fait renaître toute la biodiversité dont la région est capable d’assurer la subsistance.
RPP – Faire renaitre des forêts primaires, en quoi est-ce un signe important pour nos sociétés ? Aujourd’hui et demain ?
Francis Hallé – Renouer avec le temps long, faire preuve de suite dans les idées au niveau transgénérationnel, cesser de voir la forêt comme une simple ressource économique, apprendre à respecter sa flore et sa faune, démontrer que nous sommes capables de vivre à côté d’une nature intacte, ce sont pour moi des signes qui traduisent la solidité d’une société, même si je crains que certains d’entre nous ne manifestent leur désaccord.
Sur le long terme, le projet permettra de laisser aux générations futures un patrimoine de qualité optimale : la forêt d’Europe telle qu’elle était avant l’arrivée de l’être humain.
RPP – Comment le retour aux forêts primaires permet-il de retisser un lien entre la nature et l’homme ?
Francis Hallé – Ce lien existe, et il est très solide, entre la nature et ceux qui l’observent, l’admirent et la respectent sans aucune arrière-pensée d’exploitation ni de commerce. La question ne concerne donc que ceux, et ils sont nombreux parmi les urbains, qui ignorent tout de la nature.
La beauté d’une forêt primaire, comme l’on peut encore l’admirer à Bialowieza (Pologne), dépasse largement celle des forêts secondaires de l’Europe de l’Ouest actuelle. La pandémie de Coronavirus a eu ce résultat bénéfique d’attirer le public vers la forêt. Comme à Bialowieza, on peut s’attendre à ce que des millions de visiteurs viennent admirer chaque année la forêt elle-même et particulièrement sa grande faune.
RPP – En quoi pourraient-elles être un levier face aux pandémies ?
Francis Hallé – C’est un sujet passionnant mais que je connais trop mal pour en parler. La fabrique des pandémies, de Marie-Monique Robin, est un ouvrage essentiel sur cette question qui s’avère décisive pour l’avenir des forêts sur notre planète.
RPP – Pourquoi est-il important de penser ce projet à l’échelle de l’Europe ?
Francis Hallé – La forêt primaire de Bialowieza est actuellement en grand danger d’être exploitée et détruite. Ce qui devrait être un patrimoine de l’humanité dépend d’un pays unique, la Pologne, et se trouve donc à la merci de changements politiques locaux. Notre projet a, dès le début, été fortement soutenu par l’Europe et c’est un cadre plus large et plus solide que ne pourrait l’être une nation unique.
Francis Hallé
Propos recueillis par Mathilde Aubinaud
Francis Hallé a notamment publié Pour une forêt primaire en Europe de l’Ouest Actes Sud, 2021.