C’est comme si la crise des Gilets jaunes en fin de compte avait été quelque part oubliée. En relançant le débat relatif à l’instauration aux élections législatives d’une dose de proportionnelle, François Bayrou n’a pas seulement rappelé Emmanuel Macron à l’un de ses engagements de campagne, il a fait œuvre utile.
Même si le leader du MoDem entend peser politiquement sur une majorité qui au demeurant sur le plan parlementaire tient aujourd’hui grâce à l’apport de ses troupes au Palais-Bourbon, sa prise de position nécessite d’être entendue. Car force est de constater que le Parlement aujourd’hui représente de moins en moins, suscitant un fossé toujours plus large entre une grande partie de l’opinion et ses institutions.
Cette désaffiliation s’est installée depuis des décennies, mais elle a pris une forme de rejet telle que la vie démocratique qui ne se conçoit que dans l’apaisement du débat s’en trouve désormais profondément affectée. Le mouvement des Gilets jaunes en a été l’une des expressions les plus vives et parfois les plus violentes à l’automne 2018. L’incapacité structurelle du Parlement à faire sa place à la diversité des expressions politiques accentue un sentiment de dépossession citoyen dont l’un des effets est de miner en profondeur l’adhésion aux institutions démocratiques et à leur esprit. Un Parlement qui ne représente qu’une partie du spectre électoral est un Parlement qui ne remplit pas sa fonction représentative ou tout au moins qu’imparfaitement. Non que la crise de la représentation ne se réduise qu’a cette dimension, mais elle y trouve à coup sûr l’un de ses foyers d’infections. Cette anomalie démocratique fait figure même de pathologie, et elle ne peut se satisfaire des atermoiements des offres politiques qui se résolvent au confort d’un mode de scrutin qui de facto leur assure une surreprésentation artificielle.
En répondant par l’indifférence à la proposition de François Bayrou, le parti présidentiel, soutenu implicitement par les forces d’opposition que sont le Parti socialiste à gauche et les Républicains à droite occultent non seulement un problème de fond, potentiellement explosif, mais suscitent le sentiment aussi de gérer le corps électoral à l’instar d’un marché sur lequel ils entendent conserver leur fonction oligopolistique. C’est bien plus qu’une erreur, c’est une faute. Ils n’y ont rien à gagner, le pays y a tout à perdre, et la démocratie n’en sortira qu’abimée et amoindrie. La proportionnelle ne réglera pas tout certes, mais elle corrigera une injustice. Aristote nous l’a appris voici 2 500 ans. C’est le lot des institutions solides de ne pas se fermer aux évolutions indispensables que l’esprit du temps appelle. Faute de quoi, elles se corrompent…