Enfin ! Il aura fallu six mois au Premier ministre et au Président de la République pour engager le dialogue avec Gilles Simeoni, le Président de la Collectivité de Corse, après les élections régionales.
Le résultat avait pourtant été d’une clarté et d’une transparence limpide. Des autonomistes à plus de 34% et des nationalistes « purs jus » à 23% soit cumulés 57% d’une participation électorale, la plus forte de France à 63%.
Une droite rétrécie, une gauche inexistante et le Parti du Président effacé ont marqué ces résultats électoraux. Il faut d’ailleurs souligner le particularisme électoral de l’Ile depuis 2017 : autant, à l’élection présidentielle qu’aux législatives et aux régionales, le « dégagisme » qui s’est fait sur l’ensemble du territoire national au profit du parti « En Marche », a profité, en Corse, aux courants autonomiste et nationaliste.
La Corse s’est souvent singularisée, dans l’histoire politique française, par des votes contraires aux tendances nationales du pays.
L’Etat a pris son temps ! Les menaces des radicaux nationalistes, en septembre dernier à l’égard de l’exécutif de la CDC tout comme des représentants de l’Etat, de recourir à nouveau à l’arme de la violence armée si aucune avancée ne répondait aux demandes formulées par leur camp, a probablement incité l’Elysée à ouvrir la discussion avec le plus représentatif de ses opposants. On imaginait mal le Président de la République prendre le risque de voir le « volcan » corse se réveiller pendant la campagne présidentielle
En effet, Gilles Simeoni a été fortement légitimé par les urnes, et ce d’autant plus qu’il avait osé provoquer une rupture entre les autonomistes et les nationalistes les plus radicaux tel Jean-Guy Talamoni. Pari risqué mais gagnant ! lui permettant d’avoir le contrôle de l’Exécutif et de l’Assemblée de Corse.
Le problème sensible du rapprochement des prisonniers du commando, Pierre Alessandri, Alain Ferrandi et Yvon Colonna, dans le sud ou dans l’Ile —initié par deux députés, le socialiste François Pupponi et l’ex radical de gauche-LRM, Bruno Questel, soutenu par un appel de parlementaires de tous bords politiques— a été abordé et sera solutionné dans les mois qui viennent.
Le drame présent du problème Corse demeure la mort du préfet Claude Erignac. Cet odieux assassinat, condamné par la majorité de la population insulaire, pèse comme une épée de Damoclès dans les relations entre les autorités publiques et les responsables de la CDC. Pour apaiser, il faudra sûrement dans l’avenir un geste fort entre Gilles Simeoni et la famille Erignac. La paix entre cette famille éprouvée et les camps autonomiste et nationaliste est une des conditions d’un dialogue où la raison l’emporte sur la passion, le rationnel sur l’émotion. La « Pax Corsicana » sera à ce prix !
Il n’est que temps, pour aborder l’essentiel, à savoir le statut de la CDC et sa nécessaire évolution. Deux signes positifs viennent éclairer ce débat : la visite prochaine du Premier Ministre dans l’Ile et le possible retour comme représentant de l’Etat de l’excellent Préfet Franck Robine.
Comme parlementaire et responsable national d’un parti politique, j’ai appartenu, dans les années 1990-2000, au « camp dit républicain » qui s’opposait aux « nationalistes », aux partisans de l’indépendance. Je menais ce combat pour deux raisons : parce qu’en l’état, la Corse, du fait de sa démographie et de son PIB ne pouvait réellement être indépendante, et que celle-ci la placerait sous dépendance au mieux d’autres nations, au pire d’intérêts mafieux ; que la place d’une Corse indépendante demeurait dans la France et l’Union européenne.
Nous y sommes ! Le rapport Mastor, commandé par la CDC, voté et présenté en octobre 2021, trace, à travers 15 propositions, un chemin sur le futur de l’Ile. Cette dernière est déjà une collectivité unique et l’expérimentation de la fusion entre les deux départements et la région a été une réussite, ce dont beaucoup, au sommet de l’Etat, doutaient.
Comment passer « d’une autonomie dans la dépendance » à une autonomie réelle ? Tel sera le cœur de la négociation à venir entre les deux protagonistes, l’un, le Président de la CDC, qui rêve d’une Corse faisant ses propres lois, en place pour les cinq années à venir, l’autre, le chef de l’Etat, dont le nom nous sera connu en avril prochain.
Néanmoins, l’on peut déjà cerner les thèmes qui définiront le futur cadre juridique, financier et économique de la Collectivité de Corse autonome. Le rapport de la constitutionaliste Wanda Mastor n’a eu -et c’est regrettable- qu’un « écho national à bas bruits » mais il va permettre aux corses de débattre, ainsi qu’à l’opinion publique nationale de s’informer, et aux candidats à l’élection présidentielle (le choix du moment a été habile) de prendre position si tant est qu’ils en prennent le risque.
Ce rapport, qui insiste sur la nécessaire « respiration démocratique » qui doit irriguer les exécutifs et assemblées des collectivités, pose surtout les choix à faire pour inscrire la Corse dans la Constitution, avec trois scénarios autonomistes, du plus basique au plus extrême.
A minima, un pouvoir d’adaptation pour la CDC des normes nationales dans l’article 72-5 ; scénario médian, l’autonomie législative dans l’article 74-2 ; a maxima, autonomie législative avec perspective d’un référendum d’autodétermination au nouveau Titre XIII bis. D’évidence, probablement, l’Etat choisira le scénario a minima et les nationalistes radicaux, celui a maxima.
La « boîte à outils » étant posée, le débat va se poursuivre avec des personnalités de la société civile, les associations, les différentes religions, la diaspora insulaire, si puissante et si mal utilisée depuis des décennies. Puis viendra le temps du choix, celui qui permettra à la République et à la Corse de n’être plus l’un contre l’autre, mais d’être côte à côte. Pour bâtir, ensemble, un véritable avenir à la Corse et à sa jeunesse ; un avenir prospère en Méditerranée et en Europe.
Michel Scarbonchi
Ancien Député Européen