Ibiza c’est fini ? La cultissime rime géographique chantée par Hervé Vilard -certes légèrement dépaysée par votre serviteur-, peut-elle illustrer la fin de l’épisode lancé par le média en ligne Mediapart, qui déstabilise à la fois l’action du gouvernement, M. Blanquer, l’un des rares ministres présents depuis le début du quinquennat, et l’entrée, au mitan de cette semaine, du chef de l’Etat dans la séquence de prise de fonction en tant que représentant de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne, un des marqueurs fondateurs de la macronie ?
L’intention du ministre était celle-ci lorsqu’il s’invita sur le plateau de Gilles Bouleau, présentateur du JT de 20h sur TF1. Les répercussions telluriques de l’article et des effets rebonds dans les rangs des oppositions à l’Assemblée nationale, mais aussi l’approche d’une nouvelle manifestation du corps enseignant contre la mauvaise gestion du protocole de reprise des classes en ce début d’année, exigeaient une réponse forte en termes de communication.
Que dit cette histoire de notre rapport à l’éthique dans un espace public aux nerfs mis à vif par deux ans de crise, vis-à-vis d’un serviteur de l’Etat qui a reconnu devant le présentateur vedette de TF1 que la charge symbolique de son lieu de vacances pouvait sembler provocatrice ?
Parce que le prurit de l’opinion publique conséquence de cette affaire est prégnant, il ne viendrait à l’idée de personne de contester la révolte qui a rarement vu autant de luttes converger ensemble dans ce secteur ; celles des parents d’élèves, des professeurs, des syndicats et des représentants des personnels de direction, pour s’opposer aux nouveaux protocoles sanitaires « Boulgakoviens » annoncés maladroitement sous la forme d’une interview du ministre, réservée dans un premier temps à l’espace payant d’un quotidien (Le Parisien). Il est tout autant admissible qu’une opinion publique chauffée à blanc préférerait imaginer le premier représentant de l’univers éducatif s’astreindre à des heures de travail nocturnes, attablé à son bureau parisien ou dans une commune dont la toponymie reniflerait l’austérité chargée de symboles laborieux, plutôt que ceux des décors ensoleillés ou bien des restes alcoolisés laissés par des teuffeurs agités sous la férule rythmique de David Guetta, Prince des DJ, et de la bamboche à la sauce espagnole. Même si le ministre s’est défendu sur le plateau de TF1 que son lieu de villégiature affichait fin décembre un tel profil enfiévré (pour qui connaît Ibiza, la fête n’est qu’une partie insignifiante de l’île — de surcroît, elle offre effectivement aux touristes d’autres richesses : l’un des plus vastes exemples d’architecture militaire de la Renaissance, ce qui lui vaut son inscription au patrimoine mondial de l’humanité, la plus grande nécropole punique découverte à ce jour). Or la polémique qui secoue l’autorité de M. Blanquer autorise les oppositions politiques, celles et ceux qui votent nos lois, à exiger fermement lors des questions aux gouvernement la démission du ministre ; son respect de l’éthique dû à la fonction serait en cause même si nul règlement, ni aucune loi n’ont été violés par ce serviteur acharné de l’ouverture coûte que coûte de l’école durant la pandémie.
IbizaGate : Haro sur le baudet
Maladresse, admettons ! Chasse à l’homme, bouc émissaire, baudet affaibli parce que membre d’une famille politique dont le lion est trop puissant et inatteignable par les postillons des oppositions, ces déchaînements contre M. Blanquer peuvent nous questionner.
En effet, comme nous l’apprit l’incroyable centenaire père de l’œuvre-monde La Méthode d’Edgar Morin, si comparaison n’est pas raison, risquons-nous à tout le moins à l’observation de deux situations politiquement délicates alors que la campagne présidentielle peine à démarrer. Que dire des deux combats éthiques qui se déroulaient au même moment sur des chaînes différentes ? Au moment où Blanquer en défendant sa probité répondait, en participant au 20h, aux exigences des communicants – que je suis – promptes à conseiller de présenter des excuses dès que la brise se lève. L’attitude judéo-chrétienne désormais habituelle injectée par les exigences de la communication moderne dans l’ADN des représentants politiques, présenterait les vertus d’adoucir les violences du débat. Mme Pécresse s’interrogeait sur son éthique personnelle en participant à une émission animée par une star des médias soumis à une enquête ouverte par le parquet pour des soupçons d’agression sexuelle. Le même animateur, dont l’éthique est questionnée (même si comme le rappela fort adroitement Mme Pécresse, chacun a droit à la présomption d’innocence — pas certain que M. de Rugy, blanchi de toutes les accusations que la rédaction de M. Plenel désigna d’une titraille sans retenue « l’affaire des homards » rejoigne cette assertion) ne fait l’objet d’aucune remise en question de la part d’une classe politique qui a érigé les combats à l’ère post-MeToo en étendard. D’un côté quelques jours de congés à Ibiza, de l’autre la question de laisser un présentateur emblématique des médias effectuer normalement son travail devant des millions de téléspectateurs ?
Je m’interroge quant à la logique qui anime l’affichage de l’éthique en tant qu’étendard politique.
L’affaire Blanquer ne donnera lieu à aucune poursuite judiciaire, tout le monde l’admet. Pour l’autre, le parquet décidera d’une mise en examen ou d’un classement sans suite. L’affaire Blanquer ne repose sur aucun fondement juridique, l’autre suit une procédure apprise aux futurs avocats et magistrats dans toutes les universités de droit.
L’éthique se fait l’excuse exécutoire d’une punition réputationnelle pour l’un et pour l’autre, cherche ses petits dans le labyrinthe politico-médiatique parisien. Mais une certitude à ce jour, si la démission de Blanquer est peu probable, sa réputation aura été nettement entachée. Y aurait-il autre chose à voir ?
IbizaGate : Freud verrait Macron derrière Blanquer
La politique possède, en tant qu’être vivant, une forme de topiques freudiennes. Il s’agit d’un organigramme des règles qui expliquent les comportements des éléments qui la composent. L’affaire Blanquer révèle un sentiment ancré profondément dans la psyché des partis politiques. Ces derniers s’agacent d’être embourbés dans une élection présidentielle impossible à organiser, le Président de la République cantonnant les débats de l’espace public français aux seules exigences de la crise sanitaire. L’effet est évident. Il exaspère la classe politique dans son ensemble. De ce fait, aucun débat de fond sur l’avenir de la France n’a la capacité d’émerger dans la fenêtre d’attention de nos concitoyens. Puisque la raison est en peine, l’émotion reste le seul levier des oppositions pour atteindre le chef de l’Etat. Blanquer sert de bouc émissaire, nonobstant ses erreurs signalées auparavant, à la prise d’otage du débat public opéré par un chef de l’Etat qui tarde trop à se déclarer.
Sycophante ou lanceuse d’alerte, la démarche de Mediapart a servi de faire-valoir à l’ensemble de la classe politique, le Président mis à part, pour déstabiliser la macronie. Déclarez-vous candidat à la présidence de la République, Monsieur le Président, si vous ne souhaitez pas assister au lynchage d’autres pauvres baudets de votre ménagerie gouvernementale.
Jacky Isabello
Cofondateur de l’agence de communication Coriolink