« L’État doit rester le garant de la cohésion nationale et de l’ordre public social mais il n’a rien à redouter de laisser une plus grande place aux partenaires dans la définition et l’élaboration des normes sociales. » Un peu moins d’un an avant son accession à la présidence de la République, François Hollande affiche dans une tribune publiée par Le Monde, ce qui sera sa méthode pour mener les réformes : la confiance en la démocratie sociale.
Un début de quinquennat riche en matière de dialogue social
Dès le mois de mai 2012, l’équipe gouvernementale dirigée par Jean-Marc Ayrault s’attelle à la préparation de la première conférence sociale programmée pour juillet. Une ouverture présidée par le président de la République, des tables rondes thématiques orchestrées par les ministres concernés puis, enfin, une clôture par le Premier ministre chargé de lister les thèmes de discussions et de négociations qui se retrouvent inscrits noir sur blanc dans une feuille de route sociale pour l’année à venir. Plus longue, plus participative et ouverte et plus globale que les sommets sociaux mis en œuvre à l’Élysée par son prédécesseur, Nicolas Sarkozy, ce modèle de conférence sociale est censé permettre de « définir un pacte de confiance et d’efficacité entre État, salariés, entreprises, partenaires sociaux, qui remette la France au centre du jeu économique mondial », résume ainsi François Hollande.
Dans les premiers temps du quinquennat, le gouvernement pose donc les bases d’une meilleure articulation des pouvoirs entre la démocratie politique et la démocratie sociale, une démarche plutôt bien accueillie par les partenaires sociaux, voyant là une forme de reconnaissance de leur responsabilité et une forme d’autonomie. S’ouvre à l’époque une période faste et productive pour la négociation nationale interprofessionnelle. Au-delà des discussions sur le contrat de génération qui aboutirent en octobre 2012 à un accord unanime mais a minima – signe des doutes des partenaires sociaux sur ce dispositif liant jeunes et seniors et constituant un des éléments centraux du programme de François Hollande –, les partenaires sociaux s’engagent dans une négociation globale sur de multiples aspects du marché du travail. Et cinq ans, jour pour jour, après la conclusion de l’accord national interprofessionnel sur la modernisation du marché du travail, les partenaires sociaux aboutissent à l’accord sur la sécurisation de l’emploi qui sera signé par la CFDT, la CFE-CGC et la CFTC. Près de trente ans après l’échec de la négociation de 1984 sur la flexibilité, les partenaires sociaux semblent à même de conclure des accords ambitieux.
Une généralisation de la couverture complémentaire des salariés, des droits rechargeables à l’assurance chômage, un encadrement du temps partiel du côté syndical, des accords de maintien dans l’emploi s’imposant aux contrats de travail et permettant des efforts salariaux en cas de difficultés économiques, une réduction des délais de contestation aux prud’hommes ou la facilitation par accord des procédures de licenciements collectifs du côté patronal. Les très nombreuses dispositions de cet accord multidimensionnel paraissent disparates, mais c’est justement grâce à ce large éventail de mesures que les partenaires sociaux ont pu aboutir à un compromis. Et après la transcription du texte en projet de loi, le texte passe sans problème le cap de l’examen parlementaire. Le premier semestre 2013 est le théâtre d’une efficace articulation entre démocratie sociale et démocratie politique que le rapporteur du texte à l’Assemblée, Jean-Marc Germain, qualifiera de « valse à trois temps : le premier est celui du gouvernement, qui a fixé les objectifs avec la feuille de route de septembre 2012 ; le second est celui des partenaires sociaux qui négocient sur ce fondement […] en aboutissant à un accord signé par les organisations patronales et trois syndicats de salariés ; le troisième est celui du Parlement ».
Des mesures et réformes qui divisent
L’année va se poursuivre avec la conclusion de trois autres accords : un sur la qualité de vie au travail et l’égalité professionnelle, un sur les retraites complémentaires et enfin un sur la formation professionnelle. Avec quatre accords conclus, 2013 est donc une année particulièrement riche en matière de dialogue social national interprofessionnel, mais la suite du quinquennat montrera des limites à l’exercice. Tout débute par une rupture de ligne politique et de méthode : sans en avertir au préalable les acteurs sociaux, François Hollande annonce lors de ses vœux aux Français, le 31 décembre 2013, un « pacte de responsabilité » fondé sur « un principe simple : moins de charges sur le travail, moins de contraintes sur leurs activités et, en contrepartie, plus d’embauches et plus de dialogue social ».
