Le Parlement britannique entame sa plus longue interruption depuis la Seconde Guerre mondiale. Réaction de Patrick Martin-Genier, essayiste, enseignant en droit public et constitutionnel pour la Revue Politique et Parlementaire.
Voilà, c’est fait ! Dans la nuit du 9 au 10 septembre 2019, qui fera date dans l’histoire du parlementarisme britannique, le Parlement s’est dispersé dans la plus grande confusion. Vers deux heures du matin, heure britannique, une éminente membre de la Chambre des Lords a fait bruyamment irruption dans la Chambre des communes en habit d’apparat. Elle a alors informé le président John Bercow, qui venait d’annoncer sa démission effective au plus tard le 31 octobre, d’une part que la Reine avait donné son assentiment à la loi interdisant le « no deal » (l’absence d’accord de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne) et, d’autre part que l’ajournement du parlement prenait effet immédiatement.
Scènes de chaos à la Chambre des Communes
Cette parlementaire fut interrompue par les députés révoltés. Le « Speaker » John Bercow se lançait alors dans un discours d’une grande sévérité et plein d’amertume et un groupe de députés l’entourait immédiatement avec des pancartes et papiers où étaient inscrits les mots « silence » ou « silenced » (réduits au silence). John Bercow ironisa sur l’« executive fiat », expression quelque peu péjorative pour dénoncer un décret gouvernemental arbitraire ajournant le Parlement.
Mais le président de la chambre n’eut alors d’autre choix que de quitter son siège, après que les députés lui aient serré la main. En file indienne, les députés se rendirent vers la Chambre des Lords en traversant le « lobby » du parlement et John Bercow « rendit les armes » en pleine Chambre des Lords depuis les tribunes.
Ainsi va la vie parlementaire britannique, l’une des plus solides du monde, la Chambre des communes étant généralement regardée comme la mère des parlements des régimes démocratiques dans le monde.
Un moment extraordinaire dans la vie politique britannique
Le Parlement a été très secoué par un épisode de sa vie qu’il n’avait plus vécu depuis la Seconde Guerre mondiale. Alors qu’il est d’usage que le Parlement fasse « relâche » au mois de septembre pour permettre aux partis politiques de tenir leur « conference » (congrès), cette interruption n’intervient en général que le temps de la réunion politique, soit guère plus de cinq jours. L’actuelle interruption va donc durer cinq semaines, soit jusqu’au 14 octobre, date à laquelle la reine devra prononcer le discours du trône, entièrement rédigé, faut-il le rappeler, par le Premier ministre.
En réalité, malgré les dénégations de Boris Johnson, ce renvoi du parlement (le terme en anglais est « prorogation » qui signifie en fait que la législature est prolongée mais que le Parlement ne siège pas), ce renvoi autoritaire de la Chambre des communes n’a qu’un seul objectif : museler les parlementaires et leur voler le droit de s’opposer au no deal objectif qui a permis à Boris Johnson d’être élu par 90 000 militants chef du parti conservateur puis, de fait, Premier ministre du pays.
Une lutte à mort entre l’exécutif et le législatif
Conscient du danger que représentait cette menace, le Parlement a alors lutté pour sa survie. Dans un élan jamais égalé, soit en cinq jours, tant la Chambre des communes que la Chambre des Lords ont voté l’interdiction faite au gouvernement de partir sans accord le 31 octobre, objectif de Boris Johnson. La Chambre des lords a renoncé à faire voter des amendements pour permettre à cette loi de s’imposer avant que le Parlement ne soit renvoyé pour cinq semaines, période incluant le 31 octobre.
Furieux d’avoir ainsi été enfermé dans cette obligation (dont il a dit qu’il allait essayer d s’affranchir), Boris Johnson a alors tenté à deux reprises de demander à la Chambre des communes un vote pour l’organisation de nouvelles élections législatives avant le 31 octobre. Peine perdue dès lors qu’il fallait les voix des deux-tiers des députés soit 434, et que ce seuil fut loin d’être atteint dans les deux cas.
Aujourd’hui, Boris Johnson est enfermé dans un dilemme et il ne semble plus avoir le choix que de « se soumettre ou se démettre » pour reprendre l’injonction faite par Gambetta à Mac Mahon en 1877. Ce serait toutefois mal connaître l’état d’esprit de Boris Johnson, un politique rusé mais pas fiable du tout.
L’absence totale de confiance en Boris Johnson
A Westminster, personne ne lui fait plus confiance car il a passé sa vie politique à mentir et à trahir. L’homme qui se prend pour Winston Churchill (n’a-t-il pas écrit une biographie sur le grand homme ?), emploie volontiers un langage guerrier. Ses ennemis sont des « collaborateurs » de l’Union européenne qui agitent le « drapeau blanc » devant Bruxelles. Boris Johnson préfèrerait « mourir dans une tranchée » plutôt que de solliciter un report du délai de départ. Il se voit en acteur de théâtre digne du dramaturge William Shakespeare.
En réalité, il fait de plus en plus pâle figure. Il ment et il menace même de ne pas respecter la loi, provoquant la stupeur des partenaires. Il a juré qu’il ne solliciterait pas un report du délai alors que le Parlement vient de le lui interdire. Cherchant tous les subterfuges, sauf à démissionner, il est capable de trouver une porte de sortie faute d’avoir pu permettre la tenue d’élections législatives avant le 31 octobre.
Il a ainsi étudié la possibilité d’écrire un premier courrier au Conseil européen sollicitant le report du délai, mais suivi immédiatement d’un second courrier lui demandant de refuser ce délai. Mais cela serait regardé comme une trahison par le parlement britannique. Puis il a ensuite envisagé de n’écrire que le premier courrier pour appeler ensuite un chef de gouvernement ami qui opposerait son veto à cette demande d’extension, puisque l’unanimité est requise selon l’article 50 du traité sur l’Union européenne. Et puis trahir pour trahir, il serait capable de lâcher ses amis du DUP nord-irlandais pour finalement accepter le fameux « backstop » c’est-à-dire la garantie de l’absence de frontière entre les Irlande, ce qui reviendrai à déplacer la frontière dans la mer entre la province et le pays.
Beaucoup de rebondissements sont à attendre dans les semaines qui viennent qui devront fatalement se solder par la victoire ou la défaite de l’une ou l’autre des parties au Royaume-Uni, pays divisé comme jamais sur une question qui a généré un climat de guerre civile.
Patrick Martin-Genier
Essayiste spécialiste des questions européennes et internationales
Enseignant en droit public à Sciences-Po
Administrateur de l’Association Jean Monnet