Dans cet article, Michel Monier, membre du Cercle de recherche et d’analyse de la protection sociale, souligne l’importance de constitutionnaliser la démocratie sociale pour redonner sa place à la Protection sociale dans la société.
Il faut constitutionnaliser la démocratie sociale. Il faut donner son plein sens à une Constitution qui pose que la France est une République indivisible, laïque, démocratique et… sociale. Il faut redonner aux acteurs sociaux leur place dans la démocratie.
À ce moment où la Constitution s’enrichit de sujets sociétaux et s’apprête à reconnaître une autonomie dans la République, n’est-il pas temps de penser à y inscrire, aussi, la démocratie sociale ?
Il ne s’agit pas en proposant de constitutionnaliser la démocratie sociale de sauver le paritarisme et ses acteurs : il s’agit de lui redonner sa place dans la démocratie pour que la Protection sociale redevienne une idée d’avenir et non plus un fardeau.
La dépense sociale, équivalent d’un tiers du PIB, est accusée d’être la cause de tous nos maux : notre situation d’endettement, notre désamour du travail. C’est le « pognon de dingue » dont on ne voit pas les effets : l’ascenseur social est bloqué, le système de santé va à vau-l’eau, le chômeurs sont trop « payés », les retraites plombent le tout.
La voir ainsi, c’est accepter qu’elle devienne variable d’ajustement et que s’enchaîne une série de réformes, toutes paramétriques, qui rabotent les prestations servies. Ce mouvement général transforme le système de protection sociale. Il perd son caractère assuranciel, financé par des contributions sociales constitutives de droits, pour se faire système de solidarité financé par l’impôt et les taxes. Il le transforme avec moins de « pognon de dingue » mais pas davantage d’effet.
Ce que l’on ne voit pas c’est que cette beveridgesation de la protection sociale finit d’emporter la démocratie sociale. Il y a plus grave : on ne voit pas non plus que réduire la dépense sociale n’améliore pas la performance économique. C’est là un choix de société qui se fait, pour des motifs de maîtrise de la trajectoire des finances publiques qui, annonces après annonces, réformes après réformes, n’en finissent pas de déraper.
La cause première de ce dérapage n’est pas la dépense sociale mais la faiblesse de l’Économie, l’insuffisante création de richesse.
Sommes-nous à ce point schizophrène pour croire que la transformation du système en un système de solidarité-fiscalisé sauvera la Protection sociale et les finances publiques ? De quel biais cognitif souffrons-nous pour croire que la solution pour la maîtrise des dépenses publiques se trouve dans le « toujours plus d’État » ?
Les libéraux orthodoxes autant qu’un Proudhon et son anarchisme-mutuelliste, autant qu’un Hayek, avaient raison : l’État est un Léviathan. Schumpeter nous alertait lui aussi sur le « socialisme de bureau », Charles Brooks Dupont White aussi qui observait et prévoyait que le progrès, technique et moral, conduit à un « toujours plus d’État ». Nous y sommes ! Peut-on en sortir ?
Peut-on réinventer un système qui redonne leur place aux assurances sociales parce qu’elles sont le lien entre travail et Protection sociale ? Peut-on réinventer un système qui ne soit pas exclusivement de solidarité, étatisé, fiscalisé ? Un système qui responsabilise les acteurs sociaux et, aussi, l’individu.
C’est là un vaste programme ! Vaste programme car il emporte une réforme de l’action publique. Vaste programme car c’est celui de la confiance dans les acteurs économiques et sociaux.
Vaste programme que de faire de la Protection sociale une idée d’avenir et non plus un fardeau !
Constitutionnaliser la démocratie sociale, c’est faire le pari de la responsabilité des acteurs économiques, c’est ne plus cadrer de façon opportuniste leurs négociations mais organiser leur dialogue ; c’est poser le cadre général de leurs négociations et non pas en dicter le résultat, c’est les responsabiliser dans le cadre constitutionnel ce qui s’imposerait par un article 40 social interdisant que leurs négociations créent ou aggravent les charges publiques.
Si l’on a peur de ce vaste programme il faut alors retrouver une ambition plus modeste (encore que) : celle de « réduire la part du législatif au profit du contractuel ».
Ce sont là les mots de Philippe Seguin, alors ministre de l’emploi, en 1987. En 2018 on a pu croire que cette ambition renaissait : dans son discours devant le Congrès de la Mutualité (juin 2018, Montpellier) le Président de la République laissait entendre que seraient associés à l’objectif de « providence de la dignité et de l’émancipation ». Las ! De grands débats en CNR et conférence sociale l’ambition et la méthode de juin 2018 ont fait long feu ! Il fallait voir que, en même temps, la contribution salariale à l’assurance chômage était remplacée par la CSG. Il fallait voir venir les ponctions sur les assurances santé complémentaires et les institutions de prévoyance au motif d’une « grande sécurité sociale », une sécurité sociale étatisée. Il fallait « les partenaires sociaux au contact du réel, du social chaque jour » bâtir pour le 21ème siècle un État voir cette fiscalisation qui ne dit pas son nom.
Alors, sortir du tout État en constitutionnalisant la démocratie sociale ? Pensez donc ! Il y a « un certain progrès, à notre sens le plus noble et le plus désirable de tous, [qui] consiste à mettre la nation dans le gouvernement, à l’y introduire comme mandante et surveillante. Or l’État ne prêtera pas les mains à ce Progrès qui est contre lui » – Charles Brooks Dupont-White, L’individu et l’État, 1865.
Michel Monier,
Membre du Cercle de recherche et d’analyse de la protection sociale est ancien DGA de l’Unedic.