Face au chômage qui ne cesse de croître, le chef de l’État assume désormais ouvertement une ligne sociale-démocrate et acte des réductions d’impôts et de cotisations sociales à hauteur d’une quarantaine de milliards d’euros en direction des entreprises.
Reste la question des contreparties. D’un côté, les organisations patronales refusent de s’engager sur des objectifs et, de l’autre, les organisations syndicales se divisent sur l’opportunité d’une telle politique, la CFDT, la CFE-CGC et la CFTC soutenant la logique de rétablissement des marges des entreprises et la CGT et FO ne voyant là qu’un cadeau fait aux entreprises. Quoi qu’il en soit, les partenaires sociaux se mettent autour de la table de négociation et s’accordent début mars sur un « relevé de conclusions » signé par les trois organisations patronales, la CFDT et la CFTC. Initialement, le texte était parti pour être majoritaire du côté syndical, mais après s’être prononcée en faveur, la CFE-CGC a décidé de retirer son soutien, pour faire part de sa vive opposition à l’accord sur l’assurance chômage négocié en parallèle… Ce « relevé de conclusions » minoritaire renvoie globalement le dossier aux branches professionnelles et comme sur les dispositions afférentes au temps partiel figurant dans l’accord de sécurisation de l’emploi, on a pu observer la grande faiblesse de ce niveau de négociation. Un an après, seules onze des cinquante plus importantes branches professionnelles ont conclu des discussions sur les contreparties aux aides financières massives mises en œuvre par les pouvoirs publics…
On entre alors dans une période de raidissement des relations sociales qui se traduisent par une série d’échecs paritaires. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer cette situation : un patronat qui se durcit, une division syndicale de plus en plus marquée et des pouvoirs publics de moins en moins patients vis-à-vis des partenaires sociaux. Après huit années de présidence Parisot, le Medef élit, mi-2013, Pierre Gattaz à sa tête. Si Laurence Parisot plaçait très haut la place du dialogue social au point de faire régulièrement le décompte des accords conclus en début d’année, son successeur à la tête de la principale organisation patronale se montre nettement plus dubitatif quant à cette méthode et ses résultats régulièrement jugés complexes et inefficients. Côté syndical, l’apparente proximité entre la CFDT et le pouvoir en place agace, voire exaspère. Si on ajoute à cela, l’absence de confiance vis-à-vis de la CFE-CGC après sa rétractation sur le « pacte », la succession chaotique de Bernard Thibault à la tête de la CGT avec Thierry Lepaon puis Philippe Martinez et la profonde opposition de la CGT et de FO à la politique de l’offre mise en œuvre avec le pacte de responsabilité, les divisions syndicales vont croissantes, les uns et les autres ayant de plus en plus de mal à travailler ensemble et à afficher une forme d’unité face au patronat. Enfin, le remplacement de Jean-Marc Ayrault par Manuel Valls à Matignon en avril 2014 marque aussi le début d’un nouveau type de relations entre l’exécutif et les partenaires sociaux. Un exemple parmi d’autres : une poignée de jours avant la tenue de la conférence sociale de juillet 2014, Manuel Valls annonce dans la presse un assouplissement de la mise en œuvre du compte pénibilité créé par la réforme des retraites de 2013. Si le patronat affiche sa satisfaction, les organisations syndicales s’insurgent tant sur le fond de la décision que sur la forme…
À l’issue d’une conférence sociale de 2014 qui convainc de moins en moins – CGT, FO et FSU décidant de claquer la porte –, les partenaires sociaux rouvrent alors un vieux dossier : celui des modalités du dialogue social et des institutions représentatives du personnel en entreprise. Lancées un an après la position commune sur la représentativité syndicale, les discussions sur cette modernisation du dialogue social en entreprise patinent jusqu’à mi-2012, les séances étant alors régulièrement repoussées. Sans réellement mener à bien la réflexion engagée jusqu’alors, les partenaires sociaux reprennent dès leur accord de janvier 