On aurait tort de ne voir dans la manifestation du 19 janvier que le baroud d’honneur de syndicats prédominants dans le secteur public, en opposition avec un secteur privé et une France au travail – artisans, commerçants, activités de service en particulier – pénalisés par un abus récurrent d’exercice du droit de grève (la prise en otages ou le fameux blocage chers aux commentateurs de certains médias qui oublient le rapport de forces inhérent dans tout conflit social…), et de protestataires inconscients du recul de l’âge de la retraite dans les autres pays membres de l’Union européenne.
De même, circonscrire le champ de la contestation uniquement aux partis d’opposition affirmée de la NUPES et du RN risque de s’avérer une interprétation réductrice dans la perspective des jours à venir et du calendrier retenu par l’exécutif pour imposer sa réforme…
Les enterrements prématurés de l’adversaire en politique sont souvent la marque de l’inexpérience, particulièrement dans notre « cher et vieux pays » où il est imprudent de crier trop tôt à la fin de l’hiver même en ces temps de bouleversement climatique…
Il y a là une forme de pari hasardeux dans le contexte explosif de l’heure en France. De la détermination des acteurs de l’épreuve de force qui se dessine aujourd’hui à l’exaspération incontrôlable, le chemin peut vite devenir très étroit pour une réelle concertation et l’incompréhension réciproque des attentes et objectifs, qui ne peuvent être partagés quand une des parties a affiché en permanence des postures contradictoires sur le sujet au gré des échéances électorales, est un danger additionnel, voire un piège fatal à plus ou moins courte échéance.
Le dilemme de la réforme des retraites qu’aucun gouvernement n’a jamais réellement réussi à résoudre de manière durable en France peut déboucher sur une crise institutionnelle, voire en être le facteur majeur qui la provoque.
En l’occurrence, la marche forcée n’est pas la solution quand, au sortir d’élections focales, on ne maîtrise ni l’adhésion majoritaire à un projet politique de société ni la vision fiable sur les évolutions d’un environnement économique très perturbé par un conflit dans lequel on est de facto partie prenante et dont on subit de plus en plus les effets destructeurs. Le pays peut-il supporter une énième épreuve de force autour de la question du régime de retraites dans l’état actuel où il se débat ? C’est la question à laquelle il va falloir répondre en conscience dans les heures et jours qui viennent au vu des défilés du 19 janvier 2023, sans en minimiser ni en surestimer la portée mais en ne perdant pas de vue qu’ils recèlent indéniablement une part de colère en germe comme toutes les manifestations d’une telle amplitude dans notre pays au cours de son histoire récente ou plus lointaine.
L’hiver est souvent une saison fatale pour les souverains… Le 21 janvier 2023, cela fera 230 ans que la France aura sacrifié son dernier Roi d’Ancien Régime, un monarque cultivé, savant, lisant Milton dans le texte, passionné par les sciences et techniques nouvelles, la géographie et la marine, qui se souciait, quelques heures avant de monter à l’échafaud, du sort de Monsieur de La Pérouse, le navigateur dont il avait financé l’expédition dans le sillage de James Cook pour ouvrir d’autres horizons au « cher et vieux » royaume… Depuis janvier 1788, et l’appareillage de l’Astrolabe et de la Boussole de la baie de Botany bay en Australie, on n’avait plus aucune nouvelle de l’expédition partie de la rade de Brest le 1er août 1785 pour explorer le Pacifique. Entre temps, un monde s’était écroulé autour de réformes avortées et Louis XVI, injustement accusé de conspiration contre la liberté publique et d’attentats contre la sûreté générale de l’Etat, était condamné à mort : 721 députés votants, 361 voix en faveur de la mort…
« Louis doit mourir parce qu’il faut que la patrie vive… » Robespierre n’avait ni haine ni amour pour le Roi, il ne haïssait que ses forfaits selon ses dires.
« Je m’attendais à ce que vos larmes m’apprennent, remettez-vous, mon cher Malesherbes » furent les derniers échanges du Souverain avec son ultime défenseur.