Quel qu’en soit l’auteur, si tant est qu’il n’y en ait eu qu’un, l’expression « Gouverner, c’est prévoir » ne suffit pas à caractériser ce que doit être l’exercice délicat du pouvoir.
En effet, contrairement au météorologiste qui « prévoit » mais ne « décide » pas, le vrai responsable politique doit user de la prévision pour, ensuite, pouvoir agir, pour « choisir » ; c’est d’ailleurs le mot qu’a…choisi, Pierre Mendès France comme titre de ses mémoires. Grâce à sa culture, à sa connaissance approfondie des principes, des techniques et des faits, à l’intelligence de sa réflexion nourrie de l’écoute de conseillers expérimentés et compétents, à son calme dans les plus virulentes tempêtes, le leader choisit ce qu’il considère, en son âme et conscience, la meilleure – ou plus souvent, la moins mauvaise – solution parmi celles qui s’offrent à lui. Une illustration des plus parfaites en a été fournie par la décision prise finalement le 5 juin 1944, par le général Eisenhower, de lancer malgré tout le débarquement en Normandie et dont il déclara dans une note manuscrite, qu’il en assumait, seul, l’entière responsabilité.
Toutes proportions gardées, tant quant à l’enjeu qu’à la qualité des acteurs, c’est à un exercice du même type qu’a procédé le Gouvernement quand il a lancé son projet de « passe vaccinal » en vue de juguler l’épidémie en cours.
Lancer cette lourde et innovante mécanique relevait d’un pari qui imposait, pour réussir, que ses auteurs mobilisent toutes leurs forces disponibles. Las ! Dès la première étape, l’opération a buté sur l’obstacle parlementaire quand l’Assemblée nationale a refusé de prolonger ses travaux au-delà de son délai réglementaire, puis, quand du fait d’une déclaration présidentielle dans la presse interférant avec les débats, elle a de nouveau décidé de suspendre l’examen du projet de loi.
Pourtant, tout semblait bien parti comme l’a confié, certes un peu naïvement, la ministre du travail lorsqu’elle a déclaré le 4 janvier au matin : « Nos députés, ils étaient présents toute la soirée, les votes se sont passés normalement. » Autrement dit, les députés de la majorité ne sont pas ceux du Peuple français mais ceux du Gouvernement et il est « normal » qu’ils votent ce qu’on leur demande. Quelles que soient les raisons pour lesquelles l’Assemblée a pris sa première décision, attestée par une présidente de séance bien esseulée pour en assurer le décompte, le fait est que le Gouvernement s’est tiré une balle dans le pied ; alors que tout chasseur sait qu’avant de traverser des fourrés épineux, il est impératif de désarmer son fusil !
La prévision, comme le choix, ont donc été mauvais, de même que les considérations énoncées à l’encontre d’une partie des citoyens. Or, d’autres turbulences se profilent à l’horizon et il importe de s’interroger sur les conditions dans lesquelles elles vont être abordées. Il s’agit des élections présidentielle, puis législative. La leçon qui devrait être tirée des précédents scrutins organisés depuis le début de l’épidémie, nous apprend que, non seulement ils ont été marqués par plusieurs graves erreurs d’organisation, mais aussi et surtout, que la démocratie n’y a pas trouvé son compte, ni quant au nombre des candidats, à la densité et à la qualité des débats préélectoraux et, finalement, à la participation des citoyens. Le résultat, le plus souvent, est que les élus n’ont recueilli au premier tour que 10 à 15 % des votes des inscrits, ce qui les prive pour toute la durée de leur mandat, d’une légitimité que la régularité formelle de leur élection ne remplace pas.
Autrement dit, que reste-t-il de la démocratie « représentative »…lorsque ses élus ne le sont pas vraiment ?
Or, le Gouvernement a considéré que la recrudescence de la diffusion de la maladie est telle qu’elle imposait les mesures d’urgence qu’il a soumises à une Assemblée…manifestement, au moins pour un temps, insoumise (sic) ! À l’en croire sur ce point précis, on pourrait donc en conclure de bonne foi que le processus électoral officiel qui se déroulera de début mars à fin juin, risque d’être encore plus perturbé puisque l’état sanitaire du pays est présenté comme particulièrement atteint. D’ailleurs, à une époque où tant de bons esprits s’évertuent à expliquer que seuls les patrons des très grandes entreprises internationales ont conscience des réels enjeux et qu’ils excellent dans leurs choix, contrairement aux politiques, il est significatif d’examiner justement, ce qu’ils ont choisi. Or, leur forum qui devait se tenir du 17 au 21 janvier à Davos, a été « reporté » à une date ultérieure à cause des circonstances sanitaires. Et puisque l’organisation de la réunion annuelle de ce pseudo Parlement de la planète – au moins quant à la puissance économique et financière de ses membres, sinon à leur pouvoir politique direct – doit s’avérer moins complexe que celle de quatre tours de scrutin dans un pays de 68 millions d’habitants, c’est un signe fort de l’ampleur du risque.
Alors ? Est-on assuré que nos élections se dérouleront dans des conditions telles que notre démocratie déjà très affaiblie, n’en sortira pas encore plus débile, au sens littéral du terme ?
A contrario, ne serait-ce pas un acte de gouvernement fort que d’envisager, nous aussi, le report de ces opérations électorales ? Mais comment y procéder dans les conditions actuelles de la vie politique nationale, déjà tellement dégradée ?! Est-ce même possible juridiquement dans un tel délai ? Certainement pas ; il est trop tard pour arrêter la machine, bien qu’elle ne soit pas vraiment emballée, pas plus que les français, d’ailleurs. Leur peu d’intérêt pour des élections qui leur paraissent incapables de peser sur leurs conditions de vie quotidienne, suffit à en apporter la preuve. Entre ceux qui estiment qu’il ne s’agit que de formalités par lesquelles il faut bien passer pour reconduire la même majorité, et les autres qui déplorent l’absence de mobilisation susceptible de renverser cette tendance, on peine à déceler un espoir, une volonté, un avenir…le tout dans un embrouillamini de manœuvres de communication qui consistent, soit à monter en épingle des candidatures qu’on aurait considérées fantaisistes en d’autres circonstances, soit à jouer à l’apprenti sorcier en opposant les français les uns aux autres, par des « coups » médiatiques affligeants.
A défaut d’avoir su ou voulu envisager à temps, les conditions réelles dans lesquelles ces scrutins vont se dérouler, ceux qui portent la responsabilité de gouverner n’ont ni prévu, ni choisi…ce qui, en soi, est déjà un choix.
Hugues Clepkens