2013, la base de données unique servant de base aux informations-consultations en entreprise. Reste à revoir les modalités des informations-consultations et c’est l’objet de la négociation qui s’ouvre à l’automne 2014. Une délégation patronale qui se divise fortement, des désaccords syndicaux profonds sur les logiques de rationnalisation des instances représentatives du personnel et de regroupement des informations-consultations, un affrontement syndicats-patronat sur la création d’instances de représentation du personnel des TPE ou encore un intense lobbying de la part des acteurs de la santé au travail… « On est sur le cœur de métier des syndicats, c’est donc compliqué et sensible », résumera ainsi le négociateur patronal, Alexandre Saubot. Nombreuses sont les explications évoquées, mais le fait est que les partenaires sociaux échouent en janvier 2015. Assez logiquement, l’exécutif reprend la main et fin février, Manuel Valls convoque, à Matignon, l’ensemble des partenaires sociaux. En premier lieu, il leur explique que malgré l’échec de la négociation, il y aura bien une loi sur la modernisation du dialogue social ; cela sera la loi Rebsamen très inspirée des positions de la CFDT, ce qui aura le don d’agacer tant du côté syndical, que du côté patronal. Ensuite, le chef du gouvernement annonce, sans concertation préalable, de nouveaux dossiers, avec notamment le Compte personnel d’activité et une réflexion sur le « rôle du dialogue social et la place de la négociation collective dans notre système de relations professionnelles ».
Débute alors la rocambolesque histoire de ce qui deviendra la loi travail dite loi El Khomri. De nombreux experts sont alors convoqués et lors de la quatrième et ultime conférence sociale du quinquennat, en octobre 2015, François Hollande lance officiellement le chantier, sans pour autant en saisir formellement les partenaires sociaux ; ce que reprochera Force ouvrière par la suite, en considérant que les termes de la loi Larcher n’ont pas été respectés. Mi-février 2016, le gouvernement transmet un avant projet de loi qui satisfait le patronat et mécontente vivement l’ensemble des organisations syndicales qui, fait rare ces dernières années, se réunissent en intersyndicale pour peser à l’unisson sur le contenu du texte. Une démarche qui portera ses fruits puisque les pouvoirs publics sont amenés à rouvrir les discussions et à retirer un certain nombre de dispositions, un temps envisagées pour une seconde loi Macron. Outre le retournement du positionnement patronal, ces retraits ont pour effet de diviser l’intersyndicale avec un camp dit « réformiste » constitué de la CFDT, la CFTC, l’Unsa et la CFE-CGC plutôt satisfaites et un camp plus « contestataire » composé principalement de la CGT et de FO qui multiplieront les manifestations contre le texte porté par Myriam El Khomri ; il est à noter qu’une nouvelle fois, la CFE-CGC modifiera sa position en passant dans le camp de l’opposition à partir de juin. Et ces divergences d’appréciation au sein du camp syndical se répercutent dans la majorité qui plus que jamais illustre les « deux gauches irréconciliables », théorisées par le passé par Manuel Valls. Au final, il faudra trois 49.3 pour faire adopter cette loi.
Ce qui a coincé dans cette imposante loi de presque 250 articles, ce n’est évidemment pas la mise en place du Compte personnel d’activité, le renforcement des moyens syndicaux ou dans une moindre mesure les assouplissements en matière de licenciements économiques, mais c’est la poursuite de la décentralisation de la négociation en donnant plus de poids aux accords d’entreprise. Or le fait qu’un accord d’entreprise puisse déroger au niveau supérieur de négociation n’a rien de neuf. Dès le début des années 80, les lois Auroux prévoient de tels dispositifs et le principe de faveur invoqué tout au long de l’examen du texte est largement amoindri depuis la loi Fillon de 2004. Aussi faut-il se souvenir qu’en 2008, en signant la position commune sur la représentativité syndicale, la CGT accepte que certains accords d’entreprise sur le temps de travail soient dérogatoires, à condition d’être majoritaires.
Cette séquence apparaît comme un rendez-vous manqué dont personne ne sort indemne : ni les partenaires sociaux particulièrement divisés et incapables de s’accorder, ni les pouvoirs publics dans l’impossibilité de trouver un équilibre certes complexe et de ne pas passer en force.
Un bilan contrasté du dialogue social
Au premier regard donc, le bilan social du quinquennat de François Hollande apparaît mitigé, avec des relations entre partenaires sociaux et pouvoirs publics se crispant au fur et à mesure et, au final, deux fois moins d’accords nationaux interprofessionnels que sous le mandat de Nicolas Sarkozy. Mais ce serait sans compter la poursuite des travaux visant à renforcer la légitimité des partenaires sociaux. En premier lieu, les pouvoirs publics clarifient les règles de financement des partenaires sociaux, mettant un terme au flou artistique à l’origine de nombreuses suspicions ; si le système n’est pas encore totalement abouti, il a le mérite d’introduire de la transparence dans ce financement. Ensuite, les difficultés observées tant sur la question du temps partiel que sur les contreparties au pacte de responsabilité illustrent la faiblesse de la négociation de branche et convainquent les pouvoirs publics à s’intéresser au sujet. Ignoré des années durant, le chantier de la structuration des branches est ainsi lancé, avec pour objectif affiché de passer de plus de 700 à une centaine de branches d’ici une dizaine d’années.
De plus, après l’importante réforme de la représentativité syndicale de 2008 qui mettait fin au principe irréfragable au profit d’une mesure du poids de chacun à partir des élections professionnelles, les gouvernements Ayrault et Valls s’attellent à la question de la représentativité patronale. Une question à l’ordre du jour depuis 2008 pour laquelle les organisations patronales n’ont pas fait preuve d’une volonté à toute épreuve. Refusant toute négociation avec les organisations syndicales – contrairement à ce qui s’est passé pour la représentativité syndicale en 2008 –, le patronat accepte finalement de bouger sous la pression des pouvoirs publics. Dans un premier temps, la CGPME, le Medef et l’UPA trouvent un accord juste avant la deuxième conférence sociale de juin 2013 et actent une « mesure de l’audience de l’organisation à partir des adhésions, appréciée en fonction d’une pondération du poids des entreprises adhérentes », sans pour autant définir conjointement cette pondération. Dans la loi du 4 mars 2014 sur la formation professionnelle, il est décidé de ne prendre en compte que l’adhésion des entreprises pour la représentativité en tant que telle et à tenir compte des salariés pour le droit d’opposition créé pour la partie patronale. Un peu plus d’un an plus tard pour répondre aux récriminations du Medef, lors des débats parlementaires sur ce qui allait devenir la loi Rebsamen, le gouvernement envisage de revoir les règles pour donner plus de poids à la prise en compte des salariés ; cette fois-ci, la vive opposition de la CGPME, l’UPA, l’Udes et l’Unapl fera plier l’exécutif qui renverra le dossier à une nouvelle concertation. Après un premier compromis CGPME-Medef rejeté en bloc par les autres, les organisations patronales s’accordent sur un système d’une rare complexité, mêlant diverses prises en compte du nombre d’entreprises adhérentes et du nombre de salariés. Et c’est cette fois-ci, la loi El Khomri qui sera le véhicule législatif de cette révision. Reste qu’à l’issue de cette première mesure de la représentativité patronale qui interviendra fin mars 2017 en même temps que pour les organisations syndicales, il est plus que probable que les contentieux se multiplient devant les juridictions et menacent le fragile équilibre trouvé…
Quoi qu’il en soit, les réformes visant à renforcer la légitimité des acteurs sociaux sont en marche. Mais encore faut-il que les partenaires sociaux fassent désormais preuve de leur maturité. Non pas forcément pour reprendre la logique de constitutionnalisation du dialogue social comme en début de quinquennat, mais plus largement pour continuer à remplir leur rôle de corps intermédiaires et à faire émerger des compromis sociaux. Alors que les attaques contre le paritarisme de négociation et de gestion sont légion en cette période de campagne électorale, il en va, tant pour les organisations syndicales que pour les organisations patronales, de leur propre survie…
Jérôme Lepeytre
Journaliste à l’Agence Education Emploi Formation (AEF)