Georges Mothron – En 2014, à la suite de ma réélection comme maire d’Argenteuil, j’ai pu constater une évolution significative d’un islamisme radical qui se manifestait par un repli communautaire, une défiance vis-à-vis des principes de laïcité et du vivre ensemble. Je ressentais des tensions religieuses et des non-dits.
Ces évolutions étaient notables au sein même des agents de la collectivité : refus de certains hommes de serrer la main aux femmes, défiance vis-à-vis des chefs de services femmes de la part de certains agents, signes vestimentaires communautaires et échanges au sein des services en langue arabe.
J’ai voulu remédier à cela tout de suite. J’ai donc convoqué le personnel, expliqué que, dans une collectivité républicaine, il était hors de question de laisser faire. Mais il était nécessaire d’aller plus loin et que chacun puisse retrouver des références et des principes communs lorsque l’on parle de laïcité et du comportement des fonctionnaires dans le cadre de leur statut d’agent public.
Cette problématique dépassait le cadre de la mairie. On a connu des salles de prière clandestines qui réapparaissaient parfois. Même si ces phénomènes semblaient s’estomper, je sentais une pression sur ces sujets.
RPP – Quelles actions avez-vous mises en place contre les dérives séparatistes ?
Georges Mothron – En 2018, j’ai profité d’une suggestion du Préfet d’alors pour inscrire la ville, en collaboration avec le ministère de l’Intérieur, dans un plan d’actions inédit en matière de lutte contre la radicalisation, l’extrémisme violent et les discriminations.
J’ai tout d’abord commandé un rapport sur ce sujet à l’ancien délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme.
J’ai ensuite initié un programme interne à la ville afin de remédier à cette situation. Je voulais réinstaurer au sein des services et de leur fonctionnement les principes républicains qui s’appliquent à tous les agents de la collectivité.
Pour ce faire, j’ai engagé en septembre 2018, un universitaire spécialiste des questions de radicalisation, Monsieur Chems Akrouf, auquel j’ai confié la mission de mettre en place un plan dédié à la lutte contre la discrimination et l’extrémisme religieux.
L’ambition de ce programme était, sur la base du volontariat, de former l’ensemble des agents à l’application de la laïcité et aux problématiques de radicalisation religieuse mais aussi de discrimination afin de leur permettre de retrouver une grille de comportements et de valeurs communes dans le cadre de leur activité.
RPP – Un cycle de formation mené par Chems Akrouf a donc été lancé en janvier 2019 à destination des 2 500 agents de la collectivité ?
Georges Mothron – Ce plan d’actions inédites et transversales est effectivement piloté par M Chems Akrouf qui était depuis 2012 enseignant chercheur. Il a donc la pédagogie, le sens du contact et de la transmission. Il a longtemps travaillé au ministère de la Défense, œuvrant sur les problématiques de financement du terrorisme et du conditionnement des djihadistes, il a donc la compétence.
Il assure notamment l’une des particularités de ce plan : la formation en interne des agents volontaires.
RPP – Quels sont les thèmes abordés ?
Georges Mothron – Ce plan a une double ambition : éviter les controverses religieuses en interne et former les agents pour mieux répondre aux usagers des services publics.
Ces formations portent sur quatre thèmes : lutter contre les discriminations, comprendre l’extrémisme violent et le processus de radicalisation, appréhender la menace et les risques sur les réseaux sociaux.
Avec ces formations et l’expertise de Chems Akrouf, l’objectif est de déminer les passions et d’éviter les amalgames.
RPP – Quels sont les retours des agents formés ?
Georges Mothron – Ils sont très positifs. D’abord avec l’ampleur de la réponse : sur la base du volontariat, près de 1 850 agents, sur les 2 500 de la collectivité, se sont inscrits pour suivre ces modules de formation. Il y avait donc une vraie attente.
Ces thématiques sont sensibles, elles peuvent heurter mais il est essentiel que chacun puisse donner le même sens aux mots, aux valeurs et de rappeler le cadre de la loi qui s’applique aux agents publics.
Pour les agents peu au fait de ces questions et qui pouvaient se retrouver confrontés à des comportements qu’ils ne comprenaient pas, cela leur a apporté une grille de lecture et de réponse.
Nous avons aussi eu des demandes émanant d’autres institutions publiques pour accéder à ces formations comme l’hôpital d’Argenteuil et le service départemental d’incendie et de secours.
RPP – Comment la ville d’Argenteuil fait face à la radicalisation suite à cette formation ?
Georges Mothron – Il y a un travail mené en collaboration avec les services de l’Etat. Chems Akrouf travaille avec l’ensemble des acteurs de la prévention : Renseignement territorial, services de la Préfecture et les représentants des cultes de la ville.
RPP – Que se passe-t-il en cas de signalement ?
Georges Mothron – La mission de ces formations n’est pas de faire de la détection et du renseignement. Ce n’est pas le rôle d’une collectivité mais celui de l’Etat et des services de renseignements.
Cependant, en cas de comportement inquiétant nécessitant un suivi particulier, sous le pilotage de Chems Akrouf, la ville actionne ses services dédiés (Petite enfance, Jeunesse et sports, psychologues des centres de santé) afin d’évaluer la situation en lien avec les services de l’Etat.
RPP – La ville d’Argenteuil a initié sur toute l’année 2019 un dispositif « Passerelle citoyenne ». Expliquez-nous les enjeux et avez-eu du succès ? Quelle continuité ?
Georges Mothron – J’ai souhaité que cette même démarche puisse se doubler d’un dispositif à destination de l’ensemble de la population.
Pour cela la ville a mis en place et développé un projet appelé « Passerelle citoyenne » pour promouvoir les valeurs de la République et du vivre ensemble autour de grands rendez-vous thématiques et d’animations visant à renforcer l’esprit citoyen des Argenteuillais.
L’année 2019 a vu défiler des conférences, débats, évènements sportifs, expositions sur de nombreux thèmes : éducation, laïcité, la république et la foi, fake news, sport… Tous ces rendez-vous ont permis de sensibiliser plus de 2 000 citoyens au cours de l’année.
Cette approche citoyenne est co-construite avec le monde éducatif, le tissu associatif, des experts et intervenants divers constituant un cadre pertinent pour la mise en œuvre d’actions visant à promouvoir les principes de citoyenneté et de laïcité. Cette année 2019 pour « Passerelle citoyenne » fut une réelle réussite.
En 2020, la crise sanitaire a totalement chamboulé l’organisation d’évènements et les priorités de la Ville ont été quelque peu redistribuées. Il n’était pas possible d’organiser des rencontres avec le public.
En 2021, les perspectives de sortie de la crise sanitaire nous amènent à relancer le projet des « Passerelles citoyennes » dans une version digitale en partenariat avec un jeune youtuber, Siceron, qui, à travers des vidéos humoristiques, mobilise un nouveau public que nous avons souhaité aller chercher sur les réseaux sociaux. L’objectif est d’utiliser les codes, les vecteurs de communication des jeunes Argenteuillais afin de les amener à appréhender les questions essentielles du vivre ensemble et des valeurs de la République.
Plusieurs thèmes seront abordés chaque mois de l’année 2021 tels que l’égalité homme-femme, la liberté d’expression, la Résistance, l’engagement citoyen ou encore la laïcité.