Jacques Limouzy, ancien ministre et membre honoraire du Parlement, revient dans la Revue Politique et Parlementaire sur ce qui fait la grandeur et la beauté de la France.
Dieu est partout affirment les uns et il n’est nulle part disent les autres, quant aux agnostiques, ils se font un devoir d’état de n’adhérer à aucune de ces propositions ouvrant ainsi un boulevard d’incertitudes à la pensée réfléchie qui s’obstine à réclamer pour Dieu une localisation même imaginaire.
Non seulement les religions, mais aussi les mythologies, l’histoire, la littérature, les rêves, l’espérance des mystiques aux auspices d’une future sainteté, les chercheurs visités par le frémissement d’une hypothèse, les déçus de l’existence, les estropiés de l’amour, les irrécupérables, les inadaptés, les mauvais sujets en quête de rédemption, les colporteurs de l’impossible, les aventuriers de la foi, tous enfin, gardent une conscience confuse qu’il existe un lieu de délice et de félicité où Dieu se serait établi et où il serait prêt à accueillir ceux qui voudraient bien le rejoindre.
Comme il fallait venir à bout de cette énigme, la proposition la plus cohérente et la plus sûre fut faite par l’Allemagne !
Par l’Allemagne, temple de la musique et de la philosophie, plate-forme jadis des grandes invasions, constamment admiratrice et envieuse de sa belle voisine qu’elle paraît de merveilles insoupçonnées, sublimées par l’imaginaire romantique d’Outre-Rhin.
Il a toujours paru inévitable que les enfants de Prusse ou du Brandebourg peu favorisés par une nature brumeuse et difficile, conduits par des autorités fermes et exigeantes, vivants sous l’empire de mœurs sévères et parfois brutales, consommateurs de nourritures robustes et peu différenciées, aient pu se convaincre que si le bonheur était en France, Dieu s’y trouvait aussi.
Ainsi naquit cette affirmation péremptoire : « Glücklich wie Gott in Frankreich » (Heureux comme Dieu en France).
Ils ne se trompaient pas et il n’y eut que les Français pour ne pas les croire.
Un récent sondage nous montre que 3 % seulement des Français sont optimistes sur leur avenir alors que Indiens, Vietnamiens, Brésiliens et jusqu’aux Afghans sont majoritairement optimistes !
Or, si certains ont pu imaginer que si Dieu vivait quelque part ce ne pourrait être qu’en France, c’est parce que le monde entier souhaiterait y vivre.
Depuis le fonds des âges, la France telle qu’elle est inscrite sur la planète présente une éclatante variété de la matière géologique, une incomparable diversité des faunes et des flores tempérées et il n’y a pas de France sans les premiers balbutiements de l’art, sans l’enseignement de la Grèce, sans l’héritage de Rome, sans ce qu’elle a donné à l’histoire universelle et qu’elle en a reçu.
Si les Français naissaient sans passé, sans aïeux identifiables, sans aventures conduites, sans succès obtenus, sans échecs subis, sans turpitudes et sans gloires, ils pourraient se dire sans avenir.
Il n’y a pas de France née aujourd’hui. Son histoire est une épopée que peu de Nations peuvent égaler ; n’est-ce pas pour cela qu’elle est la plus visitée ?
Son système de santé est l’un des meilleurs du monde comme l’attestent entre autres raisons ses quinze mille centenaires qui la placent à la tête de l’Europe. Pour la presse américaine, elle arrive à la tête du monde pour la qualité de la vie.
Enfin, elle dispose d’une langue qui fut jadis celle de l’Europe et qui reste l’héritière des langues grecques et latines, gardant pour une langue vivante le prestige et l’éclat des langues anciennes.
Alors pourquoi cette morosité, ce pessimisme pour quelques-uns de désespoir ?
Certes, des difficultés s’annoncent. Qui n’en a pas ? Certes, des lucarniers indécents accumulent chaque jour sur la tête des Français des grands et petits désastres et une foule de malheurs qui démontrent avec une implacable évidence qu’il est impossible de vivre.
Que peut faire alors pour être heureux dans un peuple comme le nôtre ?
Qu’est-ce que ces peuples heureux qui paraît-il n’ont pas d’histoire, le bonheur serait-il dans l’inconscience, la veulerie ou simplement le sommeil ? Il n’y a pas de peuples endormis, ils ne sont jamais eux-mêmes qu’hors de la quiétude et l’abandon même tardifs, ce sont leurs réveils qui restent éclatants, marquent leur identité et donnent un projet renouvelé à leur destin. Ainsi doit-il en être de la France !
Il est temps de se réveiller ; ce pays n’a pas que des passifs à contempler, il est pourvu de possibilités, de richesses et de savoir, d’une nature admirable, d’une dimension culturelle incontestable et des institutions de la Ve République qui lui ont rendu voici un demi-siècle une partie de son ancienne grandeur.
Le grand historien américain William Shirer saluait en nous sinon la plus grande ou la plus forte, mais la plus belle des Nations et peut-être ajoutait-il, la plus civilisée.
Jacques Limouzy
Ancien ministre
Membre honoraire du Parlement