« Arrêtez de voir des violences policières partout sinon on vous arrête », pouvait-on lire en 2020 sur un encart publicitaire d’Amnesty International. Le déni de ces violences est pourtant flagrant dans la dernière déclaration du préfet de police de Paris, Laurent Nunez. Les forces de l’ordre n’interviennent, déclare-t-il, que « pour mettre fin à des violences ». Après les événements de Sainte Soline, ce même préfet ainsi que le directeur général de la Gendarmerie nationale en arrivent ainsi à justifier l’usage excessif de la force par la nécessité de répondre à l’extrême violence de certains manifestants, qualifiés au passage de « guerriers ».
Qui conteste le droit de la police à maintenir l’ordre ? Aucun républicain. Ce qui est contestable, c’est qu’il ne soit pas davantage précisé que cette action ne peut se faire que dans le cadre de la loi c’est-à-dire en proportion de la menace subie, et dans le respect le plus possible des libertés individuelles. Or, depuis les premières manifestations contre la réforme des retraites, l’on assiste à une multiplication des interpellations et des placements en garde à vue, effectués souvent à titre préventif mais sans preuve de commission de délits ou de préparation à en commettre [pratiques qui se révèlent abusives après libération de la grande majorité des gardés à vue, aucune infraction n’ayant pu leur être retenu contre eux].
D’une manière générale, la hiérarchie policière et les forces politiques, surtout de droite, n’aiment pas ce concept de « violences policières » qui signifie à leur yeux « violence systémique », violences « générales » de la police.
Il s’agit, de leur part, d’une erreur de définition, surtout quand l’expression est mise au pluriel [employée au singulier, la « violence policière » pourrait alors laisser penser davantage à une violence de l’appareil policier tout entier].
Considérons à titre d’argumentation comparative d’autres violences sociales, comme les « violences conjugales » ou les « violences scolaires » par exemple, expressions, depuis longtemps, d’usage courant et qui ne sont contestées par personne puisqu’il va de soi pour tout le monde que ces violences sont des violences qui ne touchent que certains individus, pas les institutions dans leur globalité. Personne, en effet, n’entend dire que Famille ou Ecole sont EN SOI des institutions violentes et maltraitantes, personne n’a donc jamais parlé de « violences systémiques » à propos de ces violences. Non, évidemment, personne.
Toute institution secrète des conduites répréhensibles. La police n’échappe pas aux dysfonctionnements individuels. On connait les dérives des « voltigeurs » qui avaient conduit à la mort de Malik Oussekine en 1986. On connaît les dérives de la Compagnie de sécurisation et d’intervention (CSI) de Seine-Saint-Denis (93) dont quatre agents sont aujourd’hui poursuivis au tribunal pour violences, notamment racistes, commises contre des citoyens. On connaît les conduites parfois problématiques de la BRAV-M [dont le directeur n’est autre que l’ancien directeur de la CSI93)]. On sait qu’aujourd’hui 36 enquêtes sont ouvertes par l’IGPN et 2 par la l’IGGN contre des agents suspectés d’avoir abusé de leur force. On sait enfin qu’entre 1977 et 2020, ce sont 746 citoyens qui ont péri à la suite d’une intervention excessive des forces de l’ordre.
Lorsque l’Institution-Police reconnaît (du bout des lèvres) que certains de ses membres commettent des violences interdites, c’est aussitôt pour nous rappeler que de telles violences ne relèvent que d’une minorité d’agents. Selon un sondage ELABE réalisé pour BFMTV, début avril, 62 % des Français partagent cette idée que les violences policières sont marginales et le fait de dérapages d’une minorité de policiers.
Mais un sentiment ne faisant pas une connaissance, nous n’en savons rien. Où sont les études scientifiques attestant que les violences policières ne sont le fait que d’une poignée d’individus (certains membres de la BRAV-M par exemple aujourd’hui) ? C’est peut-être le cas … ou pas ! Autrefois les sociologues enquêtaient sur la question policière – à partir d’échantillons faibles il est vrai, mais qui donnaient au moins de précieuses indications, notamment sur l’ambiance délétère existant dans certains commissariats.
Aujourd’hui, pour cerner les violences policières, nous ne pouvons nous appuyer que sur des impressions ou des expériences. Ainsi chacun de nous connaît il de « bons » policiers, et même exemplaires, mais aussi de « mauvais », arrogants, racistes, voyous quelquefois.
Il y a assurément dans certaines pratiques policières quelque chose qui ne relève plus de « la justice au nom de l’ordre républicain » mais de la « vengeance personnelle », c’est-à-dire d’une réponse archaïque face aux fauteurs de troubles publics. Ce qui pose, à l’évidence, un problème de formation… et des agents de la Police nationale et des militaires de la Gendarmerie nationale. Ayant été intervenant, entre les années 1980 et 2010, dans les écoles de formation de ces deux corps, nous avons pu constater, au fil des ans, une baisse significative du niveau (et du QI) des candidats aux fonctions de maintien de l’ordre, notamment ceux de la gendarmerie.
Le fait que le métier de membre des forces de l’ordre soit un métier difficile et à haut risque (depuis le 16 mars, 1 093 policiers, gendarmes et sapeurs-pompiers ont été blessés, dont certains gravement) ne saurait justifier des manquements graves à la loi et à la déontologie. Les membres des forces de l’ordre ne sont pas tout-à-fait des citoyens comme les autres, ils ont, qu’on le veuille ou non, un devoir permanent d’exemplarité et de maîtrise de soi.
Répétons-le, il n’y a pas d’institutions sociale « parfaite ». Le « parfait » est de l’ordre du divin pas de l’humain. Il vaudrait donc la peine, scientifiquement parlant, d’engager une vaste étude sur les mœurs policières contemporaines (opinions, actions, plaintes et griefs, motifs de satisfaction). Aucune institution en effet n’est, ou ne devrait être, à l’abri du regard savant. La démocratie, ce ne sont pas seulement des opinions exprimées, ici ou là, par les uns ou les autres, ce sont aussi des connaissances patiemment élaborées. La sociologie, il faut le rappeler, a vocation à se mêler à tout ce qui forme la trame du social. Pourtant, le sociologue n’est ni un procureur ni un avocat des faits observés, seulement un analyste qui doit être obsédé à conserver une attitude d‘impartialité et de neutralité.
Osons une suggestion avant de conclure le propos. Puisque la France dispose toujours, officiellement, de « « gardiens de la paix », pourquoi ne pas mieux développer une fonction que l’on pourrait nommer « maintien de la paix publique » – et non de « l’ordre », une notion, on le sait, très en vogue aujourd’hui.
Ordre-désordre ne sont pas de bons concepts de raisonnement. Tandis que le désordre est plus que jamais renvoyé dans le camp du « mal absolu », l’ordre est perçu comme le « bien suprême ». Mais l’on connaît des « ordres fous » (nazisme, stalinisme) et des « désordres de progrès » (si 1789 n’avait pas eu lieu, ne serions-nous pas tous aujourd’hui en monarchie ?). N’est-il finalement pas temps de revenir à l’esprit de « police-secours » ?
Raisonnons avec d’autres mots.
Michel FIZE, sociologue et politologue
Auteur de Colères (Ed. Amazon, 2023)